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I – Le suivi de l’hypertendu et l’interaction médecin-patient

4) Les effets secondaires

L’attitude face aux effets secondaires des hypotenseurs est variable d’un médecin à l’autre. Certains les prennent en compte et ne prescriront pas, par exemple, de bétabloquants chez un homme ayant des troubles de l’érection, ou diront au patient de ne pas prendre le diurétique dans certaines situations. À l’opposé, certains médecins ne prennent pas du tout en compte des effets secondaires gênants, rejetant l’expertise profane des patients. Ainsi, à un patient qui déclare ne prendre son médicament hypotenseur qu’un jour sur deux sinon il a « mal à l’estomac » le médecin répond « ça n’a rien à voir » (M8). Certains ont tendance à minimiser les effets secondaires ressentis des médicaments par rapport au bénéfice attendu en termes de protection cardiovasculaire :

« Le médicament que je vous donne peut déclencher des bouffées de chaleur. Mais ça ce n’est pas grave. Cela peut faire également gonfler les chevilles mais cela n’est pas grave si cela arrive car cela protège les reins, le cerveau et le cœur. C’est des inconvénients mais ce n’est pas dangereux. Même si c’est très gênant, on peut l’arrêter et le changer mais ce n’est pas dangereux, d’accord ? » (M5)

Cette minoration ne tient pas compte du fait que ces effets secondaires peuvent constituer des signes visibles d’une maladie alors que l’hypertension artérielle (ou la protection cardiovasculaire n’en est pas une) n’est pas visible sur les corps des personnes hypertendues :

P : ces plaques… la main… elles partent, elles viennent… vous voyez… ça part, ça vient… M7 : madame R, je vous ai déjà expliqué ! ne vous en occupez pas de ça ! (...)

P : et quand il faudra mettre les manches courtes cet été, qu’est-ce que je ferais alors ? M7(désinvolte) : et bien vous mettrez les manches longues !

P : soupir

M7 (attentif) : pourquoi, ça vous gêne que les gens voient ça ?…ça vous gêne…si ça vous gêne, … c’est 2 choses ça…

P (le coupe) : attendez… quand il y a des petits bouts de choux comme ça… : « hé momo mamie ? » (elle a un bobo mamie ?)

M 7: ah oui, eh oui… ben (rire)

P : et qu’est-ce que vous voulez dire là ! (...)

M7 : alors ce que vous avez sur les bras c’est 2 choses : un c’est l’âge ! bon… on ne peut rien faire ! 2 … 2 c’est les petits sachets de poudre (aspirine) qui favorisent çà, on est obligé de vous le donner

P : je le prends ! (ton résolu) M 7: mais c’est pas grave ça ! P : non, non

M 7: c’est pas grave P : c’est pas au visage !

M 7: voilà, il suffit de mettre les manches longues P : voilà…

M7 : et les pantalons… parce que ça vient aussi sur les jambes ça souvent … »

Ainsi, dans la balance « coût-bénéfice » (effets secondaires négatifs/bénéfice attendus dans l’amélioration de la santé) que tout médecin a appris à évaluer au cours de l’instauration d’une thérapeutique, la qualité de vie du patient - du point de vue du patient- n’est pas toujours prise en compte.

5) Observance

Le généraliste questionne parfois le patient sur l’observance du traitement lorsque les chiffres tensionnels ne sont pas satisfaisants : « le Soprol®, vous le prenez bien ? » « vous ne le ratez jamais ? », « vous avez pris vos cachets ce matin ? », « vous prenez votre traitement ? ». Le questionnement n’est jamais insistant, les médecins semblent connaître (d’après leurs commentaires à l’issue de la consultation) quels sont les niveaux d’observance thérapeutique de leurs patients. Nous reviendrons plus loin sur les représentations des médecins de la notion d’observance. L’observation de l’interaction médecin-patient, dans le registre des hypotenseurs comme dans d’autres registres thérapeutiques, montre plusieurs attitudes des médecins face à un niveau insuffisant d’observance :

- Compréhensive : lorsque les patients disent avoir oublier quelques comprimées en raison d’évènements perturbant leur vie, ou en raison d’un retard au renouvellement de l’ordonnance, ou encore parce que le médicament ne leur paraît pas essentiel (« ça (Zyloric®) je l’oublie tout le temps mais pas le médicament pour la tension »). Le généraliste donne alors des conseils pour l’automatisation des prises (« vous le mettez à coté de votre brosse à dents et vous ne réfléchissez pas » M2), ou propose de modifier les horaires des prises, ou encore une association médicamenteuses qui limiterait le nombre de comprimés à absorber.

- Indifférente : lorsque le médecin ne répond pas quand le patient lui dit ne pas avoir pris ses comprimés depuis quelques jours.

- Injonctive : « c’est pas bien ça, il faut le faire, quand je dis un truc il faut le faire » (M9) Devant un niveau d’observance perçu comme faible, le médecin peut mettre en cause le patient de manière directive :

M8 : bof, 16! c’est pas terrible ! Vous ne l’avez pas pris le Lordoz® ce matin ? P : j’en ai plus depuis 4/5 jours, sinon je le prends tous les deux jours

M8 : (calmement) je ne vais pas me fâcher, ce type de médicament il faut le prendre tous les jours, vous devez venir tous les trois mois et ça fait 6 mois que vous êtes venu, si vous voulez je vous marque une ordonnance pour 6 mois, je ne pousse pas !

- Paternaliste : lorsque le médecin établi un lien entre l’observance insuffisante, voire l’interruption du traitement, et les chiffres tensionnels élevés en mettant en cause l’attitude du patient, mais sur un ton amical, voir enjoué affirmant néanmoins qu’il sait ce qui est bon pour le patient :

M9 : l’Amlor®, vous l’avez bien pris le soir, l’Amlor® ? vous l’avez bien pris le soir P : non

M9 : non ? hein ? vous l’avez pas pris ? P : et j’avais les autres encore

M9 : oui mais il fallait le prendre !

P : et mais oui il faut que je débarrasse, je mets tout à la poubelle et M9(le coupe) : non mais vous l’avez pas pris celui-là ? Amlor® ? P : Amlor®, non

M9 : il fallait le prendre

P : j’ai pris l’autre, l’autre que je prends depuis longtemps M9 : oui mais il fallait le prendre en plus

P : ah bon et c’est ça, c’est pour ça que je n’ai pas dormi ? M9 : et oui ! Vous n’avez pas pris ce que je vous ai donné ! P : parce que les cachets là que vous m’avez donné

M9 : et oui mais il fallait prendre ça aussi… et oui, Amlor® avec le petit rouge (P sort les boîtes) et oui oui c’est ça qu’il fallait prendre

P : ah je l’ai pris, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit M9 : lequel, celui-là ?

P : celui-là

M9 : oui c’est celui-là qu’il fallait prendre… pourquoi vous ne l’avez pas pris ? Je vous avais dit de le prendre

P : et alors je ne prends plus les autres ?

M9 : ah si si si il fallait prendre les autres avec…(...) Examen clinique M9: il faut prendre l’Amlor®, je ne suis pas content

P : hein ?

M9 : je ne suis pas content P : mais moi non plus !

M9 : mais il faut prendre Amlor® (rire) le médicament qu’il fallait prendre, il faut prendre les 3(...) (rire) non mais là il faut le prendre le soir, tout est là tout est là (...)

P : les deux !

M9 : mais oui il faut tout prendre…tout ! P : trois ! dis donc !(...)

P : combien 12 ou 13 M9 : ah non, 18, 18/10 !

P : 18/10 (fait un signe qui signifie mourir)

M9 : ben oui vous n’avez pas pris Amlor®, ça ne peut pas coller »

Cette attitude s’observe aussi pour d’autres prise en charge (diabète, asthme) souvent décrites par les généralistes comme difficiles du point de vue de l’observance thérapeutique, comme l’illustre l’extrait de dialogue suivant, au cours duquel le médecin explique à la patiente comment prendre le traitement par inhalateur, où le paternalisme se double d’une infantilisation :

M8 : oui mais justement à mon avis le violet, ce n’est pas celui qu’il faut faire quand vous êtes essoufflée

P : et ça me calme tout de suite

M8 : non mais je ne vous demande pas ce que vous ressentez (parle doucement en détachant bien les syllabes, sans s’énerver) je vous dit, je vous demande d’écouter ce que je vous dit, on fait comme à l’école là, je suis en train de vous éduquer

P : oui mais d’ici là je me rappellerai plus ce que vous m’avez dit M8 : c’est pour ça que j’enfonce le clou à chaque fois

P : (soupir)… c’est pénible ces vieux hein ! (rire) … il fait comme mes fils ils m’engueulent tout le temps aussi, ils me disent que je ne prends pas mes médicaments comme il faut, si quand il faut je les prends quand même…

Cette attitude assigne à la personne une identité doublement déficitaire : déficit physique et incapacité à prendre correctement son traitement.

- Alarmiste

« J’en ai un ou deux à qui j’envoie des avertissements parce qu’ils arrêtent, alors la tension remonte très haut, en leur disant qu’il va leur arriver une bricole » (M1)

- Utilisation du registre populaire

Pour expliquer la nécessité de prendre régulièrement les traitements « de fond » prescrit dans les affections chroniques, certains généralistes utilisent la métaphore du corps-machine, comme dans cet extrait de consultation concernant un traitement bronchodilatateur :

M8 : (montre un nom sur l’ordonnance) ça c’est la roue de secours, P : oui vous me l’avez dit

M8 : surtout comme l’autre jour si vous avez votre truc dans la nuit, il faut faire une bouffée ou deux et ça va bien vous dégager. Et ça c’est l’essence, si vous voulez que la voiture elle avance, c’est tous les jours, matin et soir…

La suspicion d’observance insuffisante de la part des médecins face aux hypertensions artérielles non contrôlées par les médicaments est parfois mal acceptée par les patients car elle témoigne d’un manque de confiance du médecin pour le patient infantilisé dans une position opposante:

« Il (Le médecin traitant) me dit : « Vous les prenez pas ! » Je dis ! « Mais je les prends ! Ne me dites plus ça parce que si vous n’avez pas confiance, mettez-moi à l’hôpital ou faites-moi des piqûres, faites-moi ce que vous voudrez et vous verrez que je les prends les méd… et que ce sera toujours pareil ! » Bon... Et oui, mais c’est vrai ! Je dis : « Mais pourquoi vous me dites que je ne les prends pas ! Je les prends, mais c’est vrai ! Je les prends ! C’est la première des choses que je fais ! (...) Je les prends, je vous assure que je les prends ! J’en ai ras le bol de m’entendre dire que je ne les prends pas ! Je ne suis pas un bébé quand même, je ne suis pas une gamine ! J’ai eu 8 petits, hein ! » (Nine)

« (Mon généraliste) m’a envoyé chez un cardio qui a dû continuer avec autant de résultats (Rires) et alors à chaque fois que j’y allais c’était : « mais enfin vous ne vous rendez pas compte, vous allez faire un accident cérébral dans 5 ans ou 10 ans ». Je lui répondais « Et alors, moi, je les prends vos médicaments, ce n’est pas ma faute si j’ai de l’hypertension ». Ce n’est pas moi qui suis responsable de l’échec des médicaments » (Rosine)

Ce dernier discours souligne un des enjeux de la relation médecin-patient autour du médicament. En effet, lorsque le médecin est mis en échec dans son action thérapeutique du fait de l’inefficacité des traitements prescrits, il met souvent en cause le patient (en lui assignant un statut de « mal-observant ») afin conserver son rôle d’expert et le contrôle de la décision thérapeutique. Cette attitude du médecin n’est pas systématique, mais nos observations de consultations et de formation médicale continue, comme la focalisation de la recherche clinique sur le thème de l’observance, montre les difficultés des médecins à penser les hypertensions artérielles non-contrôlées autrement que comme une résistance implicite du patient (Coambs, 1995). Cette imputation de responsabilité du patient dans l’inefficacité de son traitement s’observe dans un modèle de relation médecin-patient telle qu’elle a été décrite par la sociologie fonctionnaliste (Parsons, 1958) comme un couple de rôle attendu. Le rôle du malade est de rechercher une aide compétente auprès du médecin, seul habilité de par ses compétences à diagnostiquer et à traiter la maladie et d’être « compliant » afin d’atténuer le caractère de déviance sociale (par rapport à un ensemble de normes qui représentent la santé ou la normalité) que constitue la maladie.