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Conclusion Partie I : La violence armée (1969-1972)

Cette première partie nous a permis d‘une part, d‘exposer le contexte dans lequel l‘IRA, qui devint le principal groupe armé républicain en Irlande du Nord, émergea et se réorganisa de 1969 à 1972, et d‘autre part, de comprendre la fonction de la violence au sein du groupe. Afin d‘achever son projet politique, une Irlande unie, la violence était présentée comme la seule alternative.

Dans un premier chapitre, nous nous sommes intéressés à l‘émergence de l‘IRA provisoire et à son discours de légitimation de la cause républicaine. À la fin des années 1960, les demandes de réformes se radicalisaient, tout comme les mesures de répression du gouvernement nord-irlandais. Des structures armées clandestines républicaines et loyalistes existaient déjà, et se réorganisèrent dans ce climat qui leur était favorable.

L‘IRA provisoire se forma en opposition au changement de stratégie au sein du mouvement républicain. En remettant en question le principe de l‘abstention, c‘est la place de la stratégie armée qui se trouvait reconsidérée. L‘IRA provisoire dénonçait également l‘incapacité du mouvement à défendre la communauté nationaliste durant l‘été 1969. Si cette nouvelle IRA assura un rôle de service d‘ordre durant les manifestations pour les droits civiques, le groupe voyait en cette agitation sociale l‘occasion de relancer le combat ancestral. Dans le discours républicain, la lutte pour la cause républicaine était déclarée « juste » : en effet, l‘IRA se proclamait le défenseur de la communauté nationaliste du nord opprimée, victime des attaques des loyalistes, de l‘armée britannique et de la police nord-irlandaise. De plus, la lutte menée par le groupe avait pour objectif de combattre un occupant qui, depuis la partition, non seulement était accusé de discriminer la minorité catholique en Irlande du Nord, mais s‘était également avéré incapable, selon lui, de gérer la Province sans la force, tout en exploitant ses ressources économiques et humaines. Enfin, la lutte pour la cause était présentée comme légitime puisqu‘elle poursuivait le combat ancestral des ancêtres depuis la colonisation de l‘Irlande. En effet, si l‘IRA « provisoire » était née des troubles, la cause qu‘elle défendit tout au long de sa campagne poursuivait la lutte traditionnelle républicaine contre l‘occupant britannique en Irlande. Il était indispensable pour l‘IRA de se justifier car plus la lutte pour la cause apparaîtrait légitime, plus les moyens de lutte, et en particulier, le recours à la force, seraient justifiables.

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Le second chapitre a exposé les différentes théories sur la violence et les principaux mécanismes du passage à la violence collective et politique. Les théories selon lesquelles l‘être humain serait violent par « instinct » ont été supplantées dès les années 1960 par les études sur la « frustration » d‘origine sociale. Pourtant l‘ouvrage du psychologue américain Steven Pinker, The Blank Slate624, a récemment réactivé le débat entre l‘« inné » et l‘« acquis ». Pour les partisans de l‘« acquis », l‘être humain naît tel un tableau blanc ou vierge, et c‘est son environnement qui le façonne625. Si Steven Pinker fait de la violence un élément inné chez l‘être humain, selon lui tous ne partagent pas le même degré de « disposition naturelle »626. Le débat entre l‘inné et l‘acquis semble éternel. Celui sur les origines du comportement violent chez l‘être humain reste ouvert. Il était néanmoins primordial de se poser la question des origines de la violence si nous voulons comprendre le processus inverse, celui de son abandon. En effet, si la violence est d‘origine biologique, seule la répression semble adaptée pour y remédier, quoique provisoirement. Si elle d‘origine sociale, elle est alors le résultat d‘une frustration, une réponse pressentie à un stimulus. Enfin, si elle est « acquise » en tant que comportement, l‘homme doit la « désapprendre », et la bannir de sa culture. La théorie de l‘« instinct » violent s‘accommode mal avec l‘étude du terrorisme, du moins elle ne parvient pas à l‘expliquer. Celle de la frustration parait plus à même d‘apporter des réponses concernant les raisons qui ont participé au passage à la violence d‘un groupe, mais demeure insatisfaisante. L‘idée selon laquelle la violence serait « apprise » et « transmise » y contribue largement, car elle en fait un héritage, non pas génétique, mais culturel et lui donne un sens. L‘aspect culturel est un facteur essentiel lorsqu‘il s‘agit de comprendre les mécanismes de la violence collective, en particulier au sein des groupes primaires ou psychogroupes, unis par des liens affectifs. L‘être humain se constitue en groupe parce qu‘il en a besoin pour atteindre des objectifs qu‘il juge impossibles à atteindre seul. Cependant le groupe lui permet également d‘exister. Par conséquent, même au sein d‘un sociogroupe, initialement formé dans le seul but

624 Steven Pinker, The Blank Slate, USA, Viking Adult, 2002. Professeur de psychologie à l‘université d‘Harvard.

625 À l‘inverse, Steven Pinker, représentant du courant « évolutionniste », soutient l‘importance de l‘« inné » dans la formation de la personnalité, le développement des capacités mentales et, en partie, du comportement. Il récuse le crédit donné à des assertions morales, entravant les découvertes scientifiques basées sur des données empiriques, et en particulier sur le rôle de l‘inné dans le domaine de la psychologie.

626 Néanmoins il défend l‘idée selon laquelle l‘évolution de l‘homme en fait un être de moins en moins violent.

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d‘effectuer une tâche, des éléments affectifs entrent en jeu. Pierre de Visscher note la proximité du terme « groupe » de celui de « grappe ». Nous garderons l‘image de la grappe qui correspond à celle du groupe qui nous intéresse ici. En effet, le groupe, telle une grappe de raisin, se compose de membres distincts mais unis par un objet commun.

Au-delà du projet à réaliser, le simple fait de partager un but commun et d‘appartenir à un groupe peut également expliquer le besoin de se réunir. Chez les groupes primaires, définis par Anzieu et Martin, les facteurs affectifs sont essentiels. La communauté est un exemple de groupe primaire. Elle se forme sur une base commune qui peut être liée à la langue, la religion, le lieu, ou l‘activité politique. Cependant le lien communautaire est surtout lié aux sentiments de fraternité et de « parenté » au sens large parmi ses membres. Les psychogroupes, telles que les communautés, s‘unissent autour de liens géographiques, religieux, spirituels, ou politiques. Leur particularité repose sur la croyance, parmi ses membres, en une origine commune parfois imaginée, voire d‘une destinée commune. La violence peut être revendiquée en tant que tradition au sein de tels groupes ou de communautés affectives et lui confère un statut particulier. Au-delà de l‘instinct et d‘un sentiment de frustration, la violence collective, et plus particulièrement le terrorisme, a un sens pour ses acteurs : la violence de nature terroriste possède, d‘une part, un sens objectif, puisqu‘elle doit lui permettre de réaliser son projet, en particulier politique. Ceci nous renvoie à l‘utilitarisme du terrorisme en tant que stratégie, qui consiste à harceler l‘ennemi et à terroriser la population. D‘autre part, elle possède un sens subjectif lié à des facteurs affectifs. Il arrive que la violence devienne essentielle à la survie du psychogroupe. C‘est la raison pour laquelle, selon Wieviorka, ses acteurs doivent puiser dans les mythes et les idéologies pour continuer à la légitimer et en conserver le sens. Les théories qui font de la violence un « instinct » chez l‘être humain n‘étaient pas applicables à l‘Irlande du Nord. Les théories qui fondent l‘origine de la violence sur un sentiment de frustration, et celles qui font du facteur politique un élément décisif concernant la probabilité de passage à la violence collective sont importantes pour notre étude. En Irlande du Nord, ces paramètres étaient présents. Victime de discriminations et de répression parfois violente, la population catholique éprouvait un sentiment de frustration sociale. La radicalisation des revendications, la militarisation du conflit, et l‘exploitation de l‘agitation sociale par des structures violentes préexistantes pour achever leurs projets politiques faisaient de l‘Irlande du Nord de la fin des années 1960 un terrain propice au développement d‘un conflit violent. À partir de l‘année 1970, l‘IRA passa à l‘offensive contre le

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gouvernement britannique en usant de méthodes terroristes, les représentants militaires de la couronne étant ses principales cibles humaines « légitimes » déclarées. Au sein de la communauté nationaliste et républicaine, l‘IRA constituait un sous-groupe primaire, à la fois sociogroupe et psychogroupe qui faisait de la violence la seule alternative. Dans son discours, la lutte armée était décrite comme le dernier recours. Les combattants se refusaient à toute glorification de la lutte armée. Pourtant, le mouvement armé magnifiait les victoires républicaines, et celles d‘autres groupes dans le monde, gagnées par la force des armes. Toutefois, la lutte armée n‘était pas seulement un outil pour les républicains. En effet, elle possédait un sens plus subjectif fondé sur le mythe républicain au sein duquel la violence était devenue un marqueur identitaire du mouvement en général, et plus précisément du groupe armé.

Alors même que les négociations sur le processus de paix débutaient, au début des années 1990, la question du désarmement de l‘IRA allait se trouver au cœur des débats.

Quelle en était la portée réelle et symbolique ? La demande de désarmement était-elle acceptable par les membres de l‘IRA, et quels mécanismes avaient, en préambule, permis de mettre fin à la violence du groupe clandestin ?

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Partie II Le processus de paix :le désarmement au cœur des