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ÉVALUATION DES DÉTERMINANTS CULTURELS ET SOCIAUX DANS LES NIVEAUX DE L'OBSERVANCE DES TRAITEMENTS HYPOTENSEURS : ÉTUDE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE

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L’OBSERVANCE DES TRAITEMENTS

HYPOTENSEURS : ÉTUDE

SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE

Aline Sarradon-Eck, Murielle Faure, Marie-Anne Blanc

To cite this version:

Aline Sarradon-Eck, Murielle Faure, Marie-Anne Blanc. ÉVALUATION DES DÉTERMINANTS CULTURELS ET SOCIAUX DANS LES NIVEAUX DE L’OBSERVANCE DES TRAITEMENTS HYPOTENSEURS : ÉTUDE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE. [Rapport de recherche] Aix-Marseille III. 2004. �hal-02151421�

(2)

MURIELLE FAURE MARIE-ANNE BLANC

ÉVALUATION DES DÉTERMINANTS CULTURELS ET

SOCIAUX DANS LES NIVEAUX DE

L’OBSERVANCE DES TRAITEMENTS HYPOTENSEURS :

ÉTUDE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE

Laboratoire d’Écologie Humaine et d’Anthropologie/CReCSS (Centre de Recherche Culture, santé, Société) (Aix-Marseille U3) :

Programme Anthropologie de la Santé

MMSH, 5 Rue du Château de l’Horloge, BP 647, 13 094 Aix-en-Provence

ADRESS (Association pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales)

MMSH, 5 Rue du Château de l’Horloge, BP 647, 13 094 Aix-en-Provence

DÉCEMBRE 2004

Financements C.N.A.M.T.S.

Appel à projet d’étude et de recherche 2001-2002 ; Thème n°2 : Dynamiques de l’observance et de la non-observance

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Équipe de recherche

Aline SARRADON-ECK : médecin, anthropologue, chercheur associé au L.E.H.A/CReCSS

Conception du projet, direction scientifique, coordination, Recueil et analyse des données, rédaction du rapport final

Murielle FAURE : anthropologue, chercheur associé au L.E.H.A./CReCSS

Recueil et analyse des données, rédaction du rapport final

Marie-Anne BLANC : sociologue, chercheur associé au L.A.M.E.S.

Recueil et analyse des données, rédaction du rapport final

Marc EGROT : médecin, anthropologue, chercheur associé au L.E.H.A./CReCSS

Conseiller scientifique sur l’analyse des données et la rédaction du rapport final Avec la participation de :

- Anne VEGA : anthropologue, chercheur associé au Centre d’Ethnologie Française Participation au recueil des données

- Anne HUMBERT-GAUDART : médecin, DEA en anthropologie, chercheur associé au L.E.H.A./CReCSS

Participation au recueil des données

Nous remercions particulièrement pour son aide tout au long de ce travail le Pr. Alice

DESCLAUX, Centre de recherche Culture, Santé, Société /LEHA (Université Paul Cézanne,

(4)

SOMMAIRE

INTRODUCTION 7

SITUATION DU SUJET 10

1) La question de l’observance

2) De l’observance à l’anthropologie de l’expérience des traitements 3) L’anthropologie du médicament

PROBLÉMATIQUE 15

MOYENS ET MÉTHODES 17

I – L’enquête de terrain

1) Ethnographie de la consultation de médecine générale 2) Enquête auprès des personnes hypertendues

II - Recueil des données

1) Ethnographie de la consultation de médecine générale 2) Enquête auprès des personnes hypertendues

3) Traitement des données III - Acceptation de l’enquête

1) Acceptation par les médecins généralistes 2) Acceptation par les personnes hypertendues

Chapitre -I- Les représentations populaires de l’hypertension artérielle

I – Les entités nosologiques populaires 24

II - Sémiologie populaire de l’hypertension artérielle 27

1) Description des symptômes

2) Les logiques de nomination 3) Les processus de cognition

III - Représentations populaires de la physiologie et de la cause instrumentale de

l'hypertension artérielle 33

1) Le sang dans la physiologie populaire 2) Les nerfs dans la physiologie populaire

3) Le climat et l’altitude, des causes instrumentales

IV - Les modèles étiologiques populaires de l'hypertension artérielle 38

1) L'hypertension artérielle, un phénomène majoritairement multicausal

2) Le « stress »

2 -1 - Le « stress », pression sociale

2 – 2 - Le « stress », choc émotionnel

3) L'hérédité

4) La « tension nerveuse » 5) L'âge ou le vieillissement

(5)

6) Les ingestions dangereuses

7) Une cause typiquement féminine de l'hypertension artérielle : la ménopause 8) L’hypertension artérielle, conséquence d’une autre maladie

V - Représentations des conséquences éventuelles de l’hypertension artérielle 53 1) La dégradation du corps

2) L’accident

3) L'hypertension artérielle, une maladie ou pas ?

VI - De l’évitement des causes aux conduites préventives 59

1) Le sel, le condiment à éviter 2) Ne pas manger gras

3) "Ne pas fumer, ne pas boire, ne pas être sédentaire" .

Conclusion - Les réseaux sémantiques de l’hypertension artérielle 65

Chapitre - II- Les médicaments hypotenseurs : Représentations sociales et expériences

I - Représentations sociales des médicaments 68

1) Représentations de l’action des médicaments hypotenseurs 69

1.1 - « Réguler » 1.2 - « Fluidifier » 1.3 - « Nettoyer » 1.4 - « Éliminer » 1.5 - « Dilater » :

1.6 - « Traiter les nerfs » : 1.7 - Être efficace et compatible 1.8 - Prévenir et protéger

2) L’ambivalence du médicament : entre cure et poison 81

2.1 - Nocivité digestive

2.2 – Quand le médicament « rend malade » 2.3 – Les effets néfastes

2.4 – À l’opposé des médicaments potentiellement toxiques : les plantes 2.5 – La dépendance au médicament :

3) Les génériques : scepticisme et résistance 88

II - Expérience des médicaments et logiques sous-jacentes 90

1) Complexité du traitement 91

1.1 - Trouver le « bon » traitement 1.2 - Le conditionnement

2) Habitudes et routine des prises 94

3) Le rangement des médicaments 95

4) Prendre son médicament au cours du repas 97

5) Ne pas oublier 98

5.1 - Utilisation de piluliers

5.2 – Pour ne pas se tromper : écrire la posologie

6) Ressentir et contrôler les effets négatifs 99

7) Le choix de ne pas prendre tout ou partie du traitement 103

7.1 - Quand les recommandations médicales nuisent à la sociabilité 7.2 - Oublier la maladie :

(6)

7.3 - Acquérir un savoir sur la maladie par l’expérimentation

8) Suivi de l’ordonnance : entre maladie et intégration sociale 107

9) La consultation médicale pour renouvellement du traitement : une contrainte

pour le patient 109

III – Le tensiomètre individuel : un outil d’expérimentation de son hypertension

artérielle 110

1) Contrôler sa pression artérielle

2) Vérifier la réalité de son hypertension artérielle 3) Trouver les facteurs déclenchants

4) Quand le tensiomètre peut être anxiogène

IV – L’observance du point de vue du patient 113

Conclusion - Les conditions sociales et culturelles du suivi de l’ordonnance 115

Chapitre - III - Le contexte de la prescription : la relation médecin-patient 118

I – Le suivi de l’hypertendu et l’interaction médecin-patient 118 1) Normalisation des chiffres tensionnels

2) Les autres facteurs de risques cardiovasculaires 3) Les causes ou facteurs déclenchants

4) Les effets secondaires 5) Observance

II – Le suivi de l’ordonnance et la relation médecin-patient 127

1) Définir l’observance du point de vue des médecins 2) Évaluer l’observance

3) Prédire l’observance

4) « L’inobservance » : une « déviance » du malade ou un échec du médecin ?

III – Le patient hypertendu et son médecin 136

1) La rencontre avec le médecin traitant

1. 2 - Le «choix » du médecin : entre conseils et réputation

1.2 - Le changement du médecin traitant : entre décision et obligation 2 ) Représentations sociales du médecin traitant :

2 .1 - Le médecin de famille 2. 2 -Le « bon docteur » 2.3 – Celui qui sait

3) Relation de confiance, hypertension artérielle et observance 3.1 – Confiance et autorité du médecin

3.2 - Patient actif : le pouvoir s’inverse

3.3 - La méfiance et le doute 3.4 – La négociation

4)L’observance, du comportement affectuel au comportement rationnel

IV- Les autres acteurs : médecins spécialistes et pharmaciens 150

1) Le spécialiste

(7)

Conclusion : L’observance : de l’obéissance au contre-don 151

CONCLUSION 153

BIBLIOGRAPHIE 159

ANNEXES

1) Présentation des médecins généralistes 171

2) Présentation socio-démographique du groupe de répondants hypertendus 172 3) Groupe de répondants hypertendus par âge, sexe, situation matrimoniale, catégorie

(8)

INTRODUCTION

L’hypertension artérielle : un problème majeur de santé publique

Selon les épidémiologistes, l’hypertension artérielle serait le premier facteur de risque global de mortalité à l’échelon de la planète (Ezzati & al, 2002). En France, sa prévalence est de 16,5 % dans la population générale des plus de 20 ans (Frérot & al, 1999), soit 6,8 millions d’individus hypertendus.

Non traitée, l’hypertension artérielle est un facteur de risque majeur d’accident vasculaire cérébral, de maladie coronaire, d’insuffisance cardiaque congestive, d’insuffisance rénale et d’hypertension artérielle maligne (avec ses complications cardio-vasculaires et neurologiques). Les traitements hypotenseurs, en réduisant la pression artérielle diastolique et systolique, permettent une diminution de l’incidence des accidents vasculaires cérébraux (de 34 à 56 %) et les accidents coronaires (de 21 à 37 %) (ANAES, 1997). Néanmoins, l’hypertension artérielle n’étant pas une « maladie » mais un « état tensionnel anormal »,la difficulté pour les cliniciens est d’établir un seuil de pression artérielle au-delà duquel « un bilan de retentissement, un bilan étiologique et un traitement antihypertenseur sont recommandés » (Godeau, 2004 : 2).

La difficulté à définir un seuil

En France, l’ANAES (Agence Nationale d’Évaluation et d’accréditation en santé), à la suite de l’OMS (1999) recommande de traiter les personnes dont la pression artérielle est supérieure ou égale à 140 mmHg pour la pression artérielle systolique (PAS) et/ou 90 mmHg

pour la pression artérielle diastolique (PAD)1 ; l’ANAES ne retenant pas, pour décider de

l’instauration d’un traitement, les sous-classifications diagnostiques des hypertensions artérielles (« limite », « légère », « modérée »)2. Mais ce positionnement est « pragmatique » pour deux raisons essentielles : 1) le traitement hypotenseur est justifié si la réduction du risque conférée par la baisse de la pression artérielle surpasse les effets indésirables du traitement (rapport bénéfices/risques liés au traitement) ; 2) difficultés à définir un seuil permettant de définir scientifiquement une hypertension artérielle dans les données épidémiologiques. En effet, une corrélation est attestée entre une élévation de la pression artérielle et la mortalité d’origine vasculaire (Accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, autre cause vasculaire) pour des chiffres tensionnels situés au-dessous de 75 mmHG (PAD) et 115 mmHG (PAS), aucune autre donnée n’étant disponible pour des chiffres

tensionnels en dessous de ces seuils3. Cela montre la difficulté de définir un seuil

d’hypertension artérielle et explique le changement constant des recommandations en matière de traitement de l’hypertension artérielle (abaissement du seuil), qui n’est probablement pas sans incidence sur les pratiques des soignants (adhésion aux recommandations, attitude thérapeutique minimaliste ou maximaliste, etc.).

1 Après une période d’observation de 3 à 6 mois comportant au moins 3 consultations avec 2 mesures par

consultation, et l’instauration pendant cette période de mesures non médicamenteuses pour abaisser la pression artérielle et agir sur les cofacteurs de risque (ANAES, 2000)

2 En 2003, le Comité américain de lutte contre l’hypertension artérielle a proposé différents stades :

« préhypertension » (PAS : 120-139 ou PAD : 80-89), « hypertension de grade I (légère) » (PAS : 140-149 ou PAD : 90-99), « hypertension de grade II (modérée) » (PAS > 159 ou PAD > 99) » (Chobanian & al 2003)

3

Une relation log-linéaire entre le risque de mortalité par AVC ou par infarctus du myocarde ou autre cause vasculaire existerait jusqu’à une diastoloique de 75 et une systolique de 115, les données manquant pour l’évaluer en dessous de ces seuils (Lewington & al, 2002)

(9)

Le traitement de l’hypertension artérielle : un problème économique

Les dépenses pharmaceutiques pour traiter l’hypertension artérielle s’élevait en France en 2001 à 1,4 milliards d’euros par an (CNAMTS, 2001). Elles représentaient, en 1996, 12% de l’ensemble des dépenses pharmaceutiques. De plus, les dépenses globales de soins de ville des hypertendus sont doubles de celles des non-hypertendus (1145 € par personne et par an versus 584 €), et si l’on compare les deux populations à âge et à sexe comparable, les dépenses des hypertendus sont 1,7 fois supérieures à celles des non-hypertendus (principalement en consultations de généralistes, de cardiologues et en dépenses pharmaceutiques) (Frérot & al, 1999). Cette augmentation des dépenses est liée aux complications dues à l’augmentation de la pression artérielle.

Les hypertensions artérielles non contrôlées par les traitements : un problème clinique, économique et de santé publique

L’objectif du traitement est actuellement, selon les recommandations de l’ANAES (2000), de faire baisser la pression artérielle à moins de 140/90 mmHg chez les patients de moins de 60 ans, et d’abaisser la pression artérielle systolique en dessous de 160 mmHg chez les patients de 60 à 80 ans, indépendamment de la pression diastolique. Cependant, les cliniciens sont souvent confrontés à des patients dont les chiffres ne s’abaissent pas suffisamment malgré les bi-thérapies ou tri-thérapies proposées. En France, une étude en cours de la CNAMTS suggère que pour 46,7 % des personnes hypertendues traitées en 2000, bénéficiant de l’exonération du ticket modérateur pour hypertension artérielle sévère, le contrôle tensionnel n’est pas atteint (Guilhot & al, 2002). Les hypertensions artérielles dites « résistantes au traitement » ou « réfractaires » représentent à la fois un problème clinique, un problème de santé publique en raison des leurs risques de complications cardio-vasculaires, et également un problème économique car elles conduisent à une inflation des prescriptions d’hypotenseurs (ANAES, 1997).

L’observance insuffisante aux hypotenseurs : un problème de santé publique ?

Face à ces hypertensions artérielles réfractaires, les cliniciens sont invités à suivre une démarche clinique qui recherche des causes d’inefficacité thérapeutique : observance insuffisante du traitement, utilisation de médicaments susceptibles de neutraliser l’effet des hypotenseurs, prise d’agents presseurs (ANAES, 2000). De récentes études cliniques suggèrent que l’observance insuffisante des traitements hypotenseurs serait responsable de 2/3 des hypertensions artérielles non-contrôlées (Bertholet & al, 2000 ; Mar & al, 2001 ; Wuerzner & al, 2003) et que l’amélioration de l’observance médicamenteuse par l’utilisation de piluliers électroniques est corrélée à une diminution de la pression artérielle (McKenney, 1992)

Les hypertensions artérielles non contrôlées posent donc implicitement le problème de l’observance thérapeutique des personnes hypertendues. L’observance aux hypotenseurs étant classiquement, et du point de vue biomédical, considérée comme « mauvaise » (Girerd, 1998), malgré la simplification des traitements par monoprise, les recommandations et guides de bonnes pratiques1 et la sensibilisation des praticiens à la notion d’observance thérapeutique.

Néanmoins, les chiffres du degré de l’observance aux hypotenseurs sont très variables dans la littérature biomédicale en fonction des populations d’hypertendus. En effet, le degré d’observance n’est pas le même selon que les patients sont inclus dans des essais cliniques et ainsi fortement motivés à suivre leur traitement selon les recommandations médicales, selon que les patients sont suivis dans un service spécialisé et également très motivés, et la population suivie en médecine de ville. Dans cette dernière population, le degré d’observance

(10)

aux hypotenseurs serait le plus faible (34 % pour une étude suédoise1, 55 % pour une étude canadienne2). Nous ne disposons pas de données quantitatives sur le degré d’observance aux hypotenseurs dans la population française suivie en médecine de ville.

L’observance aux hypotenseurs est ainsi au centre des préoccupations médicales et de nombreuses études pour améliorer l’observance thérapeutique ont été conduites en Amérique du Nord3, comme dans d’autres champs de la pathologie.

Dans ce contexte d’interrogations médicales sur l’observance, notre étude, menée dans le Sud-Est de la France, a pour objectif de décrire et d’analyser l’usage des médicaments de personnes hypertendues traitées afin de comprendre les logiques sociales et culturelles sous-jacentes aux « pratiques médicamenteuses » (Conrad, 1985) des patients afin d’aider les médecins à adapter leur counselling pour diminuer les complications cardio-vasculaires de l’hypertension artérielle. Elle s’inscrit dans une approche anthropologique qui est une approche inductive et compréhensive.

1 Dans une population de personnes âgées suédoises prenant un antihypertenseur suivie pendant 3 ans (Bauer,

Teissier, 2001)

222 % avait pris moins de 50 % du traitement, 23 % entre 50 et 80 % du traitement, et 55 % avaient pris plus de

80 % du traitement (Unger, 1995)

(11)

SITUATION DU SUJET 1) La question de l’observance

Dans sa définition la plus générale, l’observance est le « degré de concordance entre le comportement d’un individu (en termes de prises médicamenteuses, de suivi de régime ou de changements de style de vie) et les prescriptions ou recommandations médicales » (Bauer, Teissier, 2001). L’observance thérapeutique désigne un degré d’application des prescriptions médicales par le malade : posologie, nombre de prise, horaires des prises, durée du traitement, recommandations coorélées. L’observance est quantifiée en pourcentage exprimant le degré ou le niveau d’observance du malade. Il est admis qu’il est requis d’obtenir un degré d’observance supérieur à un seuil en dessous duquel, soit le traitement n’est plus efficace, soit des complications apparaissent (résistances virales ou bactériennes par exemple). Si pour certains traitements ce seuil a pu être clairement identifié (c’est le cas des antirétroviraux pour lequel le taux d’observance nécessaire à la pleine efficacité du traitement est de 90 % ANRS, 2001), ce seuil n’a pas fait l’objet d’étude précise pour les traitements hypotenseurs. Il est classiquement admis dans la littérature depuis les travaux de Haynes RB et al (1976) que le seuil minimal d’observance thérapeutique pour obtenir un contrôle de la pression artérielle est de 80 % de la dose de médicaments prescrits. Mais cette définition biomédicale d’un seuil de l’observance des hypotenseurs est reconnue arbitraire, ne s’appuyant pas suffisamment sur des corrélations avec la mesure de la pression artérielle (Ebrahim, 1998). De plus, elle ne tient pas compte des nouvelles formes galéniques (monoprise, libération prolongée), ni des nouvelles molécules apparues depuis. Elle ne précise pas l’intervalle minimal entre deux prises (une personne qui prendrait son traitement 8 jours sur 10, ou 24 jours consécutifs avec un arrêt de 6 jours consécutifs par mois est-il suffisamment « observant » ?). Elle ne précise pas, pour les bi ou tri-thérapies, le seuil nécessaire pour chaque hypotenseur. Peut-on dans ce cas étudier « l’observance » des hypotenseurs, et ses déterminants, alors que sa définition reste imprécise ? Comment les praticiens et les malades peuvent aborder cette question au cours de la rencontre clinique si les recommandations s’appuient sur un vague consensus et non sur des « preuves » ?

Néanmoins, l’analyse de l’observance des hypotenseurs a fait l’objet de nombreux

travaux1 cliniques et épidémiologiques parce qu’elle pose un problème (clinique, en santé

publique et économique), du fait de la fréquence des hypertensions artérielles non contrôlées. La plupart des études se sont attaché à mesurer le degré d’observance des hypertendus traités, d’autres évaluant la méthode de mesure la plus appropriée pour quantifier le degré d’observance des personnes traitées. Néanmoins, cette approche épidémiologique de quantification et d’évaluation du degré d’observance a ses limites. En effet, bien que des moyens simples comme les auto-questionnaires semblent être aussi efficaces que l’utilisation plus sophistiquée de piluliers électroniques (Girerd, 2001), évaluer de façon objective et rigoureuse l’observance thérapeutique reste une difficulté (Farmer, 1999).

De plus, la mesure du degré d’observance à un jour J du traitement ne permet pas

d’affirmer qu’un individu n’est pas observant (Chesney, 1999). Cette approche de

construction d’indicateurs de mesure d’observance permet seulement d’objectiver une variabilité dans les comportements des patients sur laquelle de nombreuses recherches empiriques se sont appuyées pour rechercher des facteurs explicatifs d’une « bonne » ou « mauvaise » observance, afin d’expliquer et de prédire les comportements des malades :

1

Farmer a recensé 2630 articles, indexés dans MEDLINE entre 1990 et 1999, centrés sur l’observance ou l’adhésion thérapeutique (Farmer K, 1999)

(12)

facteurs liés au médicament lui-même, facteurs liés au patient, facteurs liés aux soignants et à l’institution (Morin, 2001).

Des facteurs déterminant le niveau d’observance aux hypotenseurs ont ainsi été

identifiés :

- Facteurs liés aux traitements : la complexité du traitement (multiplicité des prises) et les effets secondaires des médicaments (principalement les dysfonctions sexuelles, la polyurie) dans des situations sociales spécifiques sont considérés comme un obstacle à l’observance (Reugel, 2000). Ces facteurs (complexité et effets secondaires) sont les seuls qui aient été clairement identifiés dans l’observance des hypotenseurs. Mais leur suppression ne semble pas régler le problème d’une observance insuffisante, ou du moins des hypertensions artérielles non-contrôlées.

- Facteurs liés à l’interaction médecin-patient :

- L’adhésion des médecins: il a été démontré que l’adhésion des médecins aux traitements qu’ils prescrivent, c’est-à-dire l’adéquation entre les recommandations médicales édictées et leurs propres convictions, est une condition importante de l’adhésion thérapeutique des patients (Myers & al, 1998). Ainsi, une étude américaine a montré que 50 % des personnes, qui auraient dû recevoir un traitement hypotenseur en raison de leurs chiffres tensionnels, n’ont pas été traitées (Cohen & al, 1985)

-La communication médecin-patient a mobilisé l’attention des chercheurs avec des questions comme l’information donnée aux patients (quantité, contenu, compréhension de cette information), la compliance du praticien, la compréhension du traitement par les patients (Kjellgrenk, 2000) comme facteurs favorisants l’observance. Dans un champ thérapeutique proche de celui de l’hypertension artérielle (traitement des insuffisances cardiaques), l’observance croît avec le niveau de communication, la relation de confiance établie avec le praticien (le fait que ce soit le médecin traitant qui prescrive et non un médecin inconnu du malade), la satisfaction qu’a le patient du système de soins (Hulka & al, 1979).

- Facteurs liés au patient

- Facteurs sociaux : dans le traitement de l’hypertension artérielle, les différences observées dans les degrés d’observance entre les patients inclus dans les essais cliniques et ainsi fortement motivés à suivre leur traitement (71 à 80%) ou ceux qui sont suivis dans des services hospitaliers et également très motivés (90%), et ceux qui sont suivis en médecine de ville (64 %) (Dunbar-Jacob & al, 1995) montre que les conditions sociales de la prise des médicaments est importante, et en particulier l’insertion dans un réseau médical. Ce constat rejoint les résultats de travaux ayant cherché à améliorer l’observance des traitements hypotenseurs : l’observance serait meilleure lorsque la prise en charge du patient s’insère dans un réseau de soins avec des consultations fréquentes du médecin ou de l’infirmière, des relances téléphoniques (Ebrahim, 1998)

Une étude a montré que les patients qui oublient de prendre leur traitement le week-end, comme ceux qui décalent les horaires des prises le samedi et le dimanche, sont plus jeunes (avec une activité professionnelle) que la moyenne des hypertendus, et plutôt parisiens (Mallion & al, 1995).

- Facteurs psychologiques : des auteurs ont décrit dans l’hypertension artérielle des « profils de personnalité » comme significativement liés à l’observance. Ainsi les sujets ayant un profil « hyperinhibés » seraient les plus observants, alors que ceux qui ont un profil « actifs-combatifs » seraient moins observants. Dans cette étude, les auteurs assimilent la « non-observance » à un « acte-manqué »(Consoli, Safar, 1985).

(13)

Cette approche a été complètement battue en brèche par les études autour des antirétroviraux qui ont montré que l’observance est un phénomène dynamique, instable et modifiable (Morin, 2001). Les individus ne sont pas de « bons » observants, ou au contraire des rebelles insoumis « non observants» toute leur vie si aucune action psychothérapeutique n’est menée comme l’approche en termes de profils de personnalité le laisse entendre.

- Les « croyances » des malades : Elles sont au centre de l’approche sociocognitive appliquée à l’étude de l’observance avec les « modèles de croyances sur la santé » (health belief model) (Rozenstock, 1974) et la théorie causale de l’action. Pour cette dernière, l’observance est une action volontaire du sujet, une décision rationnelle dans laquelle interviennent les « croyances » du malade sur sa maladie (sévérité, pronostic), sur son traitement (risques et bénéfices) (Reach, 2000). Comprendre l’observance dans cette approche revient à comprendre les raisons conscientes du choix de prendre ou de ne pas prendre les médicaments. Le « modèle de croyances » sur la santé explore les liens entre les « croyances » et les connaissances des patients sur les risques et bénéfices du traitement, ainsi que sur la sévérité de la maladie et l’observance. Mais si certaines études montrent une corrélation entre les

connaissances sur la santé et l’observance, d’autres montrent le contraire (Haynes, 1979).

Dans le cas du traitement de l’hypertension artérielle, seule la perception d’un risque d’une dépendance sociale occasionnée par la maladie a été corrélée aux conduites d’observance (les plus observants sont ceux qui pensent que la maladie n’entraîne pas de dépendance sociale).

Ces deux approches (psychologique et sociocognitive) ont leurs limites. D’une part, elles postulent d’une rationalité uniquement fondée sur la logique coût/bénéfice ou avantage/désavantage, qui est une logique biomédicale et non une logique populaire (Massé, 1995 : 137). D’autre part, elles font des « croyances » un élément culturel de base, alors que ces éléments de cultures ne peuvent être interprétés en dehors de construits culturels plus globaux comme les conceptions, les représentations ou les idéologies. En d’autres termes, il ne suffit pas, afin de prédire le degré d’observance d’un patient, de savoir s’il « croit » que le traitement prescrit sera efficace ou non, s’il « croit » que sa maladie est grave et si le traitement est efficace (comme le remarque S. Fainzang, 2001 : 33). Il faut aussi comprendre en fonction de quoi un traitement sera jugé efficace ou comment seront interprétés les effets ressentis et associés aux traitements. Nous reviendrons sur ce thème dans la problématique. - L’adhésion thérapeutique : l’adhésion thérapeutique du malade correspond à l’adéquation entre les perceptions du patient et celles du médecin concernant l’intérêt du traitement prescrit. Cette notion, plus subjective que l’observance, renvoie aux représentations individuelles et collectives du traitement (Sow, Desclaux, 2002a). Dans l’observance aux

antirétroviraux (Wright, 2000) l’adhésion a été identifiée comme un facteur déterminant de

l’observance.

Dans les traitements hypotenseurs, une étude américaine (Blumaghen, 1980) suggère que les modèles explicatifs populaires de l’hypertension artérielle ( « Hyper-Tension » où l’élévation de la pression artérielle est attribuée à des facteurs psychosociaux comme le stress, et « Hyper-pression » où l’hypertension artérielle est attribuée à des facteurs physiques ou héréditaires) permettent aux malades d’interpréter leur expérience et d’organiser leurs conduites. D’autres auteurs soulignent que les patients définissant l’hypertension artérielle comme « une maladie des nerfs » sont moins observants que ceux qui la perçoivent comme une « maladie du sang », parce qu’ils considèrent que le médicament hypotenseur n’est pas l’élément le plus important du traitement (Heurtin-Roberts, Reisin, 1992). Une étude conduite en Haute Provence a montré qu’il existe parfois, dans le contexte culturel français, une observance insuffisante pour les patients qui attribuent leur hypertension au « stress », avec une tendance à minimiser la sévérité du symptôme et à recourir à d’autres thérapeutiques que celles qui sont prescrites par le médecin (Eck-Sarradon, 2003). Ceci a également été observé

(14)

comme un facteur « d’ échauffement » du sang (dans une conception humorale de la physiologie) auront plus souvent recours aux thérapeutiques traditionnelles (tisanes).

Cette explication de l’hypertension artérielle à travers la causalité stress (conception populaire et biomédicale), retrouvée en France comme l’a montré un sondage SOFRES à l’initiative du Comité Français de Lutte contre l’Hypertension Artérielle (CFLHTA) en 2001 pour 59 % des personnes interrogées (hypertendus et non hypertendus), a conduit le CFLHTA à éditer une bande dessinée (Fonteneau & al, 2001), à visée pédagogique et comme appui à l’observance pour les hypertendus traités.

2) De l’observance à l’anthropologie de l’expérience des traitements1

La notion d’observance, sous-tendue par l’idée d’un « bon comportement du malade » qui se soumet et se conforme à la prescription du médecin, est particulièrement normalisante. Ainsi, une étude anthropologique réalisée dans le sud de la France, dans des contextes variés (pathologies, hôpital et domiciles) a montré que la religion des individus influe sur le comportement des sujets, non pas sur leur observance (que cette étude n’a pas cherchée à analyser), mais sur leur rapport à l’observance. Pour l’auteur, cette différence d’attitude (rapport à l’autorité) tient à la valorisation qui est faite de l’observance, et de la norme de « bonne conduite » correspondant à la soumission à la médecine (Fainzang, 2001 : 33). La problématique de l’observance est normalisante, mais aussi réductrice parce qu’elle oblige à poser un regard strictement biomédical sur les conduites des malades. Les sciences sociales, et l’anthropologie en particulier, proposent un autre regard sur les « pratiques médicamenteuses des malades » (Conrad, 1985). Dans cette approche, il ne s’agit pas de savoir quels sont les « bons » ou « mauvais » observants, mais de « comprendre à quelles conditions sociales et culturelles se réalise ou non le suivi de l’ordonnance » (Fainzang, 2001 : 34)

Globalement, l’approche épidémiologique en termes de « facteurs » d’observance a montré ses limites et son incapacité à « prédire » les comportements en matière d’observance, en particulier pour les antirétroviraux (Morin, Moatti, 1996 ; Chesney & al, 2000). De plus cette approche prédictive en termes de facteurs favorisants ou limitants ne rend pas compte de la complexité des relations entre ces facteurs et l’observance. Par exemple, les effets secondaires des antirétroviraux, considérés souvent comme limitant l’observance, s’avèrent être un facteur qui renforce l’observance de certains individus. En effet, au Sénégal, certains malades interprètent ces effets secondaires comme le signe de la « force » du traitement ce qui favorisera leur adhésion au traitement (Sow, Desclaux, 2002b). Toujours au Sénégal, la limitation de l’accès aux antirétroviraux fut également un facteur venant renforcer l’observance des patients qui y avaient accès, ceux-ci ayant le sentiment d’être des privilégiés (Sow, Desclaux, 2002b)

Plus généralement, les recherches en sciences sociales sur l’observance thérapeutique dans les maladies chroniques ont montré les limites des « hypothèses mécanistes et simplificatrices qui voudraient prédire et contrôler de manière stable et définitive le rôle de facteurs isolés sur le comportement d’observance » (Morin, 2001 : 17). La complexité et la variabilité de la relation entre les facteurs sociaux ou culturels et le degré d’observance ne peut être appréhendée dans la logique de l’observance mais par une analyse de l’expérience du traitement par le malade comme cela a été fait auparavant (Ankri & al, 1995 ; Desclaux, 2003 ; Wallach, 2004), qui s’inscrit dans une anthropologie du médicament.

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3) L’anthropologie du médicament

L’anthropologie appréhende le médicament non comme un simple objet pharmacologique à finalité thérapeutique, mais comme un objet social, « opérateur technique et médiateur symbolique » (Benoist, 1990) objet de savoir et de pouvoir. Elle s’intéresse au « système du médicament », en tant que système de significations, système social et système opératoire (Desclaux, Levy, 2003).

Les premiers travaux en anthropologie du médicament, réalisés dans les pays du Sud, ont montré, d’une part, que l’efficacité du médicament faisait l’objet d’une construction culturelle, et que, d’autre part, les médicaments étaient aussi des marchandises et des objets sociaux porteurs de significations multiples (Van der Geest, Whyte, 2003). Un de ses thèmes de recherche questionne en particulier la place et le sens de l’objet-médicament dans le quotidien des malades et des soignants. Il s’inscrit dans un des paradigmes de l’anthropologie médicale : le concept illness-disease-sickness1. Ce concept permet d’étudier les questions relatives au vécu des traitements, aux perceptions de leur efficacité et de leurs effets secondaires, aux logiques sous-jacentes à l’automédication, à la sous-consommation ou à la surconsommation médicales, aux réinterprétations de l’ordonnance, en analysant les variations locales du rapport entre le « médicament signifié et interprété par le patient », la réalité de ses effets biologiques, et le « médicament socialisé » (Desclaux, Levy, 2003 : 11).

Ces analyses sont conduites à partir l’expérience du médicament par le malade. Elles s’attachent à étudier la gestion quotidienne de l’objet-médicament, ses liens avec les représentations de la maladie et du corps, l’expérience sociale du traitement (statut de malade, continuité du traitement, contraintes sociales et matérielles inhérentes aux traitement, etc.), mais aussi les éléments organisationnels du système de soins (approvisionnement en médicaments, fonctionnement du système de soins, modalités de suivis des patients) ou encore les identités, rôle et cultures professionnelles des acteurs de santé (Desclaux, 2003).

1

illness correspond à la « maladie signifiée » telle qu’elle est perçue par le malade, disease correspond à la

réalité biologique de la maladie ou des symptômes, sickness correspond à la maladie socialisée, c’est à dire le processus par lequel la maladie acquière une reconnaissance sociale (Massé, 1995)

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PROBLÉMATIQUE

Les hypertensions artérielles non contrôlées, et les complications cardiovasculaires graves pouvant survenir du fait d’un traitement incorrectement suivi pose la question des déterminants de l’observance des hypotenseurs, sachant que « l’observance est le produit d’un ensemble de facteurs, de nature diverse et de niveaux distincts, en constante interaction » (Sow, Desclaux, 2002a : 109). Ces facteurs, variables selon les contextes culturels et les pathologies, peuvent être énumérés et classifiés1 :

- facteurs relatifs au traitement : volume (quantité et taille des médicaments), nombre et caractères organoleptiques des médicaments, schéma thérapeutique, contraintes associées au traitement, effets secondaires...

- facteurs relatifs au patient : adhésion, facteurs d’ordre cognitif, perceptions des effets secondaires, capacité d’intégration du traitement dans la vie quotidienne, soutien social et attitudes de l’entourage...

- facteurs relatifs à la pathologie : gravité, persistance des symptômes, caractère aigu ou chronique...

- facteurs relatifs à la relation soignant-soigné : attitude des prescripteurs, adhésion des soignants aux traitements qu’ils proposent, relation entre prescripteur et patient, relation entre dispensateur et patient, information délivrée au patient, modalités de suivi du patient...

- facteurs relatifs au contexte de la prescription : perception du système de soin, accessibilité des traitements, accessibilité des professionnels de santé, existence de mesures d’appui à l’observance.

Notre approche anthropologique, inductive et compréhensive, ne cherche ni à quantifier l’observance, ni un des facteurs d’observance thérapeutique, mais d’analyser les conditions et la dynamique de l’observance (Sow, Desclaux, 2002a). Elle vise à mettre à jour les logiques sociales et culturelles sous-jacentes aux pratiques médicamenteuses, afin d’analyser l’adhésion des personnes hypertendues à leur traitement dans le contexte culturel, social et médical français, et d’autre part la prise des médicaments selon le schéma thérapeutique prescrit. C’est pourquoi nous avons étudié l’ensemble de ces facteurs et leurs interactions dans le quotidien des patients, afin d’appréhender leur expérience du traitement.

Nous avons décrit et analysé dans un premier temps les représentations populaires de l’hypertension artérielle et les modèles explicatifs des personnes hypertendues, étude qui n’a jamais été réalisée à ce jour en France2.

Nous avons examiné l’hypothèse d’un lien entre l’adhésion thérapeutique des patients et leurs représentations de l’hypertension artérielle, comme les études de Blumaghen (1980), de Heurtin-Roberts et Reisin (1992), de Dressler (1982), de Schoenberg (1990) le suggéraient (l’adhésion thérapeutique serait moins forte lorsque les personnes attribuent leur hypertension au « stress »). Nous avons considéré également l’hypothèse émise par d’autres auteurs (Blumaghen, 1980, Dressler 1982, Melamed 1997, Bailey, 1991, Schoenberg et Drew 2002) selon laquelle l’expérience subjective de l’hypertension artérielle (l’existence ou non de symptômes ressentis par le patient) influence leurs décisions quotidiennes concernant leur

1Selon une classification reprise à Sow K, Desclaux A, 2002 a,, retrouvée dans d’autres travaux comme :

Haynes RB, 1979; Morin M., 2001; Tourette-Turgis, Rébillon, 2000

2

A notre connaissance. Les principales études ont été réalisées aux USA par Schoenberg, 1997 ; Schoenberg, Drew, 2002 ; Melamed & al,1997 ; Bailey,1988 et 1991 ; Blumaghen, 1980 et 1982 ; Heurtin-Roberts, Reisin, 1992

Il faut citer également une étude suédoise conduite dans une perspective biomédicale Kjellgre & al, 1997, ainsi qu’une étude ethnologique conduite aux Antilles (Ile de sainte Lucie) : Dressler,1982

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santé (arrêt de travail, mesures médicamenteuses ou non médicamenteuses pour atténuer les symptômes, consultations médicales). Ces hypothèses ont été approchées dans une perspective anthropologique selon laquelle l’explication de la maladie (clairement formulée ou implicite) et de ses complications potentielles, ainsi que l’interprétation (c’est-à-dire le sens de l’événement maladie dans l’histoire et dans le contexte de vie du patient), sont des clés nécessaires pour comprendre le vécu de la maladie et du traitement (Kleinman, 1980). De plus, la représentation de la maladie et son interprétation influencent la perception de l'efficacité du médicament et la perception de ses effets néfastes, qui seront interprétées à travers le filtre des représentations populaires de la physiologie et de la physiopathologie. Nous avons examiné également l'hypothèse de l'efficacité symbolique du médicament à travers sa fonction de médiateur symbolique (Benoist, 1999) (du pouvoir de la science par exemple) dans les représentations des médicaments hypotenseurs (médicament "fort", produit "chimique" ou "contre-nature", "fluidifiants", etc.).

Nous nous sommes particulièrement intéressés à l’intégration du traitement dans la vie quotidienne des personnes hypertendues avec la place de l’objet-médicament dans leur quotidien : l’absorption des hypotenseurs, leur lieu de rangement, les conditions et le contexte de leur prescription. Nous avons détaillé les mesures mises en place par les patients pour favoriser l’observance, et le rôle du réseau social et familial dans cette dynamique.

Nous avons observé enfin l'interaction médecin-patient : la place du médicament dans l’interaction, la place de l'observance dans le discours médical et dans le discours du patient, l'évaluation éventuelle de l'observance, la négociation éventuelle autour des symptômes et de la prescription. Nous avions initialement comme objectif d’analyser l’adhésion des médecins aux traitements qu’ils prescrivent, et plus généralement leurs représentations de l’hypertension artérielle (ses causes et son traitement) et de l’observance thérapeutique. Cette étude ne répondra que partiellement à cet objectif pour des raisons d’ordre méthodologique (l’observation des consultations n’a pas été aussi informative que nous l’espérions) et en raison aussi de l’imprécision du niveau d’observance requis pour les hypotenseurs qui nous est apparue en cours d’étude.

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MOYENS ET MÉTHODES

La démarche anthropologique permet d’accéder à l’univers culturel des patients, de connaître et de comprendre leur façon d’appréhender le monde, de construire leurs savoirs et leurs pratiques. Elle repose sur une méthode de production des données : l’enquête de terrain avec une méthode ethnographique, fondée sur l’observation directe et l’entretien. L’enquête ethnographique « se veut au plus près des situations naturelles des sujets – vie quotidienne, conversations -, dans une situation d’interaction prolongée entre le chercheur en personnes et les populations locales, afin de produire des connaissances in situ, contextualisées, transversales, visant à rendre compte du « point de vue de l’acteur », des représentations ordinaires, des pratiques usuelles et de leur signification autochtones » (Olivier de Sardan, 1995 : 73).

Ce positionnement méthodologique est particulièrement pertinent pour étudier le fonctionnement concret de milieux tels les cabinets de médecins généralistes : espace de cohabitation clos et unités sociales de dimension restreintes habituellement peu perméables aux regards (« colloque singulier »). La méthode ethnographique est par ailleurs un procédé qualitatif particulièrement performant pour connaître et comprendre les conceptions populaires de la physiopathologie (Savage, 2000), les représentations du corps et de la maladie.

I – L’enquête de terrain

L’enquête de terrain a été conduite par 5 chercheurs en sciences humaines (4 anthropologues et 1 sociologue) et se décompose en une enquête auprès de personnes traitées pour une hypertension artérielle et une ethnographie de la consultation de médecine générale. Elle s’est déroulée entre le mois d’octobre 2002 et le mois d’avril 2004.

1) Ethnographie de la consultation de médecine générale

Nous avons procédé à une observation directe de la pratique de 10 médecins généralistes – sans jamais contrecarrer leurs soins – dans leur exercice quotidien et ordinaire (consultations, visites à domiciles et temps hors soins). Le choix de la médecine générale se justifie par le fait que l’hypertension artérielle est principalement prise en charge par les médecins généralistes (Frerot et al., 1999). L’observation a été prolongée (de 5 jours à deux semaines consécutives) ce qui nous a permis de décliner l’activité du généraliste dans sa diversité.

L’observation directe couplée aux entretiens permet d’appréhender l’écart entre les discours et les pratiques, les contradictions étant révélatrices du rapport des professionnels à la norme ainsi que le poids de ces normes dans la construction du discours et des pratiques. Elles sont aussi révélatrices de l’interaction des savoirs savants et populaires dans la pratique médicale.

L’observation des consultations et des visites à domicile des médecins a été continue, sans sélection préalable des situations ou des pathologies, à condition que le médecin et le patient acceptent notre présence. Néanmoins nous nous sommes attachés à observer plus particulièrement :

- Les discours des médecins à destination de leurs patients (explication de la maladie et des soins prescrits, propos sur les médicaments)

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- L’interaction médecin-patient (attitude du médecin face au suivi de l’ordonnance, attitude du patient face au traitement, relation médecin-malade)

- Les discours des patients sur la maladie et sur leur traitement en situation de soins En complément de ces observations, nous avons demandé à un onzième médecin généraliste d’enregistrer des consultations (ou visites à domiciles) de personnes hypertendues qui accepteraient ensuite d’être interviewées par un chercheur. Notre objectif était de comparer deux techniques de recueil de données, l’enregistrement des consultations sans présence du chercheur couplé à des entretiens étant parfois utilisé en anthropologie de la santé (Massé, Legaré, 2001). Cette technique ne nous pas permis de recueillir un certain nombre d’informations (gestuelle, attitude, regards, etc.) nécessaires à la compréhension du contexte et à l’interprétation des discours (du médecin comme du patient).

Des entretiens ont été conduits avec ces médecins, permettant d’avoir accès à des informations complémentaires comme la biographie des personnes, leurs souvenirs, leurs savoirs, mais aussi leurs représentations. Ces entretiens enregistrés et des entretiens informels ont été conduits en cours ou en fin d’observation1 pour confirmer, affiner ou nuancer certaines observations, en particulier lorsque l’observation laissait supposer que la présence du chercheur pouvait modifier l’attitude ou les discours d’un des partenaires de l’interaction. La particularité des entretiens ethnographiques est de se rapprocher le plus possible d’une situation d’interaction banale comme la conversation afin de créer une situation d’écoute telle que l’informateur et l’anthropologue puissent disposer d’une liberté de propos qui ne soit pas en situation d’interrogatoire (Olivier de Sardan, 1995 ). Si le chercheur dispose d’un canevas d’entretien comprenant les thèmes à aborder, l’entretien conserve la dynamique propre d’une conversation.

Le canevas d’entretien a abordé différents thèmes généraux comme le parcours et les motivations personnelles du médecin, sa représentation de la profession, ses engagements sociaux ou associatifs, et des thèmes plus spécifiques à la problématique de l’observance :

- Les critères de l’observance selon le médecin

- La place de l’observance (évaluation, intervention) dans sa pratique médicale - Les facteurs sociaux et culturels limitant ou facilitant l’observance selon le

prescripteur

Les entretiens permettent aussi une comparaison des discours des médecins sur leur pratique avec les pratiques observées et les discours à destination des patients. Cette comparaison n’a pas pour objectif une évaluation des pratiques, mais elle est une source de données, essentielle à la compréhension du sens que les individus donnent à leur action.

2) Enquête auprès des personnes hypertendues

Ce volet de l’enquête comporte à la fois des entretiens avec des personnes hypertendues (souffrant d’hypertension essentielle uniquement) et une observation du discours et des conduites de ces personnes en situation de soins. Les entretiens sont un outil indispensable pour accéder aux représentations populaires de l’hypertension artérielle, du médicament à l’expérience du médicament. L’étude de la parole des patients en situation de

soin devait nous permettre d’accéder au modèle explicatif de la maladie des malades2 qui,

1

Dans le cas du médecin qui a enregistré ses consultations sans observation, l’enregistrement a eu lieu quelques semaines après.

2

Nos travaux antérieurs ont montré que la parole des patients en situation de soin est riche en interprétation de la maladie (Eck-Sarradon, 2003)

(20)

selon une de nos hypothèses de travail, est une clef pour comprendre le degré d’observance des patients hypertendus. Cependant, les ethnographies ont montré que les discours sur le sens de l’évènement-maladie dans le cas de l’hypertension artérielle sont rares en raison, probablement, de l’ancienneté du dysfonctionnement pour la plupart des personnes observées en consultation, et d’un déroulement assez stéréotypé de la consultation pour renouvellement d’ordonnance. L’étude de l’interaction médecin-patient a permis également d’étudier le lien entre l’observance et la relation médecin-patient et la perception des risques cardio-vasculaires par les patients (et les médecins).

L’enquête a donc associé :

- Une étude des discours des patients en situation de soins (discours sur la maladie et sur les médicaments)

- Des entretiens semi-sructurés qui ont abordé les représentations de l’hypertension artérielle, les représentations des médicaments, la notion d’observance du point de vue du malade, les recours thérapeutiques alternatifs, la relation médecin-malade - L’usage de l’objet médicament : le lieu de rangement des médicaments et de

l’ordonnance, les modalités de la prise médicamenteuse.

II - Recueil des données

1) Ethnographie de la consultation de médecine générale

Groupe de répondants

Nous avons procédé à une ethnographie de la pratique de 10 médecins généralistes, dans une zone géographique limitée (départements du 13, 84, 04, 05, ouest du 83), en raison de la connaissance que nous avons de cette région. À ces ethnographies s’ajoutent l’enregistrement des consultations et l’interview d’un onzième médecin. Tous les médecins généralistes participants ont un exercice libéral et une pratique allopathique exclusive ou dominante.

Les caractéristiques de ces médecins (âge, année de thèse, sexe, etc.) sont présentées dans le tableau 1 en annexe. Le recrutement de ces médecins s’est fait pour moitié par tirage au sort, et pour l’autre moitié par mobilisation de notre réseau de connaissances personnelles. Ce groupe restreint, comme dans toute enquête qualitative, n’a pas pour objectif d’être représentatif de la population médicale. La diversité nécessaire de pratiques et de situations pour observer des différences, des occurrences, et pour parvenir au phénomène de saturation de l’information, détermine en sciences sociales la taille de la population enquêtée (Blanchet, Gotman, 1992).

Des données complémentaires ont été recueillies afin de croiser les informations (triangulation), non pas pour vérifier la véracité de certaines informations, mais surtout pour savoir s’il existe des discours contrastés et des différences dans les attitudes de personnes qui sont globalement face au même problème. Nous avons ainsi suivi dans son travail quotidien un cardiologue, et nous avons assisté à trois séminaires de formation médicale continue destinés aux médecins généralistes portant sur le thème de l’éducation du patient (en 2002, 2003 et 2004).

Déroulement de l’enquête

Nous avons observé le travail du généraliste du début à la fin de son activité quotidienne :

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- Observation continue pendant un à deux jours (réalisée sans enregistrement des consultations après avoir obtenu l’accord des patients) pour que le médecin s’habitue à notre présence1 (la plus discrète possible).

- Puis observation (consultations et visites) avec enregistrement audio des consultations après accord des patients.

Durant l’observation, le chercheur est assis dans un coin du bureau où il peut regarder l’interaction soignant-soigné, sans la perturber (ou le moins possible). Lorsque la table d’examen est située hors du bureau (8 cas sur les 10 observés), le chercheur n’assiste pas à l’examen clinique. Des informations complémentaires (mise en contexte de la consultation observée par exemple) sont demandées au médecin après la consultation. Mais en pratique, les médecins ont eu peu de temps à nous accorder en raison d’un rythme de travail très soutenu. Les observations ont été réalisées par des anthropologues dont deux sont aussi médecins.

Pour le onzième médecin, le recueil des données (enregistrement des consultations et visites à domicile) s’est effectué sur un mois.

Les entretiens réalisés avec les médecins généralistes sur les différents thèmes de l’enquête ont duré de 45 minutes à 3 heures.

Tous les enregistrements de consultations (et entretiens) ont été transcrits mot à mot avec les indications importantes (comme les soupirs, l’intonation, les silences, les rires, etc.) par le chercheur qui a réalisé l’enquête et entièrement anonymisés2. Les enregistrements des consultations ont été remis aux médecins après leur transcription.

2) Enquête auprès des personnes hypertendues

Nous avons constitué un groupe de 68 répondants, hypertendus présentant une hypertension artérielle dite essentielle et traités depuis au moins un an. Nous avons contacté ces personnes de différentes manières. Une première partie de ces répondants a été jointe avec l’aide du médecin généraliste. Il était convenu avec les médecins que le chercheur repère, avec l’aide du médecin, les patients hypertendus et leur demande à la fin de la consultation (en dehors du bureau du médecin) de participer à l’enquête en acceptant une interview avec un autre chercheur. Nous avons essuyé beaucoup de refus en procédant de cette façon. Nous avons alors décidé de procéder autrement, impliquant davantage le médecin dans notre mode de recrutement. Nous lui avons demandé de nous désigner des patients hypertendus parmi ceux qu’il voyait en consultation, et de leur demander lui-même leur participation. Tous ont accepté alors la rencontre avec le chercheur, mais nous avons constaté que les médecins sélectionnaient, plus ou moins consciemment, des répondants selon des critères différents des nôtres : ils ont recruté les « bons malades » (dociles et sérieux avec lesquels ils ont une relation médecin-malade fondée sur la confiance) et de « bons interviewés » (étant, selon eux, aptes à comprendre le sens des questions). Un médecin nous a même dit qu’il avait choisi les personnes qu’il considérait comme ayant un degré d’observance élevé. De plus, il nous a semblé que les patients acceptaient plus facilement lorsque le médecin traitant le leur

1

Nous avons constaté en effet que la présence de l’enregistreur est un facteur déstabilisant pour le médecin.

2 Dans la suite de ce rapport, comme dans nos notes et transcriptions d’entretien ou de consultation, nous

utiliserons des codes pour désigner les médecins. Ils seront désignés par la lettre M, et par un numéro qui correspond à l’ordre dans lequel nous avons effectué l’observation. Les noms des villes qui peuvent apparaître sont soit fictifs (pour les villes de petites ou moyenne importance ; nous avons conservé Marseille, Aix-en-Provence, Grenoble et Toulon). Les noms des villages où exercent les médecins observés sont désignés également par une lettre (V) suivi d’un numéro. Nous avons conscience que cette codification est particulièrement dépersonnalisante, mais nous avons privilégié ses avantages pratiques et le respect des règles éthiques.

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demande pour ne pas le décevoir (ou sous son influence), ce qui pose un problème éthique. Nous avons aussi constaté que ces personnes, lors de l’interview, assimilaient souvent le chercheur, malgré ses efforts de présentation, à un médecin ou à une personne proche de leur médecin de famille, avec les risques que cela comporte dans la sincérité de leurs propos sur leur observance. Nous avons alors décidé de diversifier les situations d’enquête et de procéder autrement pour contacter d’autres personnes, en évitant une sélection par le médecin généraliste. Pour cela, nous avons utilisé nos réseaux de connaissances et nous avons procédé à une méthode « de proche en proche » afin de contacter d’autres personnes hypertendues traitées, 25 entretiens complémentaires ont ainsi été réalisés.

Le groupe des répondants est présenté en annexe (tableau 2, les 43 premiers correspondent au premier groupe, les 25 suivants au second groupe). Les caractéristiques sociodémographiques et socioprofessionnelles de cette population sont également données en annexe. Toutes ces personnes vivent en zone rurale ou semi-rurale, dans le Sud-Est de la France (départements 04, 05, 13, 84, 83).

L’entretien réalisé avec ces personnes a toujours eu lieu au domicile du patient. Ils ont duré de 30 minutes à 90 minutes. Ils ont ensuite été transcrits mot à mot par le chercheur ayant réalisé l’entretien et entièrement anonymisés1. Les cassettes ont été détruites à la fin de l’enquête. Tous les entretiens sauf un ont été réalisés par un chercheur (anthropologue ou sociologue) non-médecin.

Pour les deux versants de l’enquête (ethnographie des généralistes et entretiens avec les personnes hypertendues), durant la phase de l’enquête, et après celle-ci, les chercheurs se sont engagés à respecter les règles communes de déontologie qui organisent leurs relations et leurs responsabilités envers les participants de l’enquête. Ils garantissent l’anonymat et la protection des données.

3) Traitement des données

La pluridisciplinarité de notre équipe (anthropologues et sociologue, médecins et non-médecins) a permis tout au long de la recherche, un croisement des approches (méthodologie et analyse).

Les données recueillies au cours de cette enquête sont :

- Des descriptions ethnographiques : des lieux de soins et des lieux d’attente (paroles, gestes, attitudes, etc.)

- Des discours : les dialogues médecin-patient (38 consultations observées et 45 consultations observées et enregistrées pour des personnes hypertendues), des interviews (enregistrés) et discussions informelles.

L’exploitation des données recueillies s’est appuyée sur une approche inductive. Elle a privilégié la description réelle des pratiques et des échanges par la complémentarité de deux techniques : l’observation et la parole des enquêtés. Après lecture de ce matériel par plusieurs

chercheurs, une analyse verticale (par enquêté) a permis d’esquisser les catégories

thématiques qui reproduisent les orientations de la recherche, ainsi que des dimensions émergentes (qui n’avaient pas été prévues par l’enquêteur). Cependant, l’analyse de données a commencé dès les premières observations et les premiers entretiens, selon les stratégies d’analyse proposées par Glaser & Strauss (1967) qui reposent sur l’idée que l’analyse du

1

Dans la suite de ce rapport, comme dans les descriptions des consultations, les noms des villes ont changé (de la même manière que pour les consultations ou entretiens avec les médecins). Les personnes sont désignées par un prénom qui est fictif.

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matériel qualitatif est un processus continu de comparaisons qui débute à la première entrevue et se poursuit jusqu’à la fin du recueil des données. Nous avons donc suivi ce processus de comparaisons constantes qui fait émerger de nouvelles catégories thématiques. Les catégories thématiques organisent le corpus en le structurant et permettent de rassembler les éléments de l’enquête et de les analyser ensuite dans une perspective à nouveau verticale puis transversale.

Cette analyse a été effectuée d’une part de manière « manuelle », et d’autre part à l’aide du logiciel Modalisa, dans un premier temps. La technique « classique » nous est apparue beaucoup plus performante pour l’analyse de notre matériau que l’analyse assistée par l’informatique, aussi nous avons poursuivi l’analyse de manière « manuelle ».

III - Acceptation de l’enquête

L’acceptation de l’enquête par les professionnels a été souvent facilitée par l’intérêt de leur réflexion sur leurs pratiques, ou sur l’organisation de la santé (lectures, engagements) ou encore par un intérêt porté aux Sciences Humaines en général.

a) acceptation par les médecins généralistes

Nous avons obtenu 5 réponses positives de médecins généralistes, aux lettres adressées et après relance téléphoniquede 50 généralistes ruraux sélectionnés par tirage au sort en août 2002 dans les départements 04, 05, 13, 84 et 83.

Les médecins participants - recrutés de manière aléatoire comme ceux recrutés dans notre réseau de connaissance - ont globalement bien acceptés la présence du chercheur, que ce dernier soit médecin ou non. Parmi les 10 MG, deux ont eu peur que les règles de confidentialité des données ne soient pas respectées ; l’un a refusé les enregistrements des consultations, un autre a conservé les enregistrements sans que le chercheur puisse les transcrire.

Si pour un des médecins, notre présence a été une « charge »1, les autres ont qualifié cette présence de plutôt « agréable », malgré le surcroît de fatigue qu’elle occasionnait. En effet, des médecins ont dit avoir été plus « rigoureux », plus « méthodique » avec leurs patients du fait de notre présence et du regard posé sur eux. Nous avons tenu compte dans notre analyse des modifications entraînées inévitablement par la présence du chercheur. Cependant, la présence prolongée du chercheur limite cette interférence, surtout lorsque les faits observés obéissent à des normes fortes et sont structurés par des séquences répétitives et stéréotypées comme dans le cas de la prise en charge de l’hypertension artérielle. De plus, du fait de l’ancienneté et de la chronicité de l’hypertension artérielle, les médecins comme les patients sont dans une relation ancienne ce qui laisse peu de marges de variabilité au médecin dans son discours et ses pratiques.

b) acceptation par les personnes hypertendues

Les patients ont globalement bien accepté la présence du chercheur lorsque le médecin le leur demandait. Nous sommes présentés aux patients comme des ethnologues réalisant une étude sur « le travail du médecin généraliste ». Nous avons mentionné notre qualité de médecin lorsque c’était le cas et respecté la façon dont les médecins nous présentaient : ils ne mentionnaient parfois que notre qualité de médecin, ou mettaient en avant notre fonction d’ethnologue, de chercheur sans précision, ou restaient assez flous (« quelqu’un de la Faculté »), mais ils ont tous précisé brièvement l’objet de la recherche. L’un d’entre eux nous a parfois présenté comme « une stagiaire » afin de ne pas troubler certains patients habitués à la présence de stagiaires. Dans un cabinet, les médecins nous ont demandé de porter une

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blouse comme eux-mêmes, ce qui a pu entretenir une confusion auprès des patients sur notre fonction (soignant ? assistante ?) tout en nous rapprochant de la technique de l’« observation participante » privilégiée en anthropologie.

Les médecins effectuaient une présélection et ne nous permettaient pas d’assister aux consultations pour lesquelles ils jugeaient notre présence néfaste (problèmes de couple, difficultés psychologiques, sexologie).

Enfin, certains patients ont accepté la présence du chercheur mais pas l’enregistrement de la consultation (jamais l’inverse).

Si l’on peut limiter les interférences, liées à la présence du chercheur, sur l’attitude du médecin par une observation prolongée, il n’en est pas de même pour les patients. Aussi, lorsque le médecin recevait une personne qu’il avait déjà vue en notre présence, nous nous sommes abstenu d’assister à cette seconde consultation, afin de ne pas perturber l’interaction médecin-patient et permettre au patient d’exprimer ce qu’il n’avait peut-être pas pu dire en notre présence. Globalement, les médecins nous ont dit que leurs patients étaient « comme d’habitude », ou « plutôt contents » de notre présence ; certains ont été un peu « fanfarons », ou ont plaisanté plus que d’habitude. Nous avons constaté qu’ils étaient très à l’aise avec leur médecin malgré notre présence, voulant parfois nous montrer leur bonne relation avec leur médecin traitant, ou au contraire certaines difficultés de compréhension générale entre patients et médecins

Il nous a été difficile de convaincre les personnes d’accepter une interview sans l’aide du médecin dans le premier groupe de répondants, sans justification précise de leur part. Lorsque le médecin le leur demandait, les patients ont tous accepté de nous recevoir, mais deux se sont rétractés par la suite. L’accueil du chercheur, une fois l’entretien accepté, a été excellent.

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Chapitre -I-

Les représentations populaires de l’hypertension artérielle

La spécificité de l’analyse anthropologique de la santé réside dans le regard singulier qu’elle pose sur le système de soins, sur les discours des professionnels mais surtout sur les discours que tient la population elle-même sur la santé et la maladie. C’est sur ce dernier point que porte principalement ce chapitre. La mise à jour des conceptions populaires, interprétations et explications, de l’hypertension artérielle afin de mieux comprendre les logiques sociales et culturelles qui les sous-tendent, est l’objectif de ce chapitre. Ce travail se caractérise par une approche « émique » du phénomène étudié c’est-à-dire de relater la conception vue de « l’intérieur » ou plutôt la représentation qu’ont les personnes hypertendues de leur hypertension artérielle. Ainsi « Les construits émiques sont des récits, des descriptions et des analyses exprimés dans les termes des schèmes conceptuels et des catégories considérés comme significatifs et appropriés par les membres natifs d’une culture dont les croyances et les comportements sont étudiés » (Lett, 1990 : 130).

I – Les entités nosologiques populaires

Cette étude, qui repose sur des concepts déduits de l’observation ou d’entretiens, propose une analyse interprétative de la signification que prend l’hypertension artérielle dans un contexte socioculturel donné. L’hypertension artérielle, comme la plupart des maladies, ne se réduit pas à une globalité de symptômes physiques ou « psychologiques » concrets et mesurables. Elle renvoie à l’ensemble des significations que prennent les symptômes - mais aussi diverses expériences ou divers événements critiques - dans le contexte particulier de l’histoire de vie du malade qui, lui-même, évolue à l’intérieur d’une société et d’une culture données. Au-delà du désordre physiologique diagnostiqué et classifié, la maladie est une réalité signifiante. Les différentes significations forment un tout, un ensemble organisé en modèles d’associations, ou réseaux de significations (semantic networks). La maladie n’est

pas un phénomène seulement naturel, elle est un « syndrome de signification et

d’expérience » (Good, 1998 : 17). Un des objectifs de cette recherche est de cerner les structures de significations, ou les cadres d’interprétation de l’hypertension artérielle afin de rendre intelligibles les comportements des patients hypertendus, de traduire la réalité que représente l’hypertension artérielle pour ces individus. Cette recherche tente également de se centrer sur l’expérience du corps en tant que fondement et problématique des représentations de la maladie.

Les représentations sociales sont définies par la psychologie sociale comme des constructions mentales, des produits sociaux à resituer dans leur contexte social. Pour cette discipline, « étudier une représentation sociale, c'est observer comment un ensemble de valeurs, de normes sociales, de modèles culturels est pensé et vécu par les individus d'une société » (Herzlich, 1969 : 13). Notre étude est centrée sur les représentations populaires de l’hypertension artérielle, et non pas sur les représentations savantes ou biomédicales. D’ailleurs, ces deux types de représentations ne coïncident jamais entre elles, ce qui n’exclut pas les influences de l’une sur l’autre. En effet, dans la société occidentale, les catégories de la médecine ont largement influé les représentations populaires qui «(...) dans chaque culture,

Figure

Tableau 1 :  Des fourchettes d’âge
Tableau  4:  Répartition des hommes et des femmes dans leur groupe socioprofessionnel (en chiffres)
Tableau 5 : Répartition des hommes et des femmes en fonction de leur niveau d’études

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