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Le cessez-le-feu de l’IRA : 22 décembre 1974 -17 janvier 1975

Chapitre III. La fin de la violence de l’IRA

I. La Trêve de l’IRA

I.2 Le cessez-le-feu de l’IRA : 22 décembre 1974 -17 janvier 1975

Dans un questionnaire du 13 décembre 1974, l‘IRA, qui était interrogée, rappelait que ses conditions pour mettre fin à la violence avaient été clairement énoncées :

« Depuis septembre 1971, l‘IRA a immanquablement stipulé trois conditions pour garantir la fin de la guerre »666.

Quelles étaient alors les conditions du groupe armé ? Premièrement, l‘IRA exigeait l‘engagement du gouvernement britannique de retirer ses troupes de la Province de manière progressive : « a) Une déclaration d‘intention du gouvernement Britannique de retirer ses forces militaires et politiques d‘Irlande de manière planifiée et méthodique sur une période qui reste à négocier »667. Deuxièmement, ils exigeaient une reconnaissance du droit du peuple irlandais de l‘île d‘Irlande, dans son intégralité, à se gouverner lui-même : « b) Une reconnaissance du gouvernement britannique du droit à l‘autodétermination de la nation irlandaise dans son intégralité »668. Le droit à l‘auto-détermination pourrait être interprété ici comme une revendication du principe de non-ingérence qui, dans le droit international, interdit à un état d‘intervenir dans les affaires d‘un autre. Cependant, il s‘agit plutôt ici du droit des peuples à disposer d‘eux-mêmes, qui découle du principe de souveraineté nationale, proclamé lors de la Révolution française et entériné dans la charte des Nations Unies après la Seconde Guerre mondiale. Enfin, le groupe ajoutait une troisième condition qui concernait les prisonniers incarcérés pour des faits liés aux troubles, qu‘ils soient républicains ou

666 « Since September 1971, the IRA have consistently stipulated three conditions for securing an end to the war. » Provisional I.R.A. Leadership Answers Questionnaire, Irish Republican Information Service, 13 December 1974, p. 3 (Question n° 9).

667 « a) A declaration of intent by the British Government to withdraw its political and military forces from Ireland in a planned and orderly manner over a period of time to be negotiated. » Ibid. Dans le même questionnaire, en cas de retrait britannique effectif, l‘IRA se voulait rassurante, et garantissait la sécurité de la minorité protestante au sein d‘une Irlande unie. Le groupe cherchait à intégrer pleinement les loyalistes dans le projet en affirmant de manière catégorique que les troupes britanniques seraient autorisées à rester tant que la population protestante le jugerait nécessaire : « Nous n‘avons aucune intention d‘attaquer le peuple protestant. Nous nous rendons compte qu‘il n‘est pas suffisant de le dire ; nous prouvons notre sincérité en assurant la présence continue des troupes britanniques pendant une période limitée jusqu‘à ce que les peurs sans fondement des protestants soient apaisées ». « We have no attention of attacking the Protestant people. We realise it is not good enough to say that; we prove our sincerity by asserting the continued presence of British troops for a limited period of time until the ill-founded fears of the Protestant people are assured. » Ibid., p. 6 (Question n° 19).

668 « b) An acknowledgment by the British Government of the right of the Irish nation as a whole to self-determination. » Ibid., p. 3 (Question n° 9).

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loyalistes : « c) Une amnistie générale pour tous les prisonniers politiques, loyalistes et républicains, incarcérés dans les prisons britanniques et irlandaises »669.

L‘Accord de Sunningdale ne répondait pas à ces demandes. La décision d‘un cessez-le-feu reposait donc sur d‘autres facteurs. Plusieurs raisons pouvaient expliquer la décision du groupe armé clandestin qui se trouvait à un croisement, comme le notait Peter Taylor, dans son ouvrage Provos, The IRA and Sinn Fein670.

Tout d‘abord le groupe paramilitaire clandestin devait faire face à des pressions de la part des Églises Chrétiennes afin de faire stopper la violence, comme le confirme Agnès Maillot : « Au début du mois de décembre, en effet, les représentants des Églises Chrétiennes avaient publié un texte condamnant la violence armée, et tout particulièrement celle de l‘IRA »671. En effet, l‘année 1974 avait été marquée par de nombreux attentats de l‘IRA notamment sur le sol britannique, par exemple le 14 juillet 1974 à Manchester et à Birmingham, ou encore le 21 novembre 1974 de nouveau à Birmingham, lorsque l‘IRA fit exploser des bombes dans deux pubs de la ville, causant au total vingt-deux victimes672. À la suite de ces attentats, le gouvernement britannique décida d‘introduire la loi sur la Prévention du Terrorisme, permettant, entre autres, de procéder à des détentions préventives sans inculpation. En frappant le sol britannique, l‘IRA déclarait agir en représailles : « La guerre est planifiée, gérée et financée à partir de l‘Angleterre et il est donc logique pour une armée de guérilla d‘user de représailles en plein cœur du territoire ennemi »673. Pour le groupe il s‘agissait également de faire réagir le gouvernement britannique, comme il le confirmait dans son entretien le 13 décembre 1974 : à la question « Que comptez-vous accomplir en portant la guerre irlandaise en Angleterre ? »674, l‘IRA répondait « un changement radical de la politique actuelle menée par le gouvernement britannique concernant l‘Irlande »675. Toutefois

669 « c) A general amnesty for all political prisoners, Loyalists and Republicans, in British and Irish jails. » Ibid.

670 Peter Taylor, Provos: the IRA and Sinn Féin, op. cit., p. 172.

671 Agnès Maillot, The IRA, op. cit., p. 106.

672 L‘IRA n‘a cependant jamais revendiqué ces attentats. Six personnes furent arrêtées et condamnées à perpétuité en 1975. Les « Birminham Six », tels qu‘ils étaient surnommés, furent finalement innocentés et libérés en 1991.

673 « The war is planned, directed and financed from England and it is only logical for a guerilla army to strike back right at the heart of army territory. » Provisional I.R.A. Leadership Answers Questionnaire, Irish Republican Information Service, 13 December 1974, p. 2 (Question n° 1).

674 « What do you hope to accomplish by bringing the Irish war to England ? » Ibid.

675 « A drastic change in the present policy of the British Government towards Ireland. » Ibid.

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l‘IRA fut lourdement condamnée par l‘opinion publique britannique pour ces attentats.

Il faut également noter l‘étendue de la violence des paramilitaires loyalistes cette même année, notamment lors des attentats du 17 mai 1974 en République à Dublin et à Monaghan676. L‘IRA devait d‘ailleurs reconnaitre que sa lutte armée exposait la communauté catholique du Nord à la violence des paramilitaires loyalistes mais aussi à des mesures plus drastiques de l‘armée, comme le souligne Peter Taylor :

Ils [les chefs de l‘IRA] étaient conscients du besoin de répondre à la pression grandissante de plusieurs groupes issus de son propre peuple du Nord, pour mettre fin à une campagne qui faisait de leur vie un cauchemar, tandis qu‘ils étaient pris dans le carcan des mesures de sécurité oppressives de l‘armée britannique et exposés à la campagne meurtrière et sectaire des paramilitaires loyalistes677.

Le rapport de la visite de Frank Steele et Michael Oatley, agents du service secret de renseignements britannique (MI6), les 4 et 5 avril 1974 dans les quartiers du Bogside et de Creggan à Derry, semblait confirmer la pression d‘une partie de la population nationaliste sur l‘IRA afin que le groupe accepte de mettre fin à sa campagne armée, comme l‘indique la déclaration de l‘un des agents :

Selon toutes les personnes que j‘ai vues, la campagne des Provisoires est critiquée de manière générale dans le Bogside et dans Creggan. Plusieurs de mes contacts ont affirmé qu‘ils mettaient la pression sur leurs contacts de l‘IRA provisoire afin de faire cesser la violence. Il est possible, sinon probable, que les Provisoires cessent-le-feu, malgré leur annonce du contraire. Les Provisoires sont maintenant perçus comme une nuisance et un obstacle pour ceux qui veulent un retour à la normale678.

Toutefois la pression que subissait l‘IRA n‘était pas le seul facteur qui l‘avait incitée à cesser ses activités violentes. Dans une note du 16 septembre 1974 adressée à Harold Wilson, alors Premier ministre britannique, Merlyn Rees, Secrétaire d‘État pour l‘Irlande du Nord, faisait référence à la volonté de certains chefs des Provisoires d‘en finir avec la violence, une volonté exprimée lors d‘une assemblée réunissant notamment des membres de l‘UDA et de l‘IRA, tenue entre le mois de juillet et le mois de

676 L‘UVF se déclarera plus tard le seul responsable de ces attentats.

677 « They were conscious of the need to respond to mounting pressure from sections of their own people in the North, to end a campaign that was making life a nightmare as they were hemmed in by oppressive security measures of the British army and exposed to the murderous sectarian campaign of the loyalist paramilitaries. » Peter Taylor, Provos: the IRA and Sinn Féin, op. cit., p. 176.

678 « According to all the people I saw, there is widespread criticism in the Bogside and Creggan of the Provisionals‘campaign. Several of my contacts claimed that they and others were putting pressure on their Provisional IRA contacts to stop violence. It was thought possible if not probable that the Provisionals would cease fire, despite their announcements to the contrary. The Provisionals are now regarded as a nuisance and a hindrance to the much wanted return to normal life. » Report by Frank Steele of a visit to the Bogside and Creggan on 4 to 5 April 1973, p. 2, The National Archives, New Year Releases 2004, Public Records of 1973, Document reference : PREM FC0 87/247,

<http://cain.ulst.ac.uk/publicrecords/ 1973/fco87_221_3.jpg>, page consultée le 10/02/2011.

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septembre 1974679. Ce n‘est pourtant pas ce qui ressortait des déclarations du groupe armé républicain. En effet, dans une déclaration du 10 mai 1974, l‘IRA se présentait plutôt en position de supériorité en matière militaire : « L‘IRA n‘a jamais été aussi forte »680. Le groupe se félicitait d‘ailleurs d‘avoir affaibli l‘armée britannique : « Il est évident pour tout le monde que le moral de l‘armée britannique a été complémentent anéanti »681, et la victoire semblait proche : « Le peuple est proche de la conclusion victorieuse de sa lutte armée »682. Soulignons d‘ailleurs la formulation : en effet ce n‘est pas l‘IRA qui semblait proche de la victoire mais c‘est bien le « peuple » lui-même, c‘est-à-dire le peuple nationaliste du Nord, que le groupe, dans la même déclaration, remerciait d‘ailleurs pour son soutien.

Néanmoins, le facteur décisif dans la décision d‘un cessez-le-feu fut la rencontre entre six membres du Conseil de l‘Armée de l‘IRA et des hommes d‘Église protestants, membres du Irish Council of Churches (ICC)683, qui eut lieu le 10 décembre 1974 à Feakle dans le comté de Clare en République d‘Irlande, afin d‘étudier la possibilité d‘un cessez-le-feu. Suite à cette rencontre, l‘IRA déclara effectivement un cessez-le-feu temporaire du 22 décembre 1974 au 2 janvier 1975 afin de laisser au gouvernement britannique le temps d‘étudier les demandes des républicains énoncées lors des discussions de « Feakle »: « Le gouvernement a reçu des hommes d‘Église ce qui semble être les propositions de l‘IRA provisoire pour une paix permanente »684. Afin de laisser plus de temps aux autorités britanniques pour étudier ses propositions, l‘IRA avait prolongé son cessez-le-feu jusqu‘au 17 janvier.

679 Memo from Merlyn Rees to Harold Wilson, 16 September 1974, paragraph 2, The National Archives, New Year Releases 2005, Public Records of 1974, Document reference: PREM 16/151 (Marked Top Secret), <http://cain.ulst.ac.uk/publicrecords/1974/prem_16_151_doc4.jpg>, page consultée le 10/02/2011.

680 « The IRA has never been stronger. » IRA Operations and War News, Irish Republican Information Service, 10 May 1974, p. 4.

681 « It must be obvious to everyone that the British Army‘s morale has been totally shattered. » Ibid.

682 « The people are approaching the victorious conclusion of their armed struggle. » Ibid., p. 5.

683 L‘ICC est un regroupement d‘Églises chrétiennes, issu d‘une première organisation créée en 1922.

L‘objectif de ce Conseil est « de promouvoir le bien-être spirituel, physique, moral et social des gens » et de propager la foi dans le monde. Irish Council of Churches, <http://www.irishchurches.org/about>, page consultée le 14/02/2011.

684 « The Government has received from the Churchmen what it understands to be the Provisional IRA‘s proposals for a permanent peace. » Letter dated 31/12/1974 and enclosure, minute dated 18/1/1975 withheld, Records of the Prime Minister's Office: Correspondence and Papers, 1974-1979, The National Archives, Kew (ref: PREM 16/515).

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Ainsi la fin de la violence armée de l‘IRA semblait-elle envisageable au début de l‘année 1975. L‘IRA maintenait que cette décision n‘était en rien un aveu de faiblesse.

Le groupe se déclarait au contraire au mieux de sa capacité militaire et refusait les allégations de propagande685. Le gouvernement britannique, de son côté, avait facilité la décision de l‘IRA en annonçant la suppression progressive de l‘internement et la légalisation du Sinn Féin le 4 avril 1974. Le gouvernement avait également eu recours à la voie de communication déjà utilisée en 1972 afin d‘entrer en contact avec l‘IRA686. L‘enjeu était de taille : il était question de mettre définitivement fin à la violence dans la Province.