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Aide publique et assurance : éviction ou complémentarité

5.2 Une revue de littérature théorique

5.2.1 Aide publique et assurance : éviction ou complémentarité

Il convient de se demander en premier lieu, si l’aide publique n’exerce pas une concurrence par rapport à l’assurance dépendance ce qui expliquerait le faible développement de cette der- nière. Cet e¤et d’éviction a été mesuré sur le marché américain. Cependant cet e¤et étant fortement lié au contexte institutionnel, il est très di¢ cile de généraliser ce phénomène aux autres pays.

Un e¤et d’éviction constaté sur le marché américain

Deux phénomènes peuvent rendre compte de cet e¤et d’éviction de l’aide publique (Brown & Finkelstein 2004b) :

– la redondance des prestations ;

– la réduction de l’exposition au risque des revenus.

La situation de second payeur place Medicaid en concurrence directe avec l’assurance privée. Si l’individu s’assure, il aura accès à une prestation équivalente à ce qu’il aurait eu s’il ne s’était pas assuré. L’utilité marginale à souscrire une assurance privée est donc quasi nulle.

Les résultats du modèle actuariel en présence d’une assurance standard

A l’aide d’un modèle actuariel calibré, Brown et Finkelstein modélisent le comportement d’un individu de 65 ans qui optimise sa consommation de façon à maximiser son utilité in- tertemporelle pour une richesse initiale et un environnement institutionnel donné (Brown & Finkelstein 2008). Les auteurs calculent l’utilité de l’individu dans le cas où il souscrit une assurance et dans le cas où il n’en souscrit pas. La disposition à souscrire une assurance est dé…nie comme le surcroît de richesse initiale qui permet d’égaliser les utilités dans le cas sans assurance et dans le cas avec assurance. Si la "disposition à souscrire"6 est positive, cela signi- …e que l’individu a intérêt à acheter une assurance pour un montant égal à sa disposition. Le modèle permet d’expliquer le faible taux d’équipement du marché de l’assurance dépendance. Il permet notamment d’avancer trois résultats :

1. La désincitation à souscrire une assurance est très forte. Pour un homme de richesse médiane, la souscription entraînerait une perte …nancière quasiment équivalente à la valeur actualisée des primes d’assurance.

2. Les femmes comme les hommes ont une propension à souscrire négative. Or, les contrats sont unisexes. Ils sont donc plus avantageux d’un point de vue actuariel pour les femmes.

6

Ce terme est une traduction imparfaite de "willingness to pay for private insurance" utilisé par Brown et Finkelstein. Nous utiliserons de manière synonyme les termes de disposition ou de propension a…n de traduire ce concept.

Il est donc surprenant que les femmes aient également une disposition à souscrire négative dans la mesure où elles auraient intérêt à souscrire davantage d’un point de vue purement actuariel. Ceci s’explique par le fait que les femmes ont une probabilité d’être éligible au programme Medicaid plus forte que les hommes. En moyenne, elles disposent d’un revenu moindre. Qui plus est elles béné…cient d’une espérance de vie supérieure ce qui dans le contexte américain se traduit par un risque de paupérisation plus élevé. Par conséquent, les personnes qui auraient le plus intérêt a priori à souscrire ce type de contrat ne vont pas le faire car elle béné…cient également d’une probabilité plus forte de béné…cier de l’aide publique. Ce mécanisme est particulièrement révélateur de l’e¤et d’éviction. 3. Selon le modèle et pour un contrat standard qui plafonne l’indemnité journalière à 100$

par jour, seuls les 20 à 30% des hommes et des femmes les plus riches ont une incitation à souscrire un contrat dépendance.

Les résultats du modèle actuariel en présence d’assurance parfaite

Le quatrième chapitre a étudié les imperfections de l’o¤re d’assurance et ses impacts sur l’équilibre de marché. A…n de séparer l’e¤et relatif aux imperfections de l’o¤re de l’e¤et d’évic- tion, Brown et Finkelstein ont également modélisé le comportement d’une personne de 65 ans en présence d’un contrat sans imperfection (Brown & Finkelstein 2008). Il se caractérise par une tari…cation actuarielle pour les hommes et des indemnités non plafonnées. Les simulations permettent d’aboutir à deux résultats.

1. La tari…cation actuarielle pour les hommes entraîne une division par deux des primes d’assurance. Il est donc intéressant de simuler l’e¤et de cette baisse du prix de l’assurance sur la disposition à souscrire. Le modèle montre que la tari…cation actuarielle pour les hommes n’augmente que faiblement leur disposition à souscrire. Elle était de 40% en présence d’une assurance imparfaite et elle est de 50% en présence d’assurance parfaite (lorsque les primes sont divisées par deux). L’élasticité prix de la demande d’assurance est donc faible. Ceci s’explique par la forte attraction de l’aide publique.

2. On peut également simuler la demande d’assurance en présence d’indemnités journalières non plafonnées a…n d’isoler l’e¤et d’éviction par l’aide publique. Les résultats sont sur-

prenants. Les individus sont encore moins disposés à souscrire une assurance que dans le cas imparfait évoqué précédemment. La disposition à payer ne devient positive que pour les individus les plus riscophobes (à partir du 60ème décile voire du 90ème décile des individus les plus riscophobes).

Il s’avère donc que même en présence de contrats parfaits, la demande d’assurance progres- serait relativement peu. Ces résultats limitent donc la portée des explications retenues dans les chapitres 3 et 4.

Aide publique et taxe implicite

Brown et Finkelstein proposent également de calculer une "taxe implicite" à Medicaid. Cette taxe correspond en réalité au ratio entre ce que fait perdre l’assurance en termes d’aide publique et ce qu’elle fait gagner en terme de prestations. Cette taxe se calcule à l’aide de la formule 5.1 : taxe implicite = 2 6 6 6 4 prestations Medicaid actualisées avec assurance 3 7 7 7 5 2 6 6 6 4 prestations Medicaid actualisées sans assurance 3 7 7 7 5

[prestations actualisées versées par l’assurance privée] (5.1)

Le numérateur représente ce que fait perdre la souscription d’un contrat d’assurance en matière d’aide publique. Le dénominateur représente ce qu’il fait gagner. Les auteurs estiment un ratio proche de 1 pour les bas revenus et il diminue avec la richesse. Il est de 0,6 pour un homme disposant d’une richesse médiane et de 0,77 pour une femme disposant d’une richesse médiane. Plus un individu est pauvre, plus la taxe implicite est élevée. Pour un individu pauvre, le gain des indemnités d’assurance en cas de sinistre est totalement compensé par la perte de l’aide publique.

Le résultat de ces simulations obtenues sur le marché américain est intéressant. D’un côté Medicaid entraîne un fort e¤et d’éviction par rapport à l’assurance privée et dans le même temps ce programme o¤re une couverture très incomplète. En e¤et, pour un individu béné…ciant d’une richesse médiane, 40% des dépenses des hommes et 30% des dépenses des femmes ne sont pas

couverts par Medicaid. Medicaid privilégie également un pro…l de consommation inter-temporel très heurté. Les individus sont incités à liquider leur patrimoine avant d’entrer en maison de soins, ce qui peut s’avérer problématique si l’individu est amené à ressortir de la maison de soins ce qui arrive dans 66% des cas.

Dans le cas américain, Medicaid induit donc un fort e¤et d’éviction notamment pour les individus les moins riches et les femmes. Medicaid propose donc un substitut incomplet mais gratuit à l’assurance dépendance. Brown et Finkelstein en concluent que toutes les mesures d’incitations …scales développées aux Etats-Unis a…n de dévolopper davantage le marché de l’assurance dépendance sont largement ine¢ caces tant que Medicaid continuera à jouer ce rôle de taxe implicite sur l’assurance privée.

Une complémentarité sur le marché français

Sur le marché français, il est important de mentionner que le développement de l’assurance est allé de paire avec le développement de l’aide publique. Le développement de l’aide publique a permis de sensibiliser au risque de dépendance (Plisson 2003). Le modèle utilisé par Brown et Finkelstein montre également que si l’assurance joue le rôle de second payeur les résultats sont tout à fait di¤érents même en gardant les contrats types proposés sur le marché américain. Le cas étudié est en e¤et très proche du contexte institutionnel de l’APA.

Les simulations montrent que si l’assurance est un complément strict de l’aide publique, les dispositions à souscrire sont cette fois positives pour tous les déciles et croissent avec la richesse. Le fait que les prestations d’assurance ne soient pas prises en compte dans les critères d’éligibilité à l’APA fait qu’il n’existe pas de taxe implicite de l’assurance via l’aide publique. Comme nous l’avons étudié dans l’annexe du chapitre 2, même un individu riche reçoit une aide publique au titre de la dépendance.