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NEGOCIATION D’ENTREPRISE

REELLE A REPRESENTER LES SALARIES

A. La fonction de représentation

1. La représentation du syndicat

100 - À s’en tenir à l’ancien article L 2143-3 du Code du travail, le délégué syndical représentait le syndicat qui l’avait désigné. Ce texte disposait que « chaque syndicat représentatif […] désigne […] un ou plusieurs délégués syndicaux pour le représenter auprès du chef d’entreprise »357. L’emploi du vocable représentation pouvait renvoyer à

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PETIT (F.), La notion de représentation dans les relations collectives du travail, Thèse LGDJ, T. 291, 2000, pp. 1 et 2.

356 EISENMANN (Ch.), Travaux de l’association Henry CAPITANT, La représentation dans les actes juridiques, 1949, pp. 144 et s.

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La loi du 20 août 2008 a modifié les conditions de désignation du délégué syndical. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, seul un syndicat représentatif, ayant préalablement créé une section syndicale dans l’entreprise peut désigner un délégué syndical parmi les candidats qu’il a présenté sur une liste électorale de CE ou à défaut, de DP et qui ont obtenu au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour de ce scrutin. Le nouveau texte prévoit que « Chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement de cinquante salariés ou plus, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l’article L 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l’employeur… ». Ce texte renverse la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait admis que la désignation du délégué syndical établissait l’existence d’une section syndicale (Cass. soc. 27 mai 1997, Bull. civ. V, n° 194). À ce titre, la Cour de cassation vient de confirmer que même pendant la période transitoire instaurée par la loi du 20 août 2008, un syndicat représentatif qui souhaite désigner un délégué syndical doit prouver l’existence d’une section

101 plusieurs significations. Le délégué syndical devait-il être considéré comme une émanation du syndicat, un simple préposé ou finalement un représentant au sens juridique du terme ?

101 -Le délégué syndical ne peut jamais être tenu pour une émanation du syndicat358. En effet, le délégué syndical ne peut en aucun cas engager juridiquement le syndicat qui l’a désigné. À ce titre, le délégué syndical est dans l’impossibilité d’engager une action en justice au nom de son syndicat359.

102 -La qualité de préposé doit également être écartée. On considère que le préposé est une personne placée dans un rapport de subordination face à son commettant. Cette subordination fonde d’ailleurs la responsabilité mise à la charge de ce dernier par l’article 1384 al. 5 C. civ. Ce rapport de préposition entre le syndicat et le délégué syndical impliquerait que le premier puisse donner des instructions ou injonctions au second360. Or, s’il est permis et même courant qu’un syndicat donne des directives à ses délégués et contrôle l’exercice de leurs missions361, il est peu probable que l’on puisse aller jusqu’à reconnaître un quelconque lien de subordination entre le syndicat et son délégué. Le délégué syndical, comme tout autre salarié, n’est subordonné qu’à son employeur. La jurisprudence confirme cette position en érigeant en principe le refus d’engager la responsabilité du syndicat pour les actes commis par le délégué syndical dans l’exécution de ses missions. La responsabilité extracontractuelle du syndicat ne peut être engagée que lorsqu’est caractérisé un fait dommageable imputable à un

syndicale, c’est-à-dire, apporter les éléments de preuve utiles à établir la présence d’au moins deux adhérents dans ladite section (Cass. soc. 8 juillet 2009, n° 09-60.032, Liaisons sociales Quotidien, Bref

social n° 1539B du 9 juillet 2009, p.3).

358 BORENFREUND (G.), Syndicats professionnels, Rep. Travail, n° 429 et s.

359 Cass. soc. 04 déc. 1985, JCP E 1986, I, 15578, n°4, obs. TEYSSIE. Pour que l’action en justice soit recevable, il faut que le délégué syndical soit également secrétaire ou soit au moins statutairement (Cass. soc. 13 mars 1980, Bull. civ. V, n° 263) ou expressément habilité à cette fin (Cass. soc. 10 oct. 1990, Bull.

civ. V, n° 452) et agisse en cette qualité.

360 Cass. crim. 7 nov. 1968, Bull. crim., n°291. Dans cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a admis que « le lien de subordination, d’où découle la responsabilité mise à la charge du commettant par l’art. 1384 al. 5 suppose essentiellement que ceux-ci ont le droit de faire acte d’autorité en donnant à leur préposé des ordres ou des instructions sur la manière de remplir […] les emplois qui leur ont été confiés pour un temps et un objet déterminé ».

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Le mécanisme de contrôle et la sanction résident tout deux dans la révocation qui peut émaner du syndicat désignataire à tout moment.

organe syndical, c’est-à-dire au syndicat lui-même362. Il en résulte qu’un délégué syndical peut voir sa responsabilité civile engagée pour les fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions363. Une parfaite illustration de ce principe nous est fournie par les responsabilités encourues lors d’une grève.

103 - Dans l’exercice du droit de grève, un syndicat peut-il voir sa responsabilité engagée du fait des agissements fautifs reprochés à l’un de ses délégués ? La Cour de cassation répond sans ambiguïté en affirmant régulièrement que « le fait que les délégués syndicaux, auxquels des agissements répréhensibles sont reprochés, soient les mandataires du syndicat dans l’exercice de leurs fonctions ne suffit pas à engager la responsabilité du syndicat ; il importe que la participation effective du syndicat aux agissements abusifs constatés soient établis »364. La responsabilité du syndicat pour des faits commis par ses délégués syndicaux ne peut être retenue que s’il est démontré que les organes du syndicat les ont obligés ou incités à commettre les faits répréhensibles365. Cette jurisprudence ne fixe pas avec précision le degré de participation du syndicat dans ces faits dommageables. La jurisprudence semble très souple en retenant la responsabilité du syndicat du fait de son délégué syndical dès lors qu’une simple implication dans ces faits est établie366. En principe, si le délégué syndical est considéré comme un préposé, la responsabilité du syndicat désignataire doit être engagée dès lors qu’une faute367 est commise par le délégué dans l’exercice de ses fonctions syndicales. Or, les juges exigent une participation ou une implication du syndicat pour que les faits dommageables lui soient imputés.

104 - En définitive, le délégué syndical n’est ni un organe ni un préposé du syndicat. Une autre qualification juridique paraît plus appropriée pour rendre compte de la relation "syndicat-délégué syndical". Il s’agit du mandat au sens de l’article 1984 du

362 VERDIER (J.-M.), Traité de droit du travail, op. cit., n° 89 et s.

363 DURRY (G.), La responsabilité civile des délégués syndicaux, Dr. soc. 1984, p.69. 364 Cass. soc. 21 jan. 1987, Dr. soc. 1987, p. 426, obs. J.-E. RAY.

365

Cass. soc. 26 juil. 1984, Bull. civ. V, n°248.

366 À propos d’une occupation de locaux, suite à un mouvement de grève, la Cour de Cassation a décidé

qu’il ne résultait pas des constatations que « les syndicats étaient impliqués dans ladite occupation ». Cass. soc. 21 juin 2004, RJS 11/04, n°1188.

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La responsabilité du commettant ne peut être engagée qu’en cas de faute du préposé. Cf. Cass. 2ième civ. 8 oct. 1969, Bull. civ. II, n°269.

103 Code civil. D’après le premier alinéa de ce texte, le mandat est « un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». Cette définition, certes très large, est limitée par la doctrine et la jurisprudence. Ils estiment qu’il n’existe un mandat au sens de l’article 1984 qu’en vue de l’accomplissement d’actes juridiques368. Ainsi, il n’y a mandat que lorsqu’une personne charge une autre d’accomplir pour son compte et en son nom un acte juridique et non un acte matériel369. Dès lors, il convient de se demander si le mandat rend parfaitement compte des relations qui existent entre les syndicats et leurs délégués syndicaux. Autrement dit, les actes accomplis par les délégués syndicaux sont-ils tous des actes juridiques ? La négative tend à s’imposer dans la mesure où le seul acte réellement juridique effectué par les délégués reste la conclusion de conventions et d’accords collectifs. Si l’activité conventionnelle demeure primordiale, il ne faut pas pour autant négliger ses autres missions. Il s’avère donc nécessaire d’opérer une distinction suivant les différentes missions du délégué syndical. Si le mandat est adapté à l’activité conventionnelle, ce dernier est trop restrictif pour rendre compte de la représentation liée à l’activité revendicative.

105 -La désignation d’un salarié comme délégué syndical vaut mandat d’exercer les prérogatives ouvertes au syndicat dans l’entreprise par le Code du travail dont celle de négocier et de conclure des accords collectifs370. De plus, le délégué syndical doit dans l’exercice de cette prérogative suivre les directives données par le syndicat qui l’a désigné. Cependant, comme l’a justement souligné le professeur Borenfreund, le délégué syndical est tenu de défendre « les axes essentiels de la politique revendicative suivie par le syndicat dont il est issu »371. Le délégué syndical doit, dans l’exercice de la négociation, agir conformément aux grandes directives fixées généralement au niveau confédéral.

L’existence d’un mandat entre le délégué et son syndicat a pour conséquence que les actes passés par le premier sont opposables au second comme s’il les avait lui-même

368 SALVAGE (P.), La compétence du délégué syndical, Dr. soc. 1976, p. 397. 369

Cass. 1ère civ. 19 février 1968, GAJC, 11ème éd., n°260 ; D. 1968, p. 393.

370 Cette affirmation est confortée d’un point de vue formel par l’art. 1985 C. civ. qui ne subordonne pas la qualification de mandat à une forme particulière. Il peut donc être donné par acte authentique, par acte sous seing privé, par lettre simple et même de manière verbale.

371

BORENFREUND (G.), L’action revendicative au niveau de l’entreprise : le rôle des délégués du

conclus. Les accords collectifs négociés et signés par le délégué syndical obligent le syndicat mandant et ne produisent des effets qu’entre ce dernier et l’employeur. Cela implique notamment que le délégué syndical ne puisse pas agir en justice, sauf cas particuliers372, afin que soient respectées les stipulations conventionnelles373.

Le mandat de droit privé rend parfaitement compte de la relation de représentation qui se noue entre le syndicat et le délégué syndical. Cependant, cette figure juridique ne permet pas de comprendre ni d’expliquer qu’un accord collectif s’applique à tous les salariés de l’entreprise. Le délégué syndical doit tenir compte des directives syndicales mais doit également tenir compte de l’avis des salariés. Avant d’agir, il doit s’assurer du soutien de la majorité des salariés. En définitive, la mission du délégué syndical est guidée par l’intérêt collectif des salariés (et leur assentiment préalable) et encadrée par les directives syndicales. Le représentant s’assure ainsi que les objectifs ou revendications qu’il défend sont en totale conformité avec les attentes des salariés. Le mandat ne permet donc pas à lui seul de rendre compte de l’ensemble de la mission de représentation du délégué syndical.

La représentation liée à l’activité revendicative s’avère encore plus inappropriée pour entrer dans la catégorie juridique du mandat. L’examen des missions relatives à l’activité revendicative révèle qu’elle se compose principalement d’actes purement matériels généralement visés par le Code du travail. Nous pouvons ainsi citer l’affichage ou la distribution de tracts destinés à informer les salariés, la transmission des revendications des salariés auprès de l’employeur ou de son préposé, ou encore l’initiative et la conduite d’un mouvement de grève… Or, le mandat se limite à l’exercice d’actes juridiques et non matériels.

La difficulté est alors double en ce qui concerne la nature juridique de la représentation syndicale. Soit on considère que le délégué syndical est le mandataire du syndicat lorsqu’il exerce tout type d’acte, quitte à élargir la notion restrictive du mandat, soit on crée une catégorie "sui generis" empruntant la majeure partie de son régime au mandat tout en permettant l’accomplissement d’actes matériels. Ces deux

372

Cf. Cass. soc. 13 mars 1980 et Cass. soc. 10 oct. 1990, op. cit. 373 Cass. soc. 04 déc. 1985, op. cit.

105 hypothèses sont probantes ; cependant, la jurisprudence qualifie sans opérer aucune distinction374 le délégué de mandataire du syndicat375.

Le professeur Cœuret réduit cette difficulté en recourant à la qualification de la délégation de pouvoir376. La délégation de pouvoir n’étant pas exclusive de la qualité de mandataire, il en déduit que le délégué syndical doit être considéré comme mandataire du syndicat qui l’a désigné lorsqu’il passe des actes juridiques en ses nom et place et comme délégataire lorsqu’il réalise des actes matériels377. Ainsi, le délégué syndical est le mandataire du syndicat lorsqu’il négocie et signe les conventions et accords collectifs de travail. Cette qualité se superpose à celle de délégataire pour la mission générale de représentation. Il est alors admis que les syndicats confèrent leurs pouvoirs à leurs délégués dans le but de réaliser dans l’entreprise l’objet du syndicat. Cet objet légal englobant principalement la réalisation d’actes matériels378.

106 -Il apparaît très difficile d’appréhender de manière globale la représentation exercée par le délégué syndical pour le compte de son syndicat. Sans vouloir minimiser l’importance que revêt la nature juridique de cette représentation, nous emploierons le terme de représentation sans opérer de distinction entre les natures juridiques différentes qu’elle peut emprunter. Le délégué syndical représente son syndicat, mais également la collectivité des salariés dans laquelle il est désigné. En d’autres termes, le délégué syndical représente son syndicat qui a vocation, selon l’article L 2131-1 du

374 Nous pouvons citer à titre d’illustration l’action en justice en contestation de la désignation d’un délégué syndical (Cass. soc. 31 mai 2001, Bull. civ. V, n°195, p. 153) et la conclusion d’accords collectifs (Cass. soc. 25 janvier 1995, Bull. civ. V, n° 40, p.29 et surtout Cass. soc. 19 février 1992, Bull. civ. V, n°106, p. 65). Dans cette dernière espèce, la Cour décide que « d’une part, M. Coppens, désigné en vertu de l’article L 412-11 C. trav. pour représenter son organisation syndicale auprès du chef d’entreprise, était, par cette seule désignation, investi de plein droit du pouvoir de négocier et de conclure un accord d’entreprise, conformément aux dispositions de l’article L 132-20 du même code et ce, quelle que soit l’importance de cet accord […] d’autre part, il appartient à l’organisation syndicale qui entendait suspendre le mandat donné à son délégué, d’en informer en temps utile les autres parties à la négociation… »

375

Cass. soc. 9 juillet 1958, Bull. civ. II, 1958, n° 511, p. 338 ; Cass. soc. 9 octobre 1958, Bull. Civ. IV, 1958, n° 1012 (1er esp.), p. 768 ; Cass. soc. 30 mai 2001, Bull. civ. V, n° 195 p. 153.

376 CŒURET (A.), Juris-classeur, Travail traité, fasc. 82-20, n°110 ; « La nouvelle donne en matière de responsabilité », Dr. soc. 1994, p. 634.

377

Cette solution nous semble peu satisfaisante dans la mesure où la délégation de pouvoir n’empêche pas de rechercher la responsabilité du déléguant. Une telle position conduit à limiter fortement la responsabilité encourue par le syndicat du fait des agissements de son délégué syndical. Or la responsabilité du syndicat n’est retenue que lorsqu’ est établie sa participation ou son implication dans les faits ou agissements dommageables.

Code du travail, à représenter l’intérêt collectif des salariés. Ainsi, le délégué peut être considéré comme le représentant "par ricochet" des travailleurs.

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