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Partie I : La violence armée (1969-1972)

I. Les « troubles »

I.1.2 La discrimination en matière de logement

En juin 1968, l‘attribution d‘une maison à Caledon dans le comté de Tyrone à une jeune femme protestante, Miss Beatie, secrétaire du notaire d‘un Conseiller municipal, candidat unioniste92, alors qu‘elle n‘était en rien prioritaire pour cette attribution, renforça le sentiment de discrimination à l‘encontre des catholiques. En effet l‘affectation des logements sociaux dépendait des conseils municipaux93, dont la plupart étaient gérés par des protestants94. Pourtant les statistiques de 1971 indiquaient que les catholiques bénéficiaient d‘une part globalement plus importante de logements sociaux :

« 4 familles catholiques sur 10 occupaient des maisons appartenant aux autorités locales comparativement à 3 familles protestantes sur 10 »95. Le recensement de 1971 révèle que 40,9 % des logements publics étaient affectés à des familles catholiques, contre 32,2 % à des familles protestantes96. En effet, « le recensement de 1971 démontrait que les catholiques étaient moins susceptibles d‘être des occupants propriétaires que les protestants, mais plus susceptibles d‘être locataires de logements publics »97 : en 1971,

90 Également professeur spécialiste des sciences de la terre à Queen‘s University de Belfast.

91 Paul A. Compton, Northern Ireland: a Census Atlas, Dublin, Gill & Macmillan, 1978, p. 80-81.

92 Graham Gudgin, « Discrimination in Housing and Employment under the Stormont Administration », in Patrick J. Roche and Brian Barton, The Northern Ireland Question: Nationalism, Unionism and Partition, UK, Ashgate Publishing Ltd, 1999, p. 102.

93 Local Councils. En 1945, le Northern Ireland Housing Trust (NIHT) fut établi afin de seconder les Autorités Locales. Le NIHT devait obtenir la permission des Autorités Locales pour toute décision.

94 « En 1971, le nombre d‘employés au sein des autorités locales avait atteint les 5 700, dont 1 600 ou 28 % étaient catholiques selon les estimations ». « By 1971 total employment in local authorities had grown to 5,700 of which an estimated 1,600 or 28% were Catholic. » Graham Gudgin, « Discrimination in Housing and Employment under the Stormont Administration », op. cit., p. 110.

95 « [...] 4 out of every 10 Catholic families were in local authority houses compared with just over 3 out of every 10 Protestant. » Ibid. , p. 107.

96 Census 1971, Table 6 : Household by Religion and Head in Tenure, p. 40.

97 « The 1971 Census showed that Catholics were less likely than Protestants to be owner occupiers or private renters and more likely to be in public rented accommodation. » Martin Melaugh, « Majority-Minority Differentials: Unemployment, Housing and Health », in Seamus Dunn, Facets of the Conflict in Northern Ireland, Macmillan Press Ltd., 1995, Cain Web Service : Conflict and Politics on Northern

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42,3 % des occupants propriétaires étaient catholiques et 46,8 % étaient protestants.

Toutefois, les données de 1971 apportaient également des indications sur les conditions de logement. Il apparaissait alors clairement que les familles catholiques bénéficiaient de logements moins bien équipés, comme l‘indique le tableau ci-dessous :

Tableau 3 : Proportion de ménages catholiques et protestants vivant dans des logements sans équipements de confort sanitaire

% de ménages catholiques

% de ménages protestants*

% autres ménages

Sans eau chaude 28,5 % 18,9 % 52,6 %

Sans douche ou baignoire 34 % 25,4 % 40,6 %

Sans toilettes avec chasse d'eau 16,8 % 8,1 % 75,1 %

*La catégorie « protestant » rassemble les presbytériens, les anglicans et les méthodistes98.

Source : 1971 Census, Religion Tables, Table 7: Household by Religion of Head and Amenities, p. 44.

Les familles catholiques, qui vivaient généralement dans des logements surpeuplés (sur 6 419 ménages de plus de 10 personnes, 4 152 ménages, soit 64,7 % des ménages étaient référencés comme catholiques99), étaient désavantagées en matière d‘équipements puisque 28,5 % des ménages catholiques vivaient dans des logements sans eau chaude contre 18,9 % des protestants, et 34 % des ménages catholiques sans douche ou baignoire contre 25,4 % des ménages protestants. Enfin, le pourcentage de ménages catholiques sans toilettes avec chasse d‘eau, soit 16,8 %, était deux fois supérieur à celui des ménages protestants. Sur la totalité des ménages ne bénéficiant pas de toilettes avec chasse d‘eau, toutes dénominations confondues, les ménages catholiques ne représentaient pas moins de 41 % du total.

Les données de 1971 révélaient donc avant tout une discrimination envers les ménages catholiques en matière d‘équipement des logements, mais cette discrimination était localisée. Aux dénonciations d‘injustice en matière d‘emploi et de logement, s‘ajoutaient les revendications des manifestants pour les droits civiques en matière de vote.

Ireland (From 1968 to the Present), <http://cain.ulst.ac.uk/issues/discrimination/melaugh.htm#housing>, page consultée le 14/11/2010.

98 Pour le détail des chiffres des groupes qui composent la catégorie « protestant », voir l‘annexe A, p. 592.

99 1971 Census, Table 5 : Household by religion of Head, Size, Density of occupation (Persons per room), p. 37.

45 I.1.3 La discrimination dans le domaine électoral

Véritable cheval de bataille de la NICRA, la demande de réforme du système électoral comptait parmi les revendications de la campagne pour les droits civiques. Les manifestants dénonçaient le « charcutage électoral100 » des circonscriptions parlementaires de la Province101, mais aussi des circonscriptions électorales, un redécoupage qui permit aux unionistes d‘obtenir une majorité de conseillers municipaux même dans des zones où ils étaient minoritaires. Ils dénonçaient également les inégalités en matière de droit de vote pour les élections municipales. En effet, au sein du Royaume-Uni, jusqu‘en 1945, le droit de vote pour les élections municipales était réservé aux propriétaires et aux locataires d‘habitations (ainsi qu‘aux épouses de propriétaires et de locataires). Par conséquent, une partie de la population, dont une majorité de catholiques, était privée du droit de vote pour ces élections, par exemple les personnes vivant au foyer parental, et en particulier les enfants aînés, en âge de voter, mais non propriétaires ou locataires s‘ils vivaient au domicile de leurs parents. Ce système était particulièrement défavorable aux familles catholiques, comptant généralement un grand nombre d‘enfants102. À l‘inverse, un petit nombre de propriétaires bénéficiaient de plusieurs votes : le système du vote pluriel103 permettait à un seul et même individu de bénéficier d‘un droit de vote à la fois dans son lieu de résidence, dans le lieu où se trouvait son entreprise ou autre propriété, et dans le lieu où se situait l‘université dont il était diplômé. Ainsi le cri de ralliement des manifestants pour les droits civiques « un homme, un vote »104 symbolisait-il la revendication de réforme du système électoral dans la Province.

100 Gerrymandering.

101 Redécoupage effectué en 1923. Les conséquences réelles de ce redécoupage sur le nombre de sièges nationalistes obtenus furent remises en question. Voir John Whyte, « How much discrimination was there under the Stormont regime, 1921-1968? », op. cit., p. 3.

102 En 1970, le taux de fertilité de la population catholique était de 4,1 %, comparé à 2,8 % pour la population protestante. D. A. Coleman, « Demography and Migration in Ireland, North and South », in Anthony F. Heath, Richard Breen and Christopher T. Whelan, Proceedings of the British Academy 98:

Ireland North and South – Perspectives from Social Science, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 92.

103 Property Plural Voting.

104 One Man, one vote.

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L‘étude des principales allégations de discrimination envers la population catholique n‘a pas pour objectif de conclure à une responsabilité délibérée de