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Discussions sans négociations avec les républicains

Chapitre III. La fin de la violence de l’IRA

I. La Trêve de l’IRA

I.3 La trêve de l’IRA : 10 février 1975 - 23 janvier 1976

I.3.2 Discussions sans négociations avec les républicains

Dans son télégramme du 20 février 1975 adressé à l‘ambassadeur britannique à Dublin, James Callaghan confirmait la volonté du gouvernement britannique de poursuivre les discussions avec le Sinn Féin afin de consolider le cessez-le-feu, comme le demandait l‘IRA dans le point 11 de son plan :

Pour l‘avenir, des contacts seront maintenus aussi longtemps qu‘il sera nécessaire entre des représentants officiels d‘Irlande du Nord et le Sinn Féin provisoire au profit de la consolidation du cessez-le-feu706.

Toutefois il mettait l‘accent sur le fait qu‘aucune négociation n‘avait été engagée entre des représentants d‘Irlande du Nord et le Sinn Féin : « Mais aucune action hâtive n‘est envisagée. Et les représentants ne sont pas autorisés à entrer dans quelque négociation politique que ce soit »707. Notons que James Callaghan ne parlait pas de discussions avec l‘IRA mais avec le Sinn Féin, et qu‘il insistait lourdement sur le fait qu‘aucune négociation n‘avait été engagée avec les républicains. Lors d‘une rencontre le 30 décembre 1974 à Hollywood dans le comté de Down avec le Secrétaire Général708, qui

705 « As to the carrying of firearms, it was made clear that this could only be permitted in strict accordance with existing provisions of the law. » Ibid., paragraph 7. En Irlande du Nord, la législation en matière de port d‘armes reposait alors sur la loi de 1969, Firearms (Northern Ireland) Act 1969, qui fut amendée en 1971, en 1973 et en 1975. Selon cette loi, les personnes condamnées de six mois à moins de trois ans pourraient obtenir un permis seulement cinq ans après leur libération, et celles condamnées à plus de trois ans ne pourraient plus obtenir de permis.

706 « For the future, contact will continue to be maintained as necessary between Northern Ireland Officials and the Provisional Sinn Féin in the interests of consolidating the ceasefire. » Ibid., paragraph 9.

707 « But no precipitate action is contemplated. Nor are the Officials empowered to enter into any sort of political negotiation. » Ibid.

708 Permanent Under-Secretary (PUS).

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représentait le gouvernement britannique, James M. Allan, alors diplomate pour le Ministère des Affaires étrangères, avait déjà indiqué qu‘il n‘était pas question de négociations, comme en témoigne le rapport de cette rencontre : « Le PUS [Secrétaire Général] considérait qu‘il y avait une possibilité d‘échange de points de vue par le biais d‘intermédiaires mais pas pour des négociations »709.

Quelle différence y avait-il entre des discussions et des négociations ? James Molyneaux, alors membre unioniste du Parlement britannique, avait fait référence à cette distinction subtile lors d‘une rencontre le 21 janvier 1975 à Londres avec Merlyn Rees, comme l‘indique le compte-rendu de cette rencontre :

[…] bien qu‘il [James Molyneaux ] soit tout à fait satisfait que le Secrétaire d‘État et ses représentants ne soient pas engagés dans des « négociations », il semblait difficile pour l‘UUUC, avec le temps, de faire la distinction entre des « négociations » et des « explications »710.

En effet il paraît difficile de distinguer un processus de discussions ou d‘explications d‘un processus de négociation. Négocier signifie « traiter, discuter en vue d‘un accord » ou « engager des pourparlers en vue de régler un différent ou de mettre fin à un conflit

»711. Il s‘agit donc bien de « discussion » entre des personnes ayant des points de vue divergents.

Associé à la théorie des jeux, le processus de négociation est perçu de différentes manières. Dans son ouvrage La fabrication de la paix, Jean-Luc Marret, spécialiste en sociologie des relations internationales, décrit le processus de négociation comme un

« puzzle à résoudre »712. D‘autres le définissent comme un processus de

709 « The PUS thought that there was a possibility of exchange of views through third persons but not negotiation. » Note of a meeting between British government officials and Protestant clergymen, 30 December 1974, Marked Secret, New Year Releases 2006, Public Records of 1975, Document reference:

PREM 16/515/4, <http://cain.ulst.ac.uk/publicrecords/1975/prem_16_515_4.jpg>, page consultée le 10/02/2011. Stanley Worrall et Jack Weir, hommes d‘Église présents lors de la rencontre avec des représentants de l‘IRA à Feakle en décembre 1974, participèrent également à cette réunion.

710 « […] although he was perfectly satisfied that the Secretary of State and his officials were not engaging in ‗negotiations‘ the UUUC would find it difficult to accept the distinction between

‗negotiations‘ and ‗explanations‘, particularly as time went on. » Note of Meeting between M. Rees and J. Molyneaux, 21 January 1975), p. 1, paragraph 3, PRONI Public Records, CENT/1/3/40, Belfast, PRONI, <http://cain.ulst.ac.uk/proni/1975/proni_CENT-1-3-40_1975-01-21.pdf>, page consultée le 02/02/2011.

711 Le Petit Larousse, 2003.

712 Jean-Luc Marret, La fabrication de la paix, nouveaux Conflits, nouveaux acteurs, nouvelles méthodes, Paris, Ellipses, Collection « Perspectives Stratégiques », 2001, p. 62. En tant que processus, la négociation comprend plusieurs étapes généralement interpénétrées : la phase de préparation, décrite comme une phase cruciale dont dépendra le résultat, ne se limitant pas à l‘élaboration d‘un planning, mais prenant en considération les attentes et les espoirs des participants ; la phase de définition du programme

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« marchandage ». Notons d‘ailleurs que « négocier » vient du latin negotiari qui signifie

« faire du commerce ». Cette interprétation doit beaucoup aux travaux de Thomas Shelling, économiste et Prix Nobel américain, spécialiste des conflits stratégiques.

Selon Reynald Bourque et Christian Thuderoz, spécialistes de la sociologie des négociations, la négociation n‘est ni une « médiation », ni un « arbitrage », ni une

« concertation »713. Ils associent la négociation à un processus de communication entre les protagonistes, dont l‘élément majeur repose sur « l‘interdépendance des parties : la décision à prendre les réunit »714.

Toute négociation réunit des parties en conflit, mais recherchant par elles-mêmes et volontairement la résolution (ou la réduction) de leurs désaccords. Leurs intérêts sont divergents, mais elles doivent prendre des décisions communes, en raison de leur interdépendance715.

La notion d‘interdépendance est fondamentale. Christophe Dupont716 définit la négociation comme « une activité qui met en interaction plusieurs acteurs qui, confrontés à la fois à des divergences et à des interdépendances, choisissent (ou trouvent opportun) de rechercher volontairement une solution mutuellement acceptable »717.

Dans notre contexte, la notion d‘interdépendance est essentielle. En effet, d‘une part, le gouvernement britannique, qui avait pour objectif de mettre fin à la violence et de restaurer un gouvernement nord-irlandais viable, avait besoin de l‘IRA pour y parvenir, et, d‘autre part, l‘IRA attendait du gouvernement britannique l‘annonce de son retrait et la reconnaissance du droit à l‘autodétermination du peuple irlandais. Toutefois, le gouvernement britannique ne pouvait reconnaître qu‘il négociait, même indirectement, avec les républicains, et en particulier avec l‘IRA, puisque cela impliquait de négocier avec ceux qu‘il considérait comme des terroristes et impliquait de les reconnaître en tant qu‘interlocuteurs respectables. En effet, Reynald Bourque et Christian Thuderoz indiquent que le processus de négociation est « symétrique », puisque tout ce qui est valable pour l‘un, l‘est pour l‘autre, et tout ce qui est acceptable

de discussion ; la phase de définition des méthodes de négociation, des moyens de parvenir à un accord, et enfin la phase d‘élaboration d‘un accord (p. 63).

713 Reynald Bourque et Christian Thuderoz, Sociologie de la négociation, op. cit., p. 6.

714 Ibid.

715 Ibid.

716 Ancien professeur à l‘École Supérieure de Commerce (ESC) de Lille.

717 Christophe Dupont, La Négociation : Conduite, théories, applications, Paris, Dalloz Sirey, 1994, p. 11.

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pour l‘un doit l‘être pour l‘autre718. Cependant, le gouvernement britannique ne pouvait accepter de traiter d‘égal à égal avec les républicains, que ce soit avec le Sinn Féin ou avec l‘IRA. Rappelons d‘ailleurs que le plan en 12 points proposé par l‘IRA mentionnait effectivement une « trêve bilatérale », impliquant généralement un arrêt des hostilités entre deux parties de même nature, ou qui se reconnaissent comme telles, alors que les parties concernées étaient tout à fait différentes : le gouvernement d‘un état puissant d‘un côté et un groupe paramilitaire clandestin de l‘autre.

Il était donc vital pour le gouvernement britannique de maintenir cette distinction entre discussions et négociations, ou entre explications et négociations, lui donnant ainsi le moyen de se justifier et de se défendre au cas où il serait accusé d‘avoir négocié avec l‘ennemi.