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V Représentations des conséquences éventuelles de l’hypertension artérielle

3) L'hypertension artérielle, une maladie ou pas ?

Face à de telles descriptions sur les conséquences éventuelles de l’hypertension

artérielle ou sur les risques cardiovasculaires1, ce dysfonctionnement devrait être un

phénomène redouté. La peur de la maladie semble être un des plus forts déterminants des conduites humaines en matière de santé, du moins d’après le modèle des croyances sur la santé (Health Belief Model). Ce modèle des croyances sur la santé, élaboré par la psychologie sociale (Rosenstock, 1974), postule que l’individu conscient de la gravité du problème, se sentant concerné, adoptera un comportement adapté si ce dernier présente pour lui plus

1 Cette expression de « risques cardiovasculaires » peut maintenant être employée puisque citée par nos répondants.

d’avantages que d’inconvénients. Dans cette vision utilitariste des conduites préventives, c’est une logique de coût qui s’impose. La santé est perçue comme un capital et, l’individu comme un économe et comptable qui évaluerait, en connaissance de causes, les avantages et les inconvénients des investissements à réaliser pour le faire fructifier. Certes, les interviewés ont peur de mourir mais comme ils le disent eux-mêmes : « il faut bien y aller un jour! » ou encore « il faut bien partir de quelque chose…». En réalité et étonnamment, ils sont peu nombreux (21) à être inquiets au sujet des risques éventuels de leur hypertension artérielle.

L’hypertension artérielle est un dysfonctionnement particulier, entre maladie et facteur de risque, entre maladie banale et complications graves, qui nécessite néanmoins une prise en charge médicale (consultation, surveillance, médicament, bilan biologique), en fonction de laquelle les individus pourraient se considérer comme « malade ». Les discours des enquêtés traduisent l’ambivalence de l’hypertension artérielle, entre normal et pathologique :

Louis, 64 ans, employé : « oui c’est une maladie (silence) oui, c’est un état anormal disons »

Cependant, les discours ne sont pas homogènes et s’inscrivent dans les différentes

représentations sociales de la santé et de la maladie en France, décrites dans des études qui bien qu’anciennes (Pierret, 1984), gardent leur intérêt descriptif.

La santé-vide :

Rémi, 62 ans, chauffeur routier : « En se soignant, l’hypertension, je n’en ai plus. Je prends mon médicament tous les jours et puis voilà. »

René, 77 ans, postier : « Mon hypertension, elle n’existe pas quand j’ai pris les médicaments. »

Pour Rémi et René, la diminution des chiffres tensionnels du fait du traitement, c’est-à-dire un retour complet à la normalité, annule la notion de la maladie. Ce discours est aussi tenu par certains médecins :

« En fait, le fait d’être malade. Je crois que là on n’en discute pas assez : « je prends un médicament donc je suis malade ». Alors que nous on a plutôt tendance à leur dire : bon puisque vous avez un traitement (rires) mais vous n’êtes plus malade » (M10)

Dans la représentation de la santé-vide, c’est l’absence de maladie qui définit l’état de santé. Si les malades sont asymptomatiques (« je ne souffre de rien », « je ne ressens rien », « c’est pas une maladie, moi je ne le sens pas »), certains se définiront comme malade

- Soit parce que la menace de complication existe :

Mireille, 68 ans, secrétaire : « Mais je veux dire que l’hypertension, c’est grave justement parce que c’est sournois. Ca va un moment, on se croit bien et tout, et ben, pof ! Ca casse » Louis, 64 ans, employé : « Au fond de moi elle subsiste, c’est le médicament qui la contient » - Soit parce qu’ils prennent un médicament :

Marguerite, 58 ans, secrétaire, « C’est une maladie, parce que à partir du moment où on est traité »

Le médicament participe à la socialisation de la maladie (reconnaissance d’un statut de malade) puisqu’il désigne la personne comme malade, comme nous le reverrons dans le chapitre suivant.

Santé-instrument

Laure, 68 ans, employée de maison : «Vous savez l'hypertension, on n'y pense pas tous les jours. Je fais mon petit travail, j'ai mes petites donc je pense pas à me dire : "j'ai de la tension, j'ai ceci, j'ai cela". On ne s'en sortirait pas !»

Simone, 66 ans : « Et puis c’est pas une maladie où on ne peut pas vivre avec quoi ! vous savez, il y a 25 ans que j’en ai, je ne pense pas que ça m’ai empêché de rien faire »

Dans cette représentation, la santé c’est la capacité du corps et de l’individu de « fonctionner » (travailler, assurer son rôle social). Le corps y est un instrument de travail voire une machine :

Clémentine, 43 ans, ouvrière : « Je ne vois pas mal, je ne me vois pas malade (...)Je vis avec. Des fois je me dis : est-ce que tu l’as vraiment ? Un je ne m’écoute pas et c’est la machine qui m’arrête »

Si l’état de santé se définit par le maintien d’une activité, la maladie est au contraire un handicap, ou une incapacité pour la personne d’assurer son activité habituelle. Dans ce sens, aucun enquêté ne s’est perçu « malade ».

Certains discours pourraient alors être interprétés comme des processus de déni de la maladie :

Emile, 75 ans, cadre supérieur : « Vous savez, j’avais lu évidemment qu’il fallait surveiller ça parce que ça peut entraîner des désordres vasculaires, cérébraux ou autres, mais je n’en fait pas une maladie. (…) Ah ben l’hypertension, ça peut aller jusqu’à un accident vasculaire cérébral qui vous met hémiplégique sur le bord du lit, en étant aphasique et tout le bataclan quoi ! »

Refuser de définir l’hypertension artérielle comme une maladie ou de refuser de prendre conscience des éventuelles conséquences de ce dysfonctionnement s’expliquent, certes par le fait qu’ils participent au processus d’adaptation de l’individu (lui rendant l’existence plus tolérable) mais il n’est pas la seule explication.

Emile, 75 ans, cadre supérieur : « Et puis l’hypertension, c’est tout de même très largement distribué, c’est le cas de le dire. Ce n’est pas une maladie anormale. (…) Surtout à partir d’un certain âge d’ailleurs c’est vrai que chez les très jeunes, c’est quand même plus anormal, mais chez les personnes de 70 ans, moi je vais avoir 75 ans à la fin de l’année. » Albert, 70 ans, cadre : « ça fait partie de l’âge ! c’est pas une maladie de jeune ça ! »

Annette, 68 ans, institutrice : « Il y a tellement de gens aussi qui l’ont, pourquoi j’en aurais pas ! C’est comme les lunettes ! Il y en a des gens qui ont des lunettes ! »

Emile exprime clairement que l’hypertension artérielle n’est pas une « maladie anormale… surtout à partir d’un certain âge ». L’hypertension artérielle, c’est la maladie de la vieillesse. Annette insiste particulièrement sur le nombre important de personnes qui présentent de l’hypertension artérielle. La comparaison avec le port des lunettes n’est pas anodine et souligne la banalité de ce dysfonctionnement. L’hypertension artérielle est donc un dysfonctionnement courant de la vieillesse. C’est un mal considéré comme banal dont l'individu ne se débarrasse pas, dont il ne guérit pas. La chronicité de l'hypertension artérielle et sa fréquence importante chez les personnes âgées participent à la banalisation de ce dysfonctionnement. Ainsi, les individus présentant une hypertension artérielle se « normalisent » et se considèrent comme des individus « comme les autres ».

Le temps, « l'obligation de vivre avec… » ou « de faire avec », de savoir qu'un grand nombre de personnes est touché par l'hypertension artérielle et l’expérience, pour certains interviewés, de personnes hypertendues qui décèdent à un âge très avancé ou d’une autre pathologie, collaborent à un amenuisement de la perception des dangers encourus. De plus, si nos répondants ont connaissance des conséquences éventuelles de l’hypertension artérielle, certains d’entre eux, tentent de se prémunir par une certaine hygiène de vie et par le traitement.

Quels comportements mettent-ils en place ? Comment les mettent-ils en place et comment le vivent-ils ?

Pas de symptôme Tension dans la nuque Mâchoire qui se crispe Etourdissements, vertiges...

Avoir des bouffées de chaleur, des suées

Etre rouge, prêt à éclater Maux de tête Se sentir oppressé, compressé

Sifflements, bourdonnements dans les oreilles

Palpitations Fatigue

Symptômes bénins qui attestent d'une altération au cœur.

Risques éventuels en rapport avec le cœur : Cœur qui fatigue, durcit, bat plus fort, bat

us vite, infarctus ou arrêt du cœur…

pl . Risques éventuels en rapport avec le sang : AVC, hémorragie cérébrale ou "attaque", anévrisme, "péter ses tuyaux", artères abîmées ou

bouchées, hémiplégie, rester paralysé ou "finir gaga"… Esoufflements Hypertension artérielle Tempérament nerveux Stress Hérédité Vieillesse conditions d’existence difficiles, chocs émotionnels, contrariétés

Sel, alcool, tabac, aliments gras, aliments allergènes