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I Représentations sociales des médicaments

1) Représentations de l’action des médicaments hypotenseurs

Les anthropologues ont montré que le médicament aide le malade « à repérer et à comprendre intellectuellement la maladie et ses causes », il a un pouvoir d’explication et de légitimation de la maladie, de transformer une expérience objective en une réalité concrète (Van der Geest et Whyte, 2003). Ainsi, certains définiront l’hypertension artérielle comme une « maladie » puisqu’ils prennent des médicaments (cf. chapitre I). De même, les représentations de l’action des médicaments hypotenseurs par les personnes traitées leur permettent de préciser ou de comprendre la physiopathologie de l’hypertension artérielle, de comprendre les représentations du médecin et celles qui sont véhiculées dans les médias. Ces représentations permettant en retour l’adhésion à telle ou telle classe thérapeutique. Cette démarche n’est d’ailleurs pas spécifique des patients. Nous avons remarqué, à la lecture des traités médicaux1, que la physiopathologie de l’hypertension artérielle essentielle était à peine effleurée (contrairement aux hypertensions artérielles dites secondaires), alors que les mécanismes d’action des médicaments hypotenseurs sont très largement explicités. Les constructions des chapitres consacrés à l’hypertension artérielle dans les différents ouvrages laissent à penser que l’étudiant en médecine, ou le médecin, doit procéder à une reconstitution

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Parmi ceux qui font autorité, on citera : Godeau P, Herson S, Piette JC, Traité de médecine, Paris, Flammarion, 2004 (4e édition)

a posteriori de la physiopathologie de l’hypertension artérielle à partir des modes d’action des médicaments décrits, les effets des médicaments expliquant les mécanismes de l’élévation anormale de la pression artérielle. Cette imprécision sur les mécanismes causals et sur l’étiologie des hypertensions dites « essentielles » dans la pensée biomédicale contribue aussi, probablement, aux défauts d’explications (de la maladie et des traitements) par les médecins (généralistes et spécialistes) dont se plaignent les patients.

Toutes les personnes interviewées n’ont pas de représentation explicitée de l’action des hypotenseurs. Pour certaines, la connaissance des causes de l’hypertension et du mode d’action des médicaments hypotenseurs n’est pas une condition indispensable de l’adhésion au traitement, celle-ci pouvant exister en dehors d’une représentation de l’étiologie de la maladie1 :

« J’ai discuté avec mon médecin et ce qui m’apparaît un peu dommage dans tous ces traitements, c’est qu’on soigne les effets mais pas la cause ! (...) mais cela (la tri-thérapie) me semble des soins à court terme, au ras des pâquerettes puisqu’on ne soigne jamais la cause de l’hypertension. Par contre quand je vais chez l’acupuncture, il ne me donne pas la cause mais je sens les effets.» (Edouard, 63 ans, cadre)

Ainsi, beaucoup d’enquêtés ne savent pas (ou ne s’imaginent pas) comment agissent les médicaments hypotenseurs :

Pierre (57 ans, ouvrier): ne sait « pas du tout »

Jacqueline (55ans, aide à domicile): « Alors là, je n'en ai aucune idée (Rires). Franchement, je n'en ai aucune idée. Je sais qu'ils me font du bien et ça me suffit, je ne vais pas chercher plus loin!! Ils sont efficaces puisque ma tension a baissé sans effets secondaires »

Mathilde (55ans, infirmière): « je n'ai même pas lu la notice. On a dû me l'expliquer, mais l'explication a dû me satisfaire parce que je m'en souviens plus. On va dire ça comme ça » Nestor (61 ans, employé): « Le médecin me l'a expliqué mais bon, ils ont souvent des termes un peu difficiles à comprendre et surtout difficile à retenir »

Alida (80 ans, employée): « Je ne sais pas vraiment mais j’ai lu la notice dedans et je vois que c’est pour le cœur et la tension »

Justine (48 ans, secrétaire): « En fin de compte, je sais que je n’ai pas intérêt d’arrêter les médicaments mais cela s’arrête à peu près là »

Pour certaines personnes interviewées, il ne leur semble pas utile, ni souhaitable de connaître le mode d’action des médicaments. Ce savoir est réservé au médecin et ils craignent que leurs questionnements puissent être interprétés comme un manque de confiance et nuire à la relation médecin-patient.

« Cela ne m'intéresse pas de savoir comment les médicaments agissent. Je fais confiance à mon médecin et je ne vais pas lui casser les pieds avec ça. Et puis honnêtement, je pense que cela n'est pas bon de savoir. Je peux me tromper, mais j'ai le sentiment que si j'étais à la place du médecin et que l'on me pose des questions comme cela, j'aurais l'impression que la personne n'a pas confiance dans ce que je fais. Comme j'ai confiance, je ne pose pas de question. » (Christophe, 66 ans, agriculteur)

Pour d’autres, il ne faut pas vouloir partager le savoir savant (ici le savoir biomédical) :

« Ah non pas du tout!! Et je ne cherche pas à savoir » (Zoé, 80 ans)

« Je me suis fait expliqué à quoi servaient ces médicaments mais je m’en souviens plus et puis je crois que j’ai préféré oublier. Je n’aime pas être trop curieux là-dessus. » (Paul, 59 ans, chef d’entreprise)

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Nous pensons que cette remarque s’applique aussi aux médecins, mais nous n’avons pas suffisamment de données pour l’affirmer.

Le savoir sur le médicament est réservé à un corps professionnel expert, seul habilité à manipuler le médicament, ce qui souligne la charge symbolique du médicament, vecteur de la puissance de la science.

Pour les individus qui se représentent l’action des hypotenseurs, les effets des médicaments sont étroitement liés avec les représentations de l’hypertension artérielle (physiopathologie et causes), et ne coïncident pas toujours, comme nous le verrons, avec les mécanismes d’actions « réels » de ces médicaments. L’hypertension artérielle est considérée comme un dysfonctionnement engendré principalement par les différentes formes de « stress », par le « tempérament nerveux », par l’hérédité, l’alimentation et la vieillesse. Ces différentes étiologies peuvent se regrouper en deux catégories selon les répercussions qu’elles peuvent avoir : l’une portant sur le « sang » et l’autre portant sur « les nerfs ». Néanmoins, il existe une imbrication entre le rôle des nerfs et du sang : les « nerfs » auraient des conséquences directes sur le sang alors que la réciproque n’existerait pas. Ainsi, le « sang » est l’élément central à traiter, ce qui explique l’adhésion des patients hypertendus pour les thérapeutiques qui touchent « au sang ».

1.1 - « Réguler »

Une partie des hypertendus se représente le corps et son fonctionnement sur le modèle de la machine. Dans cette conception mécaniste de la physiologie, l’hypertension survient lors d’un dysfonctionnement du mécanisme que le médicament permet alors de « réguler » :

« Je pense que cela agit dans le bon sens, cela fait baisser ma tension donc je pense que cela régularise ma tension intérieure » (Lionel, 64 ans, conseiller d’éducation)

« L’Atacand® est un bétabloquant, mais je ne sais pas exactement comment il fonctionne, c’est pour réguler la tension, c’est tout ce que je sais » (Guillaume, 54 ans, employé)

« Ils m'ont dit que le Coversyl® servait à réguler les battements du cœur mais le Fludex®, je ne sais pas » (Benoît, 60 ans, pompier)

Depuis la théorie de l’animal-machine fondée par Descartes, l’homme occidental (savant puis profane) n’a cessé de se représenter le corps humain comme une machine (Le Breton, 2001), usant de l’analogie horlogère1, hydraulique ou électrique selon l’évolution des paradigmes scientifiques. Dans les représentations d’une partie des enquêtés, l’image convoquée pour exprimer leurs ressentis est celle de la « cocotte minute », évoquant la « surpression », l’élévation de la température (« bouillonnement »), et l’analogie avec la machine à vapeur. Le dysfonctionnement peut alors survenir au niveau de la «pompe » cardiaque et de la tuyauterie qui en dépend :

« Le bêtabloquant, l'infirmière me l'a bien dit, de toute manière, c'est fait pour arrêter la pompe. Parce qu'en fait, quand j'ai beaucoup de tension, j'ai toujours le pouls très bas. Je m'aperçois que plus j'ai de la tension et plus mon rythme est bas : souvent j'ai 40 de pulsations. Si vous voulez, ce remède-là, il est fait pour arrêter le cœur, c'est normal (...) c’est le but de protéger le coeur (...)En fait, c'est la petite infirmière qui bosse en cardiologie qui m'a expliqué que c'était normal que quand ma tension montait, le médicament est là pour freiner le cœur, c'est son rôle. » (Myrtille, 66 ans, employée)

Réguler le fonctionnement du coeur et des vaisseaux sanguins (« peut-être cela donne de l'élasticité aux artères », Damien, 70 ans, ouvrier) ne suffit pas toujours à assurer la régulation de la pression à l’intérieur de la machine. Lorsque plusieurs classes thérapeutiques

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« Comme une horloge composée de roues et de contrepoids... je considère le corps de l’homme » «(Descartes,

sont nécessaires, les personnes perçoivent leurs actions comme complémentaires, la régulation étant une action dissociée de celle « d’abaisser la tension » ou de fluidifier.

« Mais il ne peut pas y avoir un seul qui combine plutôt que d’avaler trois cachets tous les matins ! Est-ce qui y’en a pas un seul qui combinerait les effets des trois ? » Il (le généraliste) m’a dit : « Non, il faut prendre les trois. » Bon, alors il y en a un qui régule, il y en a un qui fait baisser la tension, il y en a un autre qui fluidifie le sang, donc bon… » (Véronique, 70 ans, employée)

Cette régulation ne peut se faire sans une action spécifique sur la circulation des fluides, autrement dit dans une action sur un sang « trop épais ».

1.2 - « Fluidifier »1

Dans la pensée populaire, l’hypertension artérielle est souvent attribuée à un « épaississement » du sang, qui ralentit sa circulation dans le système hydraulique et élève ainsi la pression sanguine. Plusieurs enquêtés évoquent l’action des médicaments par le terme « fluidifier », certains apportant des explications complémentaires :

« Je pense que c’est un médicament (Zestoretic®) qui fluidifie le sang, pour rendre le sang moins épais, pour réguler, cela doit agir sur certaines parties du corps qui font que le sang est épais. Pourquoi il est épais, ça j’en sais rien » (Rémi, 62 ans, chauffeur routier)

« Non, je ne sais pas vraiment comment ils agissent (Aldactone® et Isoptine®), mais je sais qu'ils doivent fluidifier le sang pour éviter des caillots et ainsi de suite. Pourtant il faut éviter l'aspirine, c'est ce qu'ils m'avaient expliqué avant mon opération, donc il faut fluidifier mais pas trop. » (José, 73 ans, employé)

Ce sont principalement les médicaments diurétiques qui sont perçus comme ayant une action fluidifiante pour les enquêtés qui l’ont mentionnée. Les antiagrégants plaquettaires (« pour liquéfier le sang » Albert, 70 ans, cadre), parfois associés aux hypotenseurs chez certains, entretiennent une confusion dans les représentations populaires entre l’hypertension provoquée par « un sang épais », et la nécessité d’éviter la formation de plaques d’athérome. Ainsi, Hélène met sur un même plan, au niveau de l’action thérapeutique, le traitement antiagrégant plaquettaire qu’elle prenait, et le diurétique qu’elle prend actuellement :

« Elle me donnait un cachet et la Persantine® pour me liquéfier un peu le sang, c'était pour l'hypertension (...) pour m’aérer un peu le sang (...) Alors soit-disant ((le Furosémide®), c'est pour m'alléger le sang parce qu'on a le sang épais, c'est héréditaire » (Hélène, 80 ans, employée)

« Aérer » est une action qui se rapporte à un « allègement » du sang trop épais, plus qu’à sa fluidification. « Fluidifier » et « aérer » ne sont pas des notions identiques, mais toutes deux évoquent une circulation plus facile du sang dans les vaisseaux, une moindre résistance.

Le registre sémantique des hypotenseurs (fluidité, aération, légèreté) est exactement le contraire de celui que les personnes utilisent pour parler de leurs symptômes d’hypertension artérielle (lourdeur, épaississement, pesanteur). La thérapeutique populaire est organisée par une pensée par polarité des contraires, à l’instar de la médecine galénique ou ayurvédique (Zimmerman, 1989).

1.3 - « nettoyer »

Pour que le sang circule mieux dans la machine hydraulique, les médicaments peuvent aussi nettoyer la paroi des artères. Cette action est attribuée aux hypolipémiants :

1 Précisons pour le lecteur non-médecin que les hypotenseurs n’ont pas d’action « fluidifiante » au sens qui est

donné à une autre classe thérapeutique – les antiagrégants plaquettaires -, utilisée pour éviter ou limiter la formation des plaques d’athérome. Le registre sémantique de la fluidification est souvent utilisés par les médecins pour la classe thérapeutique des antiagrégants plaquettaires.

« Les artères étaient toutes propres, le cholestérol, c’était très propre avec les médicaments que je prenais depuis un bout de temps » (Albert, 70 ans, cadre)

«Je suppose que le Zocor® nettoie les parois des artères pour le reste, je ne sais pas » (Honorine, 72 ans).

Le cholestérol est la principale impureté circulant dans le sang qui « l’encrasse »1, l’épaissit et ralentit la circulation pour les enquêtés. « Nettoyer » la paroi des artères, ou le sang lui-même est une mesure curative ou préventive qui occupe une place importante dans la phytothérapie populaire, comme en témoigne la richesse du recensement des plantes à visée dépurative inventoriées en Haute Provence (Lieutaghi ,1986, Rigouzzo, 1993). Comme nous l’avons vu dans le chapitre I, pour la pensée populaire, les « changements de saison » (au printemps et à l’automne) sont des périodes dangereuses favorisant « l’encrassement » du sang. Des « purges », ou cures dépuratives saisonnières, sont alors pratiquées qui accompagnent le mouvement des saisons, soit au printemps (pour « renouveler le sang », ou le « décrasser des impuretés accumulées pendant l’hiver »), soit à l’automne (« pour aider le sang à passer l’hiver »)(Lieutaghi, 1986).

Ainsi, Alphonse nous explique qu’ au printemps « le sang change » « ça bourgeonne » « le sang a toujours changé à cette période là ». D’où, pour Alphonse, l’importance de la surveillance médicale au printemps, comme les « purges » que pratiquaient les anciens pour prévenir les « engorgements du sang » : « Au printemps (...) parce que tout bourgeonne (...) Parce que dans le temps, les vieux, ils vous purgeaient. Ils vous donnaient des médicaments, qu’ils faisaient eux-mêmes... on en buvait tous les matins un verre. Ils en faisaient des bouteilles et là, ça purgeait le sang (...) Les vieux sont morts et c’est fini » (Alphonse, 74 ans, agriculteur). Alphonse était agriculteur comme les informateurs provençaux de A.L. Rigouzzo (1993) qui pratiquaient des cures dépuratives à base de « badasson » (Plantago sempervirens et cynops) pour « décrasser » et « purifier » le sang et l’être dans sa globalité. Cette purification saisonnière du sang toujours pratiquée2, reflète la symbolique du sang « encore fortement empreinte de valeurs culturelles assignant au sang le reflet de l’état physique et mental, voire moral ou spirituel de l’individu » (Rigouzzo, 1993 : 88)

1.4 - « Éliminer »

Dans une étude réalisée en Haute Provence de 1992 à 1998, nous avons montré que la physiopathologie populaire nous parle d’un mal qui entre, qui sort, qui traverse le corps, plus que de catégories étiologiques endogènes ou exogènes. L’importance, dans la pensée populaire étant que le mal sorte, s’extériorise mal par les différentes voies d’élimination des fluides corporels : la sueur, les urines, les selles, les menstruations, les larmes, le pus, les crachats (Eck-Sarradon, 2003). L’action des médicaments allopathiques industriels étant souvent perçue au travers de cette représentation comme des médicaments qui permettent d’éliminer (évacuer) le mal.

Les diurétiques, dont l’action pharmacodynamique est d’augmenter la sécrétion urinaire et qui sont perçus comme tel dans la pensée populaire (un médicament « pour faire pipi »), pourraient être interprétés comme des médicaments pour « éliminer » des « toxines » ou un « excès » de liquide dans le corps comme le pense Édouard :

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Dans la médecine humorale, une humeur crasse signifie une humeur épaisse, visqueuse.Nous pouvons émettre l’hypothèse que cette représentation d’un sang qui « s’encrasse » et devient moins fluide, est née de la théorie des humeurs qui traverse notre patrimoine culturel et notre inconscient collectif. Elle a pu être favorisée aussi par une confusion sémantique entre la crase sanguine, terme médical aujourd’hui désuet, et la crasse.

2 En Haute-Provence (Voir Eck-Sarradon, 2003), mais pas seulement. La cycliste Jeannie Longo dispense sur

une radio publique tous les samedis matin des conseils « pour garder la forme » qui font appel à la même conception de la physiologie populaire, prônant des cures dépuratives par l’hydratation (« boire pour éliminer ») et la consommation de légumes et de fruits, ainsi que quelques infusions à visée purgative.

« Le diurétique, bon comme il y a des pressions sur les vaisseaux sanguins, on enlève un maximum de liquide à l’intérieur donc on évacue le plus possible l’eau » (Edouard, 63 ans, cadre)

Pourtant, les diurétiques n’ont pas cette fonction d’évacuation pour tous les enquêtés. Pour plusieurs personnes, les diurétiques n’ont d’ailleurs pas d’action anti-hypertensive :

« 1/2 Aldactazine® le matin, c'est le diurétique. Ma fille est infirmière et elle m'a bien dit : "ne te fais pas d'illusion, c'est juste simplement pour te faire aller au WC, c'est pour te soulager les reins, ni plus, ni moins". Alors finalement, je le prends ou je ne le prends pas. Alors quand j'ai envie je le prends, quand je n'ai pas envie, je le prends pas parce que je ne suis pas gêné aussi bien pour uriner que pour la selle (...) le médecin pensait que c'est un complément. Lui, il ne sait pas ce qu'on fait dans la vie alors il m'a dit : "je vais vous le donner". Celui-là, je n'y attache pas beaucoup d'importance parce que si je bois beaucoup la journée, je vais au WC toute la nuit. Si je bois pas beaucoup, j'y vais pas donc c'est bien la preuve que mes reins régulent très bien, marchent très bien. C'est un complément, c'est tout. » (Georges, 72 ans, employé).

Néanmoins, Georges se représente le mécanisme de l’hypertension artérielle comme une surpression dans les vaisseaux qui peut être levée par l’évacuation du sang (saignée) :

« Oui, c'est une pression trop importante dans les veines, je vois ça comme ça. Demandez à ma femme, j'étais rouge, le sang m'est monté quoi!! Comme si on a un coup de sang, c'est exactement pareil comme pour les bêtes avant. J'ai vu des bêtes qui avaient un coup de sang : elles avaient les yeux qui sortaient de la tête, elles avaient la tête toute enflée. On les piquait, on faisait couler le sang dans un sceau et une heure après la bête était sur pied. C'est ce qu'on appelait le coup de sang d'une bête »

Cette référence à la saignée (bien qu’elle concerne les animaux) est la seule dans notre corpus. Dans l’histoire de la médecine et du traitement de l’hypertension artérielle, la saignée et l’application de sangsues étaient réservées aux « crises d’apoplexie » ou aux hypertensions « malignes » (Postel-Vinay, 1996). Les médecins ne traitaient pas les hypertensions asymptomatiques (« légères » ou « moyennes ») avant l’apparition des premiers diurétiques

thiazidiques (1958) et surtout du premier essai clinique1 qui a démontré un « bénéfice

significatif » (1967) du traitement des hypertensions asymptomatiques (Postel-Vinay, 1996). Il reste peut-être de cette période qu’ont connue la plupart des personnes interviewées l’idée que les traitements diurétiques - et leur équivalent la saignée2 - sont indiquées dans les

hypertensions artérielles symptomatiques ou lors des hausses tensionnelles. Les diurétiques ne sont pas alors le traitement essentiel de l’hypertension artérielle, mais ils sont un « complément », comme le dit Georges dans l’extrait de discours ci-dessus, ce que dit aussi René (77 ans, profession intermédiaire) : « ça (le diurétique) c’est un complément pour faire fluidifier le sang et pour uriner » (René).

Nous voyons ainsi, avec l’exemple de Georges et des diurétiques, dont l’action d’élimination n’est pas perçue comme essentielle mais complémentaire, que les représentations populaires peuvent s’accompagner d’une minimisation de certains médicaments avec ses conséquences en matière d’observance thérapeutique.

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Cet essai dit « étude des vétérans »a débuté aux États Unis en 1963 sous la direction de Freis. 143 hommes dont la pression diastolique était comprise entre 115 et 129 mm de mercure ont été inclus dans un essai contrôlé (antihypertenseur versus placebo). Une publication de 1967 établie qu’il existe un « bénéfice significatif » a traiter ce type d’hypertension artérielle (Freis E., Veterans Administration Cooperative Study Group on antihypertensive agents. Effects of traitment on morbidity in hypertension, JAMA, 1967 ; 202, 11 : 116-122), cité par Postel-Vinay (1996)

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C’est ainsi que la saignée est présentée dans les ouvrages de vulgarisation médicale. Ainsi, dans le paragraphe concernant le traitement de l’hypertension artérielle du Nouveau Larousse Médical illustré de 1952, il est écrit : « Diurétique : saignée (100 à 200 cm3 tous les mois) ; sangsues. » (Galtier-Boissière, 1952 : 562)

1.5 - « Dilater »

Le terme « dilater » est rarement utilisé par les enquêtés :

« Actuellement, je suis en tri-thérapie c’est-à-dire que j’ai un diurétique, un bétabloquant et un autre qui dilate là (...)Alors, il (le médecin) m’a expliqué que le Flodil®, c’est pour dilater les veines (Edouard, 63 ans, cadre).

« Il (Loxen®) dilate les vaisseaux. C'est un dilatateur. C'est ça ni plus ni moins pour que le sang ne force plus pour circuler. Je pense que c'est marqué sur la notice. C'est pour