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Les personnes interviewées ne définissent pas l’observance en termes de seuil ou de doses de médicaments ingérés. Le terme observance n’apparaît d’ailleurs jamais dans leur discours. Lorsqu’ils veulent nous dire qu’eux-mêmes, ou d’autres, ne suivent pas exactement les directives médicales, ils utilisent l’expression « je suis un mauvais malade ». Dans les représentations des interviewés, le « mauvais malade » est celui qui ne s’occupe ni de sa santé, ni de savoir quels sont les médicaments qu’il prend et leur mode d’action. L’image

valorisée dans les interviews est celle du « bon malade » prenant ses médicaments « sans jamais les oublier », « régulièrement » :

(quelqu’un qui prend bien ses médicaments ») « Régulièrement, tous les jours surtout. Enfin comme nous. C’est RARE quand on oublie notre médicament, nous. Même mon mari, c’est pareil, c’est très très rare. Et il le faut

Le mari – Ah oui ! C’est normal.

M- C’est vrai, et par contre, moi, j’ai eu des amis qui ne prenaient pas leurs médicaments, qui avaient de la tension, et puis il leur est arrivé des problèmes, hein ! Des gros problèmes ! Faut surtout les prendre, surtout pour la tension. Faut prendre le médicament régulièrement (...) moi je sais que j’ai vu des exemples (...) (une amie) Elle ne prenait pas ses médicaments régulièrement, hein ! Alors elle, elle a eu une hémiplégie côté droit » (Marcelle, 68 ans, secrétaire)

L’expression « on se soigne » résume cette adhésion au modèle du « bon malade » adhérant au système biomédical et à l’idée de conduites de préservation de la santé.

« Être sérieux » est une autre formule souvent utilisée par les interviewés qui renvoie à la logique biomédicale

« Quelqu’un qui prend bien son traitement ? c’est quelqu’un d’un peu sérieux quand même et qui n’a pas envie que ça empire bêtement. » (Émile, 75 ans, cadre)

« Sérieux. A partir du moment où on est obligé d’être … c’est une maladie la tension, à partir du moment où on doit la soigner, il faut la soigner sérieusement ou alors on la soigne pas(...) on me dit de prendre mes cachets, je prends mes cachets » (Marguerite, 58 ans, secrétaire

Le modèle de conduites du « bon malade » est celui que les patients imaginent devoir adopter pour coller au comportement idéal du malade attendu par les médecins. Cette représentation explique aussi pourquoi les personnes interviewées affirmant leur adhésion au traitement reconnaissent à demi mots leur « manque de sérieux » dans leur jeunesse vis-à-vis des prises médicamenteuses. Dans l’ensemble, les oublis involontaires de comprimés « peut- être une ou deux fois dans le mois », « celui du matin ou celui du soir », ou les absences de prises volontaires telles que celles décrites plus haut, ne sont pas considérés par les malade comme une entorse aux prescriptions médicales, d’autant plus qu’ils sont acceptés par les médecins (selon les discours des interviewés et les discours des médecins lors des consultations).

Le « bon malade » est aussi celui qui « fait confiance » au médecin. Le patient est alors dans une relation de soumission et d’obéissance à l’égard du médecin qui détient le savoir :

« Puisque on m’a prescris 1 et que je suis assez obéissant. » (Louis, 64 ans, employé) (bien prendre ses médicaments) « Ben, c’est normal, sinon on ne va pas voir le docteur ! Je veux dire, si on ne prend pas le médicament que le docteur nous ordonne… Vous êtes allé le voir, c’est bien pour quelque chose, donc si vous prenez … donc c’est normal de prendre ses médicaments, et ce qu’il vous ordonne, ce qu’il vous prescrit, quoi ! Enfin, je pense » (Elise, 70 ans, aide soignante)

« Le médecin m’a dit une fois que si je les prenais pas, c’est pas grave. Mais il faut pas les louper constamment, mais en principe, je loupe pas(...) S’il me dit de prendre les 10, je prends les 10, hein ! Vous savez, moi j’ai un caractère, je suis rentré à l’armée, je ne fumais pas. Je suis sorti de l’armée, je ne fumais pas. Je buvais pas non plus, je suis sorti de l’armée, je ne bois pas. Et voilà, moi, je suis comme ça. Si faut pas faire, je ne fais pas. Et c’est tout » (Didier, 67 ans, ouvrier)

« Ben, moi, je suis logique : si je vais consulter le médecin, s’il m’a prescrit quelque chose, c’est l’homme de l’art, c’est pas moi ! Si c’est pour dire : « Je ne le prends pas ! » Du

moment que je vais le trouver, c’est que j’ai un problème, et c’est lui qui va trouver une solution à ce problème et je vais jusqu’au bout sinon, c’est ridicule d’aller chez le médecin et pas prendre son médicament(...)S’il fallait en prendre plus, ce serait plus contraignant, mais s’il augmente ses doses, j’obéirai. C’est lui qui décide, c’est pas moi. Je lui fais confiance. » (Louis, 64 ans, employé)

« Le problème qu'il y avait c'est que, au début, avec le Célectol®, ça allait bien et du coup j'avais un peu tendance à être à court à la fin des boîtes. Mais bon maintenant, c'est bon, je suis bien rentré dans l'ordre. Je passe ma visite quand on me l'ordonne et tout et tout » (Christophe, 66 ans, agriculteur).

Ces discours font écho aux analyses de S. Fainzang (2001)selon lesquelles la question posée par le suivi de l’ordonnance - l’observance selon la dénomination biomédicale – renvoie en partie à la soumission aux ordres qu’elle contient. Elle rappelle avec F. Dagognet que le mot « ordonnance » renvoie au mot « ordre » et « ordonner », lequel est « d’abord un terme juridique, signifiant la promulgation des décisions qui ont force de loi » (Dagognet, 1994). La prescription écrite (l’ordonnance) a une connotation coercitive à laquelle les patients sont sensibles lorsqu’ils y répondent dans le registre de l’obéissance et de la soumission à la décision médicale (« je suis bien rentré dans l'ordre. Je passe ma visite quand on me l'ordonne »). L’observance est une notion biomédicale qui traduit non pas le degré de conformité à la prescription, mais le degré de soumission des patients à l’ordre-ordonnance, de soumission sociale à la règle et à la loi biomédicale. Le suivi du l’ordonnance abordé du point de vue du patient souligne la nature des rapports sociaux médecin-patient qui restent des rapports asymétriques pour une partie de la population. Il n’est pas étonnant alors que le mot observance, qui dans son sens général désigne l’obéissance à une règle religieuse, ait été choisi dans la langue française pour désigner les pratiques médicamenteuses des malades.