• Aucun résultat trouvé

ACCORDS ORGANISATIONNELS

SECTION 2 : DES CRITERES DE SELECTION PERTINENTS POUR LA REPRESENTATION

A. Le cadre interprofessionnel

85 - La question de la représentativité n’est pas souvent posée au niveau national interprofessionnel. En effet, l’arrêté de mars 1966 a figé le nombre des confédérations syndicales les plus représentatives au plan national. Lors de la scission intervenue au sein de la CFTC en 1964, ayant donné naissance à la CFDT, le Conseil d’État a précisé que la CFTC conservait son caractère représentatif, non pas grâce à ses effectifs, mais en raison de son audience et de la tradition originale qu’elle incarnait au sein du syndicalisme français. Après avoir examiné les différents critères de représentativité et avoir relevé la faiblesse des effectifs de la CFTC, les juges ont utilisé un autre critère compensant cette faiblesse : le critère de la tradition originale incarnée par la CFTC au sein du syndicalisme français. En d’autres termes, les juges ont estimé que la CFTC représentait une idéologie ou un courant de pensée important, absent chez les autres organisations les plus représentatives. Toutefois, s’il suffisait de défendre une identité collective différente pour être représentatif, un certain nombre d’organisations auraient pu revendiquer ce caractère. Or, cela allait à l’encontre de l’objet de la représentativité visant à limiter le pluralisme. La modification de l’arrêté de 1948 par celui de 1966 a mis fin à toute contestation dans la mesure où tant la CFDT que la CFTC sont apparues dans l’énumération des confédérations les plus représentatives au plan national et interprofessionnel.

86 - Depuis cet épisode particulier de l’histoire syndicale, le seul bouleversement majeur est à rapporter à l’UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes). Cette union de syndicats319 a fait parler d’elle en demandant en 2003 au ministre du travail de la reconnaître comme l’une des organisations syndicales les plus représentatives au plan

319 L’article L 2133-1 C. trav. reconnaît à plusieurs syndicats professionnels régulièrement constitués de se grouper en vue de défendre leurs intérêts professionnels, matériels et moreaux. Cet article prévoit que « Les syndicats professionnels régulièrement constitués peuvent librement se concerter pour l’étude et la défense de leurs intérêts matériels et moraux ».

87 national interprofessionnel afin qu’elle puisse participer à la commission nationale de la négociation collective. Suite à un refus implicite du ministre, l’UNSA a contesté cette décision devant les juridictions administratives. Le Conseil d’État s’est prononcé le 5 novembre 2004320.

Les juges administratifs devaient déterminer si l’UNSA était une organisation représentative au plan national et interprofessionnel et vérifier si les différents critères étaient remplis. D’emblée, les juges ont rappelé que « la représentativité des organisations syndicales était déterminée d’après les critères suivants : les effectifs, l’indépendance, les cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat, l’attitude patriotique pendant l’occupation ». Ensuite, ils ont examiné si le critère de l’audience était rempli. Suivant les conclusions du commissaire du gouvernement Stahl, les juges ont opéré une distinction entre les critères dits secondaires et les critères premiers. Cette distinction repose sur l’idée que les critères secondaires peuvent conduire à disqualifier une organisation qui n’y satisfait pas mais ne suffisent pas à conférer la qualité d’organisation les plus représentatives321. Les juges ne se sont pas attardé sur ces critères secondaires tant il est clair qu’ils étaient indéniablement remplis. Il était difficile de soutenir que l’UNSA n’était pas indépendante des groupements d’employeurs, qu’elle n’avait pas suffisamment d’expérience et d’ancienneté, ou encore qu’elle ne pouvait pas justifier de suffisamment de cotisations322. Toute l’attention des juges s’est alors portée sur les deux critères principaux qu’étaient les effectifs et l’audience323. Or, ces critères devaient être appréciés dans le double champ national et interprofessionnel.

Les juges ont rappelé que le critère des effectifs devait être apprécié tant par rapport à l’ensemble des travailleurs concernés que par rapports aux effectifs des autres organisations syndicales reconnues comme les plus représentatives au plan national interprofessionnel324. Les juges ont relevé que si l’UNSA revendiquait 307000

320 CE 5 novembre 2004, Dr. soc. 2004, p. 1105.

321 Conclusions du commissaire du gouvernement Jacques-Henri STAHL, Dr. soc. 2004, p. 1098.

322 À propos de ces cotisations, le commissaire du gouvernement STAHL relève dans ses conclusions que « les cotisations versées par les adhérents sont suffisantes pour corroborer la réalité, l’authenticité et l’indépendance de l’organisation ». Ibid.

323 Remarquons que le critère de l’indépendance, considéré comme fondamental par la Cour de cassation

(…) n’est pas repris dans les critères principaux. Cela semble logique dans la mesure où l’indépendance n’est pas contestée.

adhérents, seuls 93600 étaient issus du secteur privé, ce qui était relativement faible. Sur ce point précis, le commissaire du gouvernement a relevé que si l’UNSA comptait en moyenne deux fois moins d’adhérents que les confédérations CGT et CFDT, elle en regroupait plus que la CGC et la CFTC.

Après avoir vérifié que le critère des adhérents était rempli, les juges ont examiné le critère de l’audience. Or, le scrutin qui semblait le plus pertinent était celui des élections des conseillers prud’hommes. Cependant, les juges ont également tenu compte de scrutin ayant un champ géographique et professionnel plus limité comme les élections de comités d’entreprises et de délégués du personnel. Une moyenne nationale avait alors été calculée et avait permis de donner approximativement le poids électoral des différents syndicats. L’UNSA revendiquait une forte augmentation de son score aux élections prud’homales qui était passé de 0,7% en 1997, à 5% en 2002.

Une fois ces différents éléments de fait relevés, les juges devaient se prononcer sur l’appréciation qu’il fallait donner de ces différents éléments. C’est sur ce point que l’apport de la décision est fondamental. Alors que les juges semblaient s’orienter vers la reconnaissance de la représentativité de l’UNSA, ils ont finalement rejeté sa requête au motif que, malgré la progression récente de ses effectifs et de son audience, l’UNSA n’était pas encore suffisamment implantée dans les différentes branches pour pouvoir être considérée comme représentative au plan national interprofessionnel325. Comment interpréter cette solution ? Faut-il considérer que les juges ont posé un troisième critère relatif à l’implantation dans la majeure partie des branches professionnelles régies par le Code du travail ou qu’ils ont donné un élément supplémentaire d’appréciation des différents critères ? La première solution, notamment défendue par le professeur Arséguel, a pour mérite d’être claire et conforme à l’idée selon laquelle les critères de représentativité doivent permettre de sélectionner les organisations qui représentent aux mieux les salariés326. Au niveau national interprofessionnel, il est logique que les syndicats les plus représentatifs justifient d’effectifs suffisants et d’une audience

325 Les juges relèvent « qu’il ressort des pièces du dossier que si l’U.N.S.A. revendique plus de 300 000 adhérents et si elle soutient que sa représentativité a été établie dans vingt quatre branches d’activité et serait en voie de l’être dans quatre autres branches, celles qui sont couvertes par les conventions collectives sont au nombre de 300 et l’essentiel de son implantation se situe encore dans la fonction publique ; que la progression récente de ses effectifs, marquée par les 260 000 suffrages obtenus lors des élections prud’homales du 7 décembre 2002 - contre 35 000 en 1997, soit 0,7 % - se caractérise par une audience encore trop réduite dans la majeure partie du champ ci-dessus défini » c’est-à-dire toutes les entreprises situées sur le territoire national et régies par le code du travail.

89 respectable dans la plupart des branches professionnelles327. Toutefois, la seconde solution n’est pas dénuée de tout sens. En effet, faire de l’implantation dans l’ensemble des branches un élément d’appréciation a pour mérite de ne pas ajouter un nouveau critère tout en permettant au juge de se livrer à un examen plus poussé des effectifs et de l’audience dans chacune des branches considérées. Cela vaut peut-être moins pour le critère de l’audience pour lequel existent des scrutins nationaux pertinents à cet égard. Afin d’être reconnue comme l’une des organisations les plus représentatives au plan national interprofessionnel, l’UNSA devra élargir son implantation dans le secteur privé et maintenir des résultats aux scrutins nationaux au dessus des 5%.

87 -Pour conclure sur l’appréciation du caractère plus représentatif au niveau national interprofessionnel, il convient de remarquer que les critères de représentativité posés à l’article L 2121-1 du Code du travail sont particulièrement pertinents et permettent de ne conférer la qualité représentative qu’aux organisations qui représentent réellement tous les salariés328. Toutefois, l’examen des décisions du Conseil d’État démontre que seules les organisations qui justifient d’une vocation interprofessionnelle peuvent être classées parmi les plus représentatives au plan national et siéger dans des instances telles que le Conseil Économique et Social, la Commission Nationale de la Négociation Collective et peuvent bénéficier de la présomption de représentativité. Ainsi, l’UNSA n’a pas été reconnue représentative au plan national et interprofessionnel parce qu’elle ne satisfaisait pas aux différents critères de représentativité énoncés à l’article L 2121-1 du Code du travail dans la plupart des branches professionnelles. Cette vocation interprofessionnelle des organisations les plus représentatives au plan national a permis au juge administratif de rejeter les demandes formulées par la CGSI329, la CAT330, la FEN331 ou encore par la

327

C’est la solution défendue par le professeur Arséguel qui a été retenue par la loi du 20 août 2008. Conformément au nouvel article L 2122-9 du Code du travail, une organisation syndicale qui souhaite être reconnue représentative au niveau national interprofessionnel doit satisfaire aux sept critères posés à l’article L 2121-1 C. trav., justifier d’une audience de 8% à ce niveau et être implantée et représentative dans les branches de l’industrie, de la construction, du commerce et des services.

Confédération Nationale des Chauffeurs Routiers et des Salariés de France332 aux fins d’être reconnues représentatives au plan national et interprofessionnel. Dans ces trois exemples, il apparaît de manière implicite ou explicite que ces organisations ne pouvaient pas être reconnues représentatives au plan national interprofessionnel parce qu’elles n’avaient pas vocation à grouper les salariés sur le plan national interprofessionnel333. L’exigence d’une présence dans la majorité des branches n’exclut absolument pas qu’une organisation syndicale dite catégorielle puisse acquérir le label d’organisation la plus représentative au plan national interprofessionnel. En effet, la CGC a été reconnue comme l’organisation la plus représentative des cadres334.

88 - Ainsi, les juges se livrent non pas à une appréciation globale des critères de représentativité toutes branches confondues, mais vérifient que les critères de représentativité sont remplis dans la majorité des branches. Et ce n’est qu’à cette condition qu’une confédération syndicale peut prétendre faire partie des organisations

328 Précisons tout de même que la CGC n’a vocation qu’à représenter tous les cadres dont l’entreprise est régie par le code du travail.

329

CE 11 avril 196, Rec. p. 275. Dans cette décision, le juge administratif considère que la CGSI n’est pas représentative au plan national interprofessionnel dans la mesure où « les syndicats qu’elle groupe sont trop peu nombreux pour qu’elle puisse valablement concourir à représenter les salariés au sein de la commission supérieure des conventions collectives ». Ainsi, une organisation qui ne groupe qu’un nombre limité de syndicats professionnels n’est pas suffisamment présente dans les différentes branches pour pouvoir être reconnue comme étant l’une des plus représentative au plan national et professionnel. 330 CE 17 juin 1960, Rec. p. 1150 ; Dr. Soc. 1961, p. 170, obs. J. SAVATIER. La CAT ne peut pas être regardée comme l’une des organisation les plus représentative au plan national interprofessionnel même si elle justifie de sa participation à des commissions administratives paritaires. En effet, ces commissions fonctionnent dans un secteur particulier et limité au public. Cela voulait dire que la CAT n’avait pas une vocation interprofessionnelle.

331 CE 6 novembre 1970, Rec. p. 659 ; JCP G 1970, II, n°16566 ; Dr. ouvrier 1972, p. 378. 332

CE 2 novembre 1973, Rec. p. 614. Dans cette affaire, la Confédération Nationale des Chauffeurs Routiers et des Salariés de France s’était vue refuser la possibilité d’organiser, dans les centres qui leurs sont rattachés, des stages ou des sessions ouvrant, au profit des travailleurs, droit à des congés non rémunérés d’éducation ouvrière ou de formation syndicale en application de la loi du 23 juillet 1957. Or, seules les organisations syndicales reconnues représentatives au plan national interprofessionnel pouvaient prétendre à ces stages d’éducation ouvrière. Le Conseil d’État refusa cette possibilité à cette confédération au motif que « si la confédération nationale des chauffeurs routiers et des salaries de France, telle qu’elle était constituée lors de la décision du 22 février 1968, comprenait, outre des fédérations nationales de chauffeurs routiers, une fédération groupant des salaries de diverses branches d’activité, le nombre d’adhérents de cette dernière fédération était insuffisant pour que soit

reconnue a la confédération le caractère d’une organisation interprofessionnelle représentative sur le plan national ».

333

ARSEGUEL (A.), thèse op. cit., p. 339.

91 les plus représentatives au plan national et interprofessionnel335. Il est donc clair que les critères de représentativité s’appliquent plus naturellement au niveau national. Cette position est confortée par le fait que l’article L 2121-1 du Code du travail se situe dans la partie du Code du travail relative aux conventions et accords susceptibles d’être étendus. Comment dès lors justifier que les critères de représentativité, qui n’ont pas vocation à être universels, puissent s’appliquer avec la même pertinence au niveau de l’entreprise ?

La loi du 20 août 2008 a modifié les règles relatives à la reconnaissance des organisations les plus représentatives au niveau national interprofessionnel. Le nouvel article L 2221-9 du Code du travail dispose que seules peuvent être reconnues représentatives les organisations syndicales satisfaisant aux sept critères institués à l’article L 2121-1 du même Code, ayant obtenu au moins 8% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles centralisés à ce niveau et ayant été reconnues représentatives dans les branches de l’industrie, de la construction, du commerce et des services. Le critère de la vocation interprofessionnelle exigée par la jurisprudence administrative est ainsi consacré par la loi. Les dispositions de la loi du 20 août 2008 relatives à la détermination de la représentativité au niveau national n’entreront en vigueur qu’à compter du 21 août 2012.

Documents relatifs