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Des critères façonnés par l’administration

ACCORDS ORGANISATIONNELS

SECTION 2 : DES CRITERES DE SELECTION PERTINENTS POUR LA REPRESENTATION

A. Des critères façonnés par l’administration

65 -La loi du 24 juin 1936 n’a pas défini l’expression « d’organisations syndicales les plus représentatives ». L’administration a alors posé quelques orientations permettant leur détermination. La circulaire Lebas du 17 août 1936263 s’étant inspiré de l’avis de la CPJI de 1922, a prévu que « le nombre d’adhérents, s’il était un facteur important n’était pas nécessairement déterminant et que l’on pouvait s’appuyer sur d’autres éléments de fait pour désigner, sous le contrôle du Conseil d’État, les organisations syndicales les plus représentatives »264. Quels étaient ces autres éléments permettant d’apprécier le caractère le plus représentatif des différentes organisations

261 Avis sub. cit. pp.17 et 18. La Cour décide que « La confédération néerlandaise des syndicats, d’après les renseignements fournis à la Cour, est celle d’entre les organisations analogues existant aux

Pays-Bas qui compte le plus grand nombre de membres. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle soit la

plus représentative, mais pour les fins du présent avis, elle peut être présumée comme telle ». Il ressort de ce passage trois éléments fondamentaux quant à l’appréciation de la représentativité. En effet, il semble que le critère des effectifs soit le plus important. Cependant, ce critère ne fait que présumer la représentativité de l’organisation en cause et l’appréciation de ce caractère doit se faire au niveau national en comparaison avec les autres organisations syndicales. La Cour précise également qu’il appartient à chaque pays de procéder à cette détermination « au moment même où se fait la désignation… » que pour se faire, il doit se baser « sur les éléments dont il dispose » sachant que si « le nombre d’adhérents n’est pas le seul critère pour juger du caractère représentatif d’une organisation, c’est un facteur important ; toutes choses étant égales par ailleurs, l’organisation comprenant le plus grand nombre d’adhérents sera l’organisation la plus représentative ».

262 Loi du 24 juin 1936, J.O. du 26 juin 1936. 263

Circulaire Lebas du 17 août 1936, J.O. du 3 septembre 1936, p. 9392. 264 CPJI, avis du 31 juillet 1922, op. cit.

syndicales ? Bien que cette circulaire n’ait pas expressément fixé des critères, sa formulation laissait deviner certains des critères qui venaient compléter celui des effectifs.

La circulaire du 17 août 1936 rendait obligatoire la vérification de la valeur de l’adhésion de chaque membre. Celle-ci devait se faire tant par rapport à sa signification que par rapport à l’autre partenaire265. Plus simplement, il s’agissait de vérifier que l’adhésion des membres des organisations syndicales était fondée sur une démarche volontaire et personnelle et qu’elle n’était influencée ni par l’organisation elle-même ni par un employeur. De cette idée se profilaient deux des critères qui ont ensuite été repris par la loi. Il s’agissait d’abord, du critère des cotisations qui rendait matériellement vérifiable l’adhésion et ensuite, l’indépendance de l’organisation par rapport à la partie patronale.

Dans un second temps, la circulaire invitait l’administration à se pencher sur « les circonstances de constitution du syndicat », à apprécier « son ancienneté » et enfin, à vérifier s’il avait acquis des « titres par des négociations menées avec les pouvoirs publics ou les patrons ». Ces trois recommandations adressées à l’administration faisaient sans conteste référence à l’ancienneté et à l’expérience de chaque organisation. Cette première circulaire posait donc les fondations de la représentativité. Néanmoins, un certain nombre de précisions ont été données par d’autres circulaires266.

66 - La circulaire Parodi du 28 mai 1945267, a clarifié les différents critères de représentativité. Cependant, la guerre ayant laissé des traces indélébiles dans la conscience collective française, l’administration a souhaité ne conférer la qualité d’organisations syndicales les plus représentatives qu’à celles n’ayant pas participé à l’épuration administrative et n’ayant pas collaboré avec l’ennemi268. Le critère de

265 ARSEGUEL (A.), thèse, op. cit., p. 147. 266

BOITEL (M.), « La représentativité des organisations syndicales », Dr. Ouvrier 1948, p. 176. 267 J.O. du 28 juin 1945, p. 3915 ; Dr.soc. 1945, p. 275.

268 Cette précision a été donnée par une circulaire du 13 mars 1945exigeant le respect de l’ordonnance du 24 juillet 1944268 relative au rétablissement de la liberté syndicale. L’article 3 de cette ordonnance disposait que « ne pourront faire partie du bureau ou des organismes directeurs d’un syndicat, d’une

union ou d’une fédération de syndicats professionnels, sous quelque forme que leur désignation ait lieu, les personnes qui : Soit ont fait l’objet d’une sanction disciplinaire ou d’une mesure administrative prononcée en application de l’ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative ; soit ont fait l’objet d’une condamnation en application de l’ordonnance du 24 juin 1944 (J.O. du 30 août 1944) relative à la répression des faits de collaboration ». Il en résulte que tout syndicat ayant compté parmi

73 l’attitude patriotique sous l’occupation a ainsi été consacré. La doctrine autorisée de l’époque estimait déjà qu’il s’agissait d’un critère de circonstance qui, en conséquence, n’avait pas vocation à être gravé Ad vitam aeternam dans la législation sociale269.

À partir de mai 1945, seules les organisations syndicales ayant rempli les conditions d’effectif, d’indépendance, de cotisation, d’expérience et d’ancienneté et ayant eu une attitude patriotique pendant l’occupation étaient habilitées à participer aux différents organismes et instituions de la démocratie sociale et, plus largement, exercer toute fonction d’ordre institutionnel270.

Face aux difficultés d’appréciation que posait le critère des effectifs, l’administration a précisé la manière dont il devait être appréhendé. Une décision conjointe du président du Conseil (Paul Ramadier) et du ministre du travail et de la sécurité sociale de l’époque (Ambroise Croizat), datée du 13 mars 1947271, a posé des seuils quantitatifs. L’adoption d’un seuil minimal d’adhérents a fixé la limite à partir de laquelle une organisation syndicale pouvait être classée parmi les plus représentatives et en conséquence, être admise à négocier et conclure des conventions collectives nationales. Cette décision conjointe a opéré une distinction entre conventions collectives interprofessionnelles et convention collectives professionnelles. Pour les premières, seules pouvaient signer un accord les organisations justifiant de 10% des effectifs syndiqués pour l’ensemble de la branche d’activité considérée et de 25% des effectifs syndiqués de l’une des catégorie en cause. De même, ne pouvaient participer à la négociation des conventions collectives nationales professionnelles, que les organisations qui justifiaient soit des taux prévus pour la négociation

leur direction une ou plusieurs personnes ayant collaboré avec l’ennemi ou participé à l’épuration administrative ne pouvait en aucun cas se voire reconnaître la qualité d’organisation représentative. 269 OLLIER (P.-D.), Le droit du travail, Colin, 1972, p. 315 ; DESPLATS (J.), op. cit., p. 272. Cités par ARSEGUEL (A.), thèse, op. cit., p. 148.

270 FOURCADE (C.), L’autonomie collective des partenaires sociaux. Essai sur les rapports entre

démocratie politique et démocratie sociale, Thèse LGDJ, Bibliothèque de droit social, tome 43, p. 188. 271 J.O., 15 mars 1947, p. 2444 ; Dr. soc. 1947, p. 118.

interprofessionnelle, soit de 33% des effectifs syndiqués de la catégorie en cause272. La fixation de seuils était pertinente et permettait sans aucun doute d’opérer une distinction entre les organisations simplement représentatives et les plus représentatives. Cependant, ces seuils se sont avérés trop élevés. En effet, le taux de syndicalisation, tous syndicats confondus, n’a jamais dépassé les 35%273. Ce taux est resté très exceptionnel et n’a été atteint que pendant l’épisode du front populaire en 1936274 et suite à la libération de 1944275. Or, l’administration a pris en compte ce contexte de forte syndicalisation pour fixer les critères de représentativité. En définitive, les critères de représentativité ont été posés sur les fondations d’un syndicalisme d’adhérents. Cependant, le syndicalisme français n’a jamais été un syndicalisme d’adhérents276. D’emblée, les critères ayant permis de déterminer les organisations syndicales les plus représentatives sont apparus inadaptés au syndicalisme français. Afin d’éviter un système de syndicat unique, la circulaire Mayer du 4 décembre 1947277 a supprimé les seuils d’adhérents278 et a précisé qu’au niveau de l’entreprise, il fallait également tenir

272 L’article unique de cette décision conjointe est formulé de la façon suivante : « 1°) Pourront participer à l’élaboration des dispositions de la convention collective, commune à l’ensemble des catégories de salariés, les organisations remplissant les conditions prévues par la jurisprudence et les instructions ministérielles et justifiant en outre de 10% des effectifs syndiqués pour l’ensemble de la branche d’activité considérée et 25% des effectifs syndiqués de l’une des catégories professionnelles en cause ; 2°) Pourront participer à la négociation des chapitres des conventions collectives nationales propres à une catégorie de salariés déterminée, les organisations syndicales qui rempliront les conditions prévues par la jurisprudence et les instructions ministérielles intervenues en la matière et justifieront, en outre : soit de 10% des effectifs syndiqués pour l’ensemble de la branche d’activité considérée et 25% des effectifs syndiqués de l’une des catégories professionnelles en cause ; soit de 33% des effectifs syndiqués de la catégorie professionnelle en cause… »

273

LANDIER (H.) et LABBE (D.), Les organisations syndicales en France. Des origines aux évolutions

actuelles, Éditions liaisons, 2004, p. 34.

274 Les grèves de 1936 allaient conduire à la victoire du front populaire rassemblant les communistes, les socialistes et les radicaux de gauche et à la signature des accords dits de Matignon. L’obtention dans ces accords d’une augmentation substantielle des salaires, des congés payés, de la semaine de 40h et la création des délégués du personnel dans l’entreprise va créer une forte dynamique d’adhésion. En 1938, la CGT, à elle seule, approche les 5 millions d’adhérents.

275 En 1944, c’est l’euphorie de la libération et la volonté de reconstruire un syndicalisme fort qui a fait que la CGT comptait près de 8 millions d’adhérents et la CFTC, 800 000.

276 LANDIER (H.) et LABBE (D.), op. cit., p. 33.

277 Circulaire du 4 décembre 1947, Dr. soc. 1947, p. 117.

278 La question des seuils de représentativité est à nouveau d’actualité depuis l’adoption de la loi du 20 août 2008 qui conditionne l’octroi de la capacité représentative à l’obtention d’un certain score aux élections professionnelles. Tout syndicat n’ayant pas obtenu10% des voix au premier tour des dernières élections professionnelles ne pourra pas être reconnu représentatif dans l’entreprise. Ce seuil est abaissé à 8% aux niveaux nationaux de branche et interprofessionnel.

75 compte des résultats aux dernières élections professionnelles pour apprécier le caractère représentatif d’un syndicat279.

67 -En 1947, il existait cinq critères de représentativité applicables au niveau national et un qui n’avait de portée qu’au niveau de l’entreprise : l’audience. D’ailleurs, le critère de l’audience n’a pas été repris par la circulaire du 20 janvier 1948 ayant ajouté la CGT-FO (suite à la scission avec la CGT) à la liste des organisations les plus représentatives au plan national. Pour justifier sa position, l’administration a donné une interprétation originale du critère de l’ancienneté et l’expérience du syndicat. En effet, le syndicat CGT-FO nouvellement créé « empruntait son expérience et son ancienneté » au syndicat CGT dont il était issu280. Il apparaissait donc que l’appartenance ou l’adhésion à une centrale syndicale ancienne et expérimentée faisait présumer la réunion des critères de l’ancienneté et de l’expérience pour les syndicats nouvellement créés. Cette présomption d’ancienneté et d’expérience a également été étendue aux syndicats d’entreprise. En effet, la circulaire du 20 janvier 1948 a prévu que « dans les cas où le caractère représentatif d’une organisation ne pourrait être suffisamment établi sur le plan de l’entreprise, il pourrait être tenu compte, comme d’un élément supplémentaire, de l’appartenance de cette organisation à l’une des grande centrale syndicale ». L’adhésion à une centrale confédérale nationale ne constituait pas un critère de représentativité, mais avait pour but de faciliter la reconnaissance de certains critères comme l’ancienneté, l’expérience et l’attitude patriotique sous l’occupation.

Cependant, dans une décision interministérielle du 8 avril 1948, l’administration a retenu281 que toutes les organisations syndicales nationales de salariés affiliées à la CGT, à la CGT-FO, à la CFTC et enfin à la CGC étaient représentatives et pouvaient

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« la mise en application du nouveau mode d’élection prévu par les lois du 7 juillet 1947 instituant le régime de la représentation proportionnelle des élections des membres du CE et de celles des DP a pu notamment avoir pour conséquence de permettre la représentation des organisations syndicales qui n’auraient pas été reconnues comme représentatives au moment de l’établissement des listes électorales. Vous aurez ainsi à tenir compte […] d’un nouvel élément d’appréciation basé sur le résultat des dernières élections professionnelles ». La circulaire ne fait qu’ajouter un nouveau critère d’appréciation sous entendant que le syndicat doit également satisfaire aux autres critères de représentativité. Pour preuve, la circulaire dispose que ce nouveau critère est pertinent uniquement si « les organisations dont il s’agit satisfont par ailleurs aux conditions exigées par les circulaires en vigueur ».

280 La circulaire énonce à ce titre que la CGT-FO n’est finalement que « la reconstitution d’une organisation ancienne justifiant d’un long passé syndical ».

281 Décision interministérielle du 8 avril 1948 relative à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail, J.O. du 9 avril 1948, p. 3541 ; Dr. soc. 1948, p. 156.

conclure des conventions collectives nationales282. À s’en tenir à une lecture stricte du texte, seules les organisations nationales affiliées à l’une des confédérations énoncées bénéficiaient de cette présomption.

Ce n’est pas l’interprétation qu’ont retenu les juges. En effet, ils ont décidé que tout syndicat, quel que soit son cadre d’implantation, affilié à une centrale syndicale reconnue représentative au plan national, était irréfragablement présumé représentatif283.

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