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Cette thèse est constituée de trois parties, qui suivent la chronologie de l‘histoire de l‘Irlande du Nord de 1969 à 2005. L‘approche chronologique s‘était imposée puisque notre problématique concerne un processus qui couvre la période qui va de la fondation de l‘IRA à la réalisation intégrale de son désarmement.

Cette étude nécessite, dans une première partie, de revenir sur le contexte de la violence en Irlande du Nord à la fin des années 1960 et au début des années 1970. En effet, le sens du désarmement, sa signification symbolique, est directement liée au sens que les républicains donnaient à leur violence. Il est donc nécessaire de revenir sur la période des Troubles, en prenant comme point de départ l‘année 1967 alors que le mouvement pour les droits civiques débutait, afin d‘exposer les circonstances dans lesquelles les groupes paramilitaires républicains et loyalistes émergèrent, ou ré-émergèrent pour certains. Dès cette première partie, la naissance de l‘IRA provisoire, et

61 G. K. Peatling, The Failure of the Northern Ireland Peace Process, Dublin, Irish Academic Press, 2004.

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son discours concernant la légitimation de la cause républicaine, feront l‘objet d‘une attention particulière. Les arguments en faveur de la lutte sont essentiels à la justification du recours à la violence, présenté comme la seule alternative. Le terme de

« violence » être explicité et implique de se pencher sur le débat pérenne concernant les origines de la violence chez l‘être humain: la violence est-elle innée ou acquise ? Au delà de l‘origine se pose également la question du type de violence. Dans cette étude c‘est bien la violence politique, et plus particulièrement la violence politique de type

« terroriste », qui nous intéresse. Le terrorisme nécessite également d‘être défini en tant que concept, mais la qualification de « terroriste », trop subjective, sera évitée lorsqu‘il s‘agira de faire référence aux groupes armés étudiés. Nous préférerons utiliser les expressions « groupe armé clandestin » ou « groupe paramilitaire clandestin ». La violence de type terroriste a un sens pour ses acteurs. Plus qu‘un outil, elle peut avoir une fonction fondamentale de révélateur identitaire du groupe. Ces réflexions sur la violence, et plus particulièrement sur la violence terroriste, appliquées à l‘Irlande du Nord, permettent non seulement de définir la nature, mais surtout la fonction de la violence perpétrée par l‘IRA au sein du groupe lui-même. Il paraît essentiel de déterminer la fonction de la violence républicaine dont dépendra la dimension symbolique du désarmement. En effet, si la violence de l‘IRA, et de façon métonymique ses armes, représentaient un marqueur identitaire du groupe, le désarmement pouvait alors signifier la perte de cette identité.

La violence de l‘IRA, sa nature et sa fonction, ainsi exposées, nous pourrons exposer deux aspects essentiels : nous pourrons ainsi comprendre d‘une part, de quelle manière l‘IRA parvint à continuer à justifier le recours à la force tout au long des années 1970 et 1980 alors que plusieurs tentatives d‘accord se succédèrent et, d‘autre part, de quelle façon la question du désarmement de ce groupe fut au cœur des négociations durant tout le processus de paix, jusqu‘à devenir tout d‘abord l‘obstacle principal des pourparlers en vue de l‘établissement de l‘Accord de 1998, puis l‘obstacle principal à la mise en œuvre de ces propositions. Dans une seconde partie, nous reviendrons donc sur les tentatives d‘accords des années 1970 et 1980 puisqu‘elles apportaient les bases indispensables sur lesquelles la paix en Irlande du Nord serait construite. Il est essentiel d‘étudier quelles étaient les solutions apportées au conflit et la façon dont furent reçues ces propositions, notamment par les républicains qui continuaient néanmoins à justifier

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le recours à la force. Nous nous intéresserons tout particulièrement à la trêve de 1975 déclarée par l‘IRA, le cessez-le-feu le plus long depuis la formation du groupe armé provisoire, et à l‘évolution fondamentale de la stratégie républicaine durant les années 1980. Nous nous attarderons également sur le cessez-le-feu de 1994, et sur les facteurs essentiels qui menèrent l‘IRA à prendre une telle décision. Ce cessez-le-feu, suivi par celui des groupes loyalistes, donna un élan considérable au processus de paix.

Cependant, la déclaration de cessez-le-feu de l‘IRA62 déclencha une bataille sémantique sur ses termes. Cette bataille souleva une question essentielle : la déclaration de cessez-le-feu devait-elle être interprétée comme la fin de la violence de l‘IRA? C‘est à partir de cette même année que la question du désarmement devint l‘enjeu essentiel du processus de paix. Sujet de tous les débats, le désarmement opposa les différents acteurs du processus. Acte militaire ou geste symbolique ? Les débats renvoyaient au concept même de désarmement. Le silence des armes pouvait être interprété comme un désarmement symbolique et dans ce cas l‘acte militaire, le désarmement concret, pouvait sembler stérile. Mais comment être certain que l‘IRA avait définitivement et officiellement rompu avec sa stratégie armée ? Ainsi, le silence des armes ne représentait-il pas, pour certains, une preuve suffisante de l‘investissement des républicains dans le processus de paix. Afin d‘instaurer un climat de confiance favorable à l‘établissement de la paix, il fallait donc que le désarmement se traduise par un acte concret et suffisamment conséquent aux yeux de tous les acteurs du processus.

Le désarmement devint alors un enjeu primordial pour le Sinn Féin lui-même puisqu‘il conditionnait sa participation aux pourparlers de paix. Mais quels étaient les obstacles au désarmement de l‘IRA ? Si ses armes demeuraient silencieuses, pourquoi un désarmement tel qu‘il était attendu paraissait-il irréalisable ? L‘analyse des arguments républicains sur ce sujet apporte des éléments essentiels quant à la signification et aux conséquences d‘un tel acte pour le groupe, mais aussi pour le mouvement lui-même.

Malgré le caractère apparemment insoluble de la question des armes, contre toute attente, le processus de paix parvint à rendre le désarmement réalisable. Par quels mécanismes les obstacles à cette réalisation furent-ils finalement levés ? Dans cette troisième et dernière partie, nous nous attarderons tout d‘abord sur la période

62 Irish Republican Army, Ceasefire Statement, 31 August 1994, op. cit.

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accord, c‘est-à-dire d‘avril 1998 à mai 2000, période durant laquelle l‘IRA continuait à résister à la demande de désarmement malgré l‘impasse considérable causée par ce refus. Comment le groupe armé clandestin parvenait-il encore à justifier cette résistance ? Sur quels arguments s‘appuyait-il ? Cette période est cruciale puisqu‘elle représente la dernière phase de résistance de l‘IRA. Il faudra toutefois quatre années supplémentaires avant que le désarmement ne soit réalisé. Comment le désarmement fut-il finalement mis en œuvre durant ces années ? Pour répondre à cette question, nous nous intéresserons à plusieurs facteurs complémentaires. Nous étudierons tout d‘abord la façon dont était envisagée la fabrication de la paix dans la Province et au processus de résolution de conflit en cours. Puis nous nous pencherons sur les procédés que sont la négociation et la médiation, et sur l‘importance de ces procédés dans l‘aboutissement du désarmement. Quels étaient les atouts de la Commission chargée de faciliter le désarmement des groupes paramilitaires ? Sur quels facteurs reposait son « pouvoir » de persuasion ? L‘implication d‘une tierce partie pose en effet plusieurs questions, notamment quant à ce « pouvoir » de persuasion, qui, contrairement à ce que l‘on serait tenté de penser, ne repose pas de manière fondamentale sur sa neutralité et son impartialité. Il nous faudra également comprendre comment les gouvernements britanniques et irlandais étaient parvenus à convaincre les républicains non seulement de déposer mais de rendre les armes. La persistance des deux gouvernements à intégrer les républicains dans un processus exclusivement démocratique trahissait selon certains une volonté manifeste de « ménagement » des républicains. Nous nous demanderons en effet dans quelle mesure ce ménagement a participé à convaincre les républicains de désarmer et d‘intégrer pleinement le processus démocratique. Enfin, les républicains n‘avaient-ils finalement pas plus à gagner en réalisant l‘irréalisable, c‘est-à-dire en désarmant ? Mais comment l‘IRA pouvait-elle désarmer sans donner l‘impression de trahir la cause républicaine ?

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