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V Représentations des conséquences éventuelles de l’hypertension artérielle

1) La dégradation du corps

La « fatigue du cœur », « le cœur qui durcit », « qui bat plus vite » ou « plus fort », « les artères qui se bouchent » ou « s'abîment », « les risques cardiovasculaires » (non précisés par les interviewés), « les yeux qui s'abîment », le « diabète », « l'angine de poitrine », font sans aucun doute référence à cette première catégorie.

Elise, 70 ans, aide soignante : « Et ben oui, je connais, c’est sûr. Pour le … des effets cardiaques, enfin, des effets…. Des effets secondaires, enfin secondaires… cardiaques, les artères qui peuvent se boucher, oui, tout ça je sais. »

Isidore, 74 ans, artisan : « Oui, ça m’inquiète un peu parce que je sais que ça peut avoir des conséquences sur le plan cardiaque. »

Les répercussions possibles de l'hypertension artérielle sont, ici, perçues comme une évolution à long terme, une sorte d'érosion du corps. L'hypertension artérielle est un mal qui s'étend, qui gagne du terrain mais lentement et, surtout, que l'on ressent peu, « une maladie sournoise », à l’instar du « tueur silencieux » auquel était comparé l’hypertension artérielle dans les années 1950 (Postel-Vinay, Corvol, 2000). Ainsi l'inquiétude que l'individu a vis-à- vis de son hypertension artérielle est liée à la représentation qu'il possède de l'évolution et de la gravité de son mal. Inquiétude qui est encore amoindrie par le respect d’une certaine hygiène de vie et la prise des médicaments. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet.

Soulignons que pour ces personnes, leur hypertension artérielle est asymptomatique. L’absence de symptômes ne conduirait-elle pas à moins tenir compte des éventuelles conséquences de l’hypertension artérielle ?

2) L’accident

« La mort », « l'infarctus », « l'hémiplégie », « l'attaque », « l'Accident Vasculaire Cérébral », « l'anévrisme », « finir gaga », « péter ses tuyaux », « l'embolie », « la machine qui pète » », font référence à la deuxième catégorie.

Albert, 70 ans, cadre supérieur : « L’hypertension, ça peut me faire péter des vaisseaux dans la tête. »

Louise, 76 ans : « J’ai peur… d’une crise, comment on dit ? D’une attaque, quelque chose comme ça. »

Louis, 64 ans, employé : «Je craindrais surtout que je monte très haut et que j’ai une attaque ou un… quelque chose de ce genre. »

Michel, 70 ans, artisan : « Moi, personnellement, oui, parce que je voudrais pas être affecté par euh… je dirais un handicap, quelque qu’il soit. Une hémorragie cérébrale, ou un truc qui me laisse des séquelles importantes parce que je ne voudrais pas faire vivre ça à mon fils et puis à ses proches, hein ! (…) Ah oui, c’est ça, c’est ça qui me….turlupine le plus parce que paralysé à moitié ou absent, ou impotent »

Marguerite, 58 ans, secrétaire : « Je pense que c’est grave ! En ayant de l’hypertension, je ne sais pas moi, une attaque. Il y a beaucoup de choses, des problèmes cardiaques, beaucoup de choses. »

Solange, 75 ans : « Ah oui, oui, oui, ça, non, ça je ne m’amuse pas parce que j’ai toujours peur avec le cœur et tout de rester paralysée. Ma question à moi, c’est ça : la paralysie. Parce que à ce moment-là, ça n irait pas. (…) On pense toujours au fauteuil roulant. »

Mireille, 68 ans, secrétaire : « Je lisais aussi sur des articles que l’hypertension ça peut provoquer des… au niveau cardiovasculaire, au niveau du cœur » (…) Ben, l’accident, ça peut être euh… l’accident vasculaire cérébral, la paralysie, enfin tout ce qui … Parce que l’hypertension, ça joue beaucoup là-dessus(...) Alors, c’est plus ou moins grave, mais bon, il y en a qui restent paralysés et tout ça et d’autres malheureusement… Parce que là, justement, une rupture d’anévrisme, c’est quelque chose qui se casse dans la tête ? »

Annette, 68 ans, institutrice : « Ce qui me ferait mal, ça serait d’être handicapée, par exemple, un jour que je fasse une attaque cérébrale, un caillot, voilà, une artère qui se bouche et puis que je me trouve dans un fauteuil roulant… Que je devienne… d’être au point de ne plus penser ! Ma hantise, c’est de me voir diminuer, physiquement. »

Les possibles effets de l'hypertension artérielle sont considérés comme graves et leurs répercussions dans la vie quotidienne comme importantes, immédiates, redoutées, essentielles voire vitales. Le handicap est redouté pour la perte d’autonomie qu’il implique avec ses conséquences sociales. Le savoir populaire sur les conséquences de l’hypertension artérielle se construit dans les interactions multiples, parmi lesquelles la médiatisation de l’hypertension artérielle joue un rôle (« je lisais aussi des articles... »)

Simone, 66 ans : «Ma belle-mère, elle est morte d’une congestion cérébrale, donc c’est parce qu’elle avait beaucoup de tension. (…) Et puis, on peut rester paralysé! »

Laure, 68 ans, employée de maison : « Je sais que c’est dangereux parce que ma mère, elle est décédée, elle a eu un… on était à Montpellier chez ma sœur, on attendait mon frère qui venait d’Espagne. Et, je sais pas si c’est qu’elle… parce qu’elle avait perdu mon père ça faisait pas longtemps, alors je sais pas si c’est qu’elle avait arrêté aussi ses traitements à ce moment-là. Elle a eu une attaque cérébrale quoi ! Quelques heures après elle était décédée quoi ! »

Véronique, 70 ans, employée : « Ben, c’est surtout au point de vue cérébral. J’ai souvent…. C’est ça souvent les gens… Je vois ma belle-sœur qui a fait un… qui a fait une poussée, qui a fait une petite attaque. C’est ce que j’ai peur, c’est ça surtout. C’est qui ait un problème au niveau cérébral. »

Didier, 67 ans, ouvrier : « Je vois ma femme, elle est… elle a fait une attaque avec la tension. D’ailleurs elle est couchée, elle est paralysée, elle parle plus. Elle marche avec le déambulateur tout ça. Alors j’ai peur que ça me fasse comme elle, hein ! »

La gravité des éventuelles conséquences de l'hypertension artérielle est aussi accentuée par le fait que nos répondants connaissent des proches, parents, conjoint ou personnes de leur entourage, qui ont eu des accidents attribués à l'hypertension ou qui en sont morts.

Ces extraits de discours doivent attirer notre attention sur un point. Les personnes interrogées semblent plus craindre l'accident cardiovasculaire qui laisserait un lourd handicap : la paralysie, l'impotence, le fait de ne pas pouvoir communiquer, de ne plus avoir toute sa tête, de « rester gaga » que la mort elle-même. Les discours sont plus éloquents. En tant qu'être vivant, la mort est lointaine et, ce qui se passe après ou ce qui ne si passe pas, demeure très incertain. Par contre, il est aisé de se projeter en tant qu'individu dans une véritable atteinte à la vie, d'imaginer les répercussions au quotidien d'un tel accident de santé d’autant plus lorsque l’individu l’a expérimenté directement ou indirectement.

La présence de cette crainte dans les représentations des éventuelles conséquences de l’hypertension artérielle est, peut-être aussi liée aux représentations de la vieillesse. Nos répondants sont relativement âgés. Or, « il existe une vision stéréotypée associant à l’avancée en âge, déclin physique et mental et assimilant le grand âge à la dépendance » (Haut Comité de la Santé Publique, 1994 : 436). Pour les personnes interrogées, le lien entre vieillesse et hypertension artérielle demeure bien présent. Est-ce réellement les possibles conséquences de l’hypertension artérielle que les individus redoutent ? Ou, est-ce les répercussions de la vieillesse que les interviewés craignent ? « Les vieux sont hors de la production, hors des sphères de décision, hors des circuits normaux de consommation, de formation et finalement hors des murs de nos villes… » (Veysset, 1989 : 17).