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Chapitre III. La fin de la violence de l’IRA

II. Les grèves de la faim et la remise en question de la violence

II.1 Le retour à la violence

Dans les années qui suivirent la trêve, c‘est-à-dire de 1976 à 1978, l‘IRA maintint le même discours au sujet de la violence. En effet, il s‘agissait toujours de se défendre contre la violence du gouvernement britannique exercée par l‘intermédiaire de ses forces de l‘ordre. Le recours à la force demeurait alors moralement justifié, comme le confirmait la déclaration de Dáithí Ó‘Conaill, alors Vice-président du Sinn Féin742, qui déclarait en mai 1976 qu‘« il est plus moral de résister à la violence que de s‘y soumettre »743. Les républicains étaient déterminés à continuer la lutte : « […] la lutte doit continuer tant que l‘Angleterre n‘aura pas déclaré son intention de se retirer »744. Selon eux, le gouvernement britannique n‘avait pas d‘autre choix puisqu‘il avait de toute façon déjà perdu : « La guerre continue parce que l‘Angleterre refuse d‘admettre publiquement sa défaite. Pourtant elle l‘a déjà admise, implicitement »745. Seule sa fierté l‘empêchait de l‘admettre : « Sa soi-disant suprématie militaire au niveau mondial ne

742 Voir note 355.

743 « It is more morally right to resist violence that submit to it. » Dáithì Ó‘Conaill, Republicanism is a Dynamic Political Philosophy, Irish Republican Information Service, 6 May 1976, p. 6.

744 « […] the fight must go on until Britain is forced to make a declaration of intent to withdraw. » Ibid., p. 5.

745 « The war continues because Britain refuses to publicly admit defeat. But admitted defeat she has, in not so many words. » The War of the Flea, Irish Republican Information Service, 16 December 1976, p. 1.

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peut aboutir à une victoire pour elle, et son orgueil politique au niveau mondial ne lui permet pas de se retirer immédiatement »746. Ainsi, comme dans les déclarations de l‘année 1974, la victoire semblait-elle proche et pourtant, le groupe armé se trouvait dans une impasse.

En effet, il devint plus difficile pour l‘IRA de justifier sa violence au milieu des années 1970 qu‘à la fin des années 1960, alors que les manifestations pour les droits civiques étaient confrontées à la répression de la police. Par exemple le décès de trois enfants de la famille Maguire, le 10 août 1976, heurtés par la voiture dont le chauffeur, Danny Lennon, membre de l‘IRA, était pourchassé par l‘armée britannique et qui fut tué au volant, accentua la répulsion de la population civile nord-irlandaise pour la violence.

L‘impact médiatique de cet évènement tragique donna lieu à des manifestations contre la violence rassemblant des protestants et des catholiques, et à la fondation de l‘organisation Women's Peace Movement, qui devint plus tard Peace People, « le Mouvement pour la paix », organisation qui luttait contre la violence et condamnait l‘IRA. Toutefois, le groupe armé avait été également affaibli par les mesures de sécurité plus drastiques imposées par Roy Mason, qui avait remplacé Merlyn Rees en tant que Secrétaire d‘État pour l‘Irlande du Nord. Roy Mason avait tout d‘abord entrepris une campagne d‘« ulstérisation » en mars 1976, qui avait pour objectif de redonner le pouvoir aux forces locales en matière de maintien de l‘ordre, et impliquait une réduction des effectifs militaires dans la Province. Interpellé par Michael McNair-Wilson, alors membre du Parlement britannique, inquiet de cette baisse d‘effectif envisagée, Roy Mason assurait que les effectifs nécessaires seraient maintenus dans les zones les plus critiques :

Il y a 14 500 soldats de métier déployés en Irlande du Nord en ce moment, et, comme Monsieur le Député doit le savoir, les Forces Spéciales en ont été retirées il y a environ une semaine. Ceci a ouvert une brèche dans [le comté de] South Armagh, et un redéploiement a été mis en œuvre en Irlande du Nord afin que nous puissions garder suffisamment de forces de sécurité dans le Sud [de la Province] afin d‘y combattre la violence747.

746 « Her worldwide so-called military primacy cannot produce a victory for her, and her worldwide political pride cannot permit immediate withdrawal. » Ibid.

747 « […] there are 14,500 Regular troops serving in Northern Ireland at the moment, and of these, as the honorable Gentleman may well be aware, the Spearhead Battalion was withdrawn a week or so ago. It left a gap in South Armagh, and redeployment has taken place within Northern Ireland in order that we can retain sufficient security forces in the South to combat the violence there. » Roy Mason, House of Commons debates for 11 May 1976, Northern Ireland - Security Forces, Oral Answers to questions –

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Selon l‘IRA, cette campagne d‘« ulstérisation », si elle impliquait une diminution des effectifs militaires, n‘avait pourtant rien à voir avec un retrait :

Ainsi nous pouvons conclure que tandis que la guerre continue, l‘« ulstérisation » croissante et la

« spécialisation » croissante des forces de sécurité pourraient bien mener à une baisse du nombre de Brits [Britanniques] « stationnés » en Irlande du Nord dans les prochains mois. De tels changements pourraient constituer une nouvelle phase de la guerre, mais une phase qui ne doit absolument pas être confondue avec un retrait britannique »748.

Par « spécialisation » des forces de sécurité, l‘IRA faisait référence à l‘implication des forces locales, c‘est-à-dire de la RUC et de l‘UDR, dans des opérations de lutte contre le terrorisme jusque-là effectuées par l‘armée. Selon l‘IRA, le processus d‘ulstérisation n‘était donc pas le signe d‘un retrait, bien au contraire : « Bref, c‘est une façon d‘accroître la domination des Brits sur les six comtés »749.

Dans un entretien avec des membres du groupe armé clandestin le 4 août 1978, l‘un de ses porte-parole s‘expliquait sur les raisons de la baisse d‘activité du groupe.

Premièrement cette baisse était présentée comme l‘une des conséquences d‘un processus de réorganisation au sein du groupe : « Tout d‘abord, nous avons entrepris une réorganisation massive du mouvement au cours de laquelle nous avons révoqué l‘ancienne structure pyramidale basée localement, et nous avons établi un système de cellule »750. Dans son ouvrage Techniques du terrorisme, Jean-Luc Marret, précédemment cité, met en avant les avantages d‘une telle structure : « La structure cellulaire est plus souple d‘utilisation, surtout si les cellules sont autonomes fonctionnellement et si – agissant vers un but commun – elles sont indépendantes. Que l‘une soit découverte et l‘autre continuera pourtant à agir »751. En cas d‘arrestation, un membre ne pouvait donner des informations autres que portant sur sa propre cellule.

Plus sélective, l‘IRA déclarait également s‘être transformée en « un corps de volontaires

Defence, <http://www.theyworkforyou.com/debates/?id=1976-05-11a.203.5>, page consultée le 10/02/2011.

748 « We can thus conclude that as the war goes on, both the increasing ‗ulsterisation‘ and the increasing

‗specialisation‘ of the security forces may well lead to fewer Brits being ‗stationing‘ here over the coming months. Such moves could form part of a new phase of the war, but a phase definitely not to be confused with British withdrawal. » Ulsterisation and the Changing Pattern of War, Irish Republican Information Service, 25 November 1977, p. 7.

749 « In short, it is a method of increasing the Brit‘s stranglehold on the six counties. It is not a way of them letting go, and does not form a stepping stone on the way to a United Ireland. » Ibid., p. 6.

750 « In the first place we undertook a massive reorganisation of the movement in which we displaced the old locally-based pyramid structure of the IRA and set up a cell system. » Interview with IRA leadership, Irish Republican Information Service, 4 August 1978, p. 5.

751 Jean-Luc Marret, Techniques du terrorisme, Paris, PUF, 2000, p. 50-51.

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bien plus politisé »752 et « une organisation bien plus unie et plus efficace »753. D‘autre part, la baisse d‘activité était expliquée par la difficulté, particulièrement durant l‘année 1977, à se procurer des explosifs : « La seconde raison concernant la diminution d‘activité était l‘absence d‘explosifs »754. Enfin, le groupe admettait que sa baisse d‘activité reposait en partie sur les mesures de sécurité plus performantes déployées dans la Province : « Et la troisième raison pour la baisse d‘activité repose tout simplement sur la nature de la surveillance britannique prolongée et plus sophistiquée »755. Toutefois, le groupe affirmait qu‘en aucun cas sa campagne armée n‘arrivait à son terme756. En effet il était essentiel pour le groupe de réfuter toute impression de défaite, d‘autant plus qu‘il avait déjà perdu de sa crédibilité auprès de ses partisans après l‘échec de la trêve, conséquence d‘une interprétation erronée de la volonté du gouvernement britannique757.

Il était donc vital pour le groupe de parvenir à donner un nouveau sens à sa lutte afin de pouvoir continuer à la légitimer malgré les condamnations de la population nord-irlandaise, et plus précisément de la communauté catholique, dont il requérait le soutien. Dans le second chapitre de notre étude, nous avons étudié les liens qui unissaient l‘IRA à ce qu‘elle considérait comme « sa communauté »758. Max Weber fait de l‘« activité politique commune » un des liens qui rassemble les membres autour d‘une même communauté759. Ferdinand Tönnies, quant à lui, parle du « lien spirituel » qui unit les membres d‘une communauté760. Sans le soutien de la communauté nationaliste, l‘IRA risquait de perdre le lien spirituel qui l‘unissait à ce qu‘elle considérait comme « sa communauté », lien qui lui permettait de légitimer sa lutte afin de réaliser son projet politique : une Irlande unie. L‘IRA, dont la violence était condamnée par la population nord-irlandaise, devait alors trouver le moyen de regagner le soutien moral761 de la communauté nationaliste. Les grèves de la faim des prisonniers

752 « […] a much more politicised volunteer corps », ibid.

753 « […] it is a much tighter-knit organisation and much more effective », ibid.

754 « The second reason for the decline of activity was the absence of explosives. » Ibid.

755 « And the third reason for the reduction in activity is simply the extended and more sophisticated nature of British surveillance. » Ibid., p. 6.

756 Ibid., p. 5.

757 Agnès Maillot, IRA, op. cit., p. 116

758 Voir p. 132-134.

759 Voir p. 133.

760 Voir p. 133-134.

761 Maurice Prestat et Pierre Saint-Macary, généraux français, qui s‘intéressent aux mécanismes de la guerre révolutionnaire, évoquent d‘ailleurs la nécessité pour les révolutionnaires de la mise en place d‘une

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républicains allaient apporter ce nouveau souffle indispensable au mouvement républicain en favorisant la lutte sur le front politique.