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ACCORDS ORGANISATIONNELS

PLUS LEGITIMES

A. La notion de démocratie sociale

39 - La représentativité a permis la mise en place de la démocratie sociale en limitant le soin d’y participer aux seules organisations syndicales les plus représentatives. Afin de mesurer l’importance des missions conférées à ces organisations syndicales, il convient de définir la démocratie sociale.

40 - La démocratie. Le mot démocratie vient du grec δηµος (demos), qui se traduit par peuple et κρατος (kratos), correspondant à l’idée de pouvoir ou de commandement. La démocratie se définit comme « un régime politique dans lequel le pouvoir est

attribué au peuple qui l’exerce lui-même, ou par l’intermédiaire de ses représentants qu’il élit »164. D’après Périclès (492 à 431avant JC), «l’État démocratique doit

s’appliquer à servir le plus grand nombre ; procurer l’égalité de tous devant la loi ;

faire découler la liberté des citoyens de la liberté publique. Il doit venir en aide à la faiblesse et appeler au premier rang le mérite. L’harmonieux équilibre entre l’intérêt de

l’État et les intérêts des individus qui le composent assure l’essor politique, économique, intellectuel et artistique de la cité, en protégeant l’État contre l’égoïsme

162 BRUNET (P.), Vouloir pour la Nation. Le concept de représentation dans la théorie de l’État, Thèse Paris X 1997, LGDJ 2004.

163 DESPLATS (M.-J.), « La notion d’organisations syndicales les plus représentatives », Dr. soc. 1945, p. 271.

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individuel et l’individu, grâce à la Constitution, contre l’arbitraire de l’État »165. La démocratie sociale assure une certaine égalité en aidant les plus faibles et en veillant à ce que les intérêts des uns ne prédominent pas sur ceux des autres. La démocratie constitue ainsi un mode d’organisation des pouvoirs dans une société, reposant sur les valeurs de liberté et d’égalité. Chaque citoyen doit pouvoir librement s’exprimer et prendre part à toute décision susceptible de le concerner. Cependant, la « démocratie par le nombre »166 pose un certain nombre de difficultés. L’article 3 de notre Constitution prévoit d’ailleurs que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et que « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

41 -La doctrine opère classiquement une distinction entre la démocratie directe et la démocratie indirecte. La première trouve une consécration dans "le contrat social" de Rousseau prenant pour postulat que chaque individu détient une parcelle de la souveraineté et que la souveraineté ne peut se déléguer sans s’aliéner. Ainsi, une décision n’est souveraine que lorsque chacun y consent personnellement. Néanmoins, Rousseau reconnaît l’impossibilité d’une approbation directe généralisée. Il écrit alors que « À prendre le terme dans la rigueur de l’acception il n’a jamais existé de véritable

démocratie et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change »167.

165 Cette définition de la démocratie est placée dans la bouche de PERICLES par l’historien THUCYDIDE

(470 à 395 avant JC), auteur de La guerre du Péloponnèse. Elle nous permet immédiatement de dégager certains principes gouvernant la démocratie. Le principe le plus important reste sans aucun doute la liberté. Liberté d’être tour à tour gouverné et gouvernant, liberté de tous participer à la vie de "la communauté", sans considération de richesse. Le second principe vise plus spécifiquement le rôle de l’État dans la démocratie. En effet, si d’un coté, l’État démocratique doit protéger les plus faibles, la Constitution doit prévoir des mesures visant à lutter contre l’arbitraire étatique (ARISTOTE, Politique, VI, 2, 1317b).

166 SUPIOT (A.), « La loi Larcher ou les avatars de la démocratie représentative », Dr. soc. 2010, p.525 et spé. p. 526.

167 ROUSSEAU (J.-J.), Du contrat social, Livre III. Chapitre IV, intitulé De la démocratie, Marc Michel

REY, Amsterdam 1672. Ouvrage consultable sur internet à l’adresse suivante :

Devant un tel constat, la démocratie ne peut s’exercer que de manière indirecte, c’est-à-dire par l’intermédiaire de représentants élus par le peuple168. Nous pouvons alors nous questionner sur ce que représentent ces intermédiaires élus. Sans entrer dans le débat relatif au monisme ou au pluralisme démocratique, il est incohérent de limiter le peuple à une portion homogène de la population169. Nous réfutons l’idée classique selon laquelle toute tentative de construction d’un modèle politique se doit d’être simple ; et nous adhérons, comme le professeur Rosanvallon, à l’idée que la souveraineté est complexe et qu’elle exige nécessairement une représentation multiforme. En effet, il est absurde de chercher mode de représentation parfait pour un ensemble sociologiquement et psychologiquement multiple170. Le peuple excède toujours les approximations qu’on peut en donner. C’est au contraire en multipliant et en diversifiant les moyens d’expression qui lui sont offerts qu’on peut cerner au mieux sa volonté. C’est dans cette optique que s’inscrit la démocratie sociale. Elle vise à faire remonter au niveau de l’État les revendications portées par le monde du travail. Ces revendications particulières sont relayées par les organisations syndicales les plus représentatives. La représentativité confère le caractère démocratique à cette représentation du monde du travail.

42 - Le social. Si la démocratie politique permet de gérer la société civile, la

démocratie sociale permet la gestion du monde du travail. Le social ne renvoie pas à la société171 mais au monde du travail. Dans « Le contrat social »172, Rousseau ne fait pas la différence entre le social et le politique. En effet, il entend par contrat social, celui qui lie les Hommes pour fonder la société. Il s’agit donc sans aucun doute d’un contrat politique avant tout.

43 - La notion de social s’est progressivement émancipée du politique pour constituer une réalité à part entière. Dans « L’esprit des Lois », Montesquieu affirme que l’État doit s’occuper de ceux qui n’ont pas de travail et de ceux qui ne peuvent plus

168

Nous n’aborderons pas la démocratie semi directe, qui n’est qu’une variante de la démocratie indirecte.

169 Ce fut la méthode de tous les régimes censitaires (plus noblement baptisés capacitaires). 170 SUPIOT (A.), Dr. soc. 2010, op. cit., p. 525.

171

ARISTOTE, Politique, VI, 2, 1317b.

51 travailler et tombent dans la misère »173. L’État doit assurer à tout citoyen les moyens de sa subsistance. Montesquieu définit le social comme une dette de l’État envers tous ses concitoyens qui involontairement ne peuvent plus subvenir à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leur famille. Cette acception du social existe toujours dans le langage courant, mais est trop large pour éclairer nos travaux.

Ce sont les sociologues qui recentrent le social autour du travailleur lors de l’examen de l’expression de classe sociale174. En effet, la classe sociale se définit comme « un groupe social important, de fait, et non de droit, résultant de la différenciation sociale, rassemblant les individus partageant un certain nombre de caractéristiques, unis par un sentiment d’appartenance et capables de mener des actions collectives »175. Ainsi, le social regroupe tout ce qui intéresse les travailleurs.

44 -La démocratie sociale. Il résulte des définitions précédentes que la démocratie

sociale permet aux travailleurs, d’une part, de gérer eux-mêmes certaines institutions les concernant comme la sécurité sociale, les caisses de retraite, les caisses de congés payés, les ASSEDIC… et d’autre part, de créer leurs propres normes, ou de participer à l’œuvre du législateur en vue d’organiser le monde du travail. Ces prérogatives peuvent être exercées directement ou par l’intermédiaire de représentants.

45 -La démocratie sociale se manifeste principalement sous deux formes : le paritarisme et la négociation collective176. Le professeur Borgetto affirme que la démocratie sociale est un système de gestion du social dans lequel une procédure

173 MONTESQUIEU, L’esprit des Lois, Édition établie par Laurent VERSINI, professeur à la Sorbonne. Paris: Éditions Gallimard, 1995, 2 volumes, Collection Folio Essais.

Œuvre consultable sur le site de l’Université du Québec à Chicoutimi, à l’adresse suivante : http://classiques.uqac.ca/classiques/montesquieu/de_esprit_des_lois/de_esprit_des_lois_tdm.html.

174 Nous pouvons citer pour exemple les travaux en l’honneur de Maurice GODELIER, intitulés La

production du social, colloque de CERISY, éditions Fayard, 1999.

175 Cette définition nous est donnée par le dictionnaire d’économie de Messieurs C. BIALES, M. BIALES, R. LEURION et J-L. RIVAUD, éd. Foucher, Paris 1999. Cette définition nous permet de dégager classiquement trois catégories de classes sociales. Il s’agit d’abord, des travailleurs qui perçoivent un salaire, revenu de leur travail ; ensuite des capitalistes qui perçoivent un profit revenu de leur capital ; et enfin, les propriétaires fonciers qui perçoivent la rente foncière, revenu de leur propriété.

176

VERKINDT (P.-Y.), « L’article L. 1 du Code du travail au miroir des exigences de la démocratie sociale », Dr. soc. 2010, p. 519.

démocratique doit être mise en place pour que chacun puisse participer à la gestion des institutions qui le concernent177.

Progressivement, une dimension économique est venue se greffer à la démocratie sociale. Elle se résumerait à traiter les conséquences sociales des changements économiques. Monsieur Le Garrec définit la démocratie sociale comme « la mise en

place et le fonctionnement d’une sphère de régulation du social entre le marché et l’État confiée aux partenaires sociaux »178. Il s’agit selon lui de laisser le soin aux partenaires sociaux d’adapter la condition sociale des travailleurs aux évolutions économiques dans un espace et avec des moyens qui leur sont propres tels que le paritarisme et la négociation collective. Cette vision contemporaine de la démocratie sociale confirme la volonté de faire des organisations syndicales des "accompagnateurs" des changements économiques. La concertation légiférante instituée par la loi dite Larcher du 31 janvier 2007 confirme ce nouveau rôle confié aux partenaires sociaux. La conception économique de la démocratie sociale se rapproche de la notion de démocratie industrielle développée par la doctrine anglo-saxonne. Elle vise à déterminer « les modalités par lesquelles la collectivité de travail et ses représentants participent à la vie économique ainsi qu’à la gestion et aux décisions de l’entreprise »179.

46 - Sans limiter la démocratie sociale à sa dimension économique, elle se présente comme un système d’organisation du monde du travail dans lequel chacun

participe, directement ou par le biais de ses représentants, à la création de normes (notamment par la négociation collective) et à la gestion paritaire des organismes intervenant dans le domaine économique et social. Un système qui accorde une place centrale à l’élection pour déterminer les représentants les plus légitimes et fonder leur pouvoir d’action et de représentation. Cette approche met en évidence

les interactions entre démocratie politique et démocratie sociale. Les travailleurs sont avant tout des citoyens. En conséquence, les organisations syndicales deviennent les représentants de l’intérêt collectif des travailleurs et de l’intérêt général180.

177

BORGETTO (M.), « Quelle démocratie sociale ? », Revue du droit public, n°1/2-2002, p. 194.

178 Voir le rapport d’information du 04 avril 2000 déposé à l’Assemblée Nationale par M. Jean Le Garrec.

179 VERKINDT (P.-Y.), « Les élections professionnelles dans l’entreprise », Dr. soc. 2009, p. 648. 180

53 L’importance des missions confiées aux organisations syndicales dans le fonctionnement de la démocratie sociale oblige ces dernières à disposer d’une réelle légitimité. Or, les anciennes règles relatives à la représentativité n’étaient pas un gage suffisant de légitimité.

47 -En effet, la représentativité a limité la participation à la démocratie sociale aux seules organisations syndicales représentant le plus grand nombre de travailleurs. Que l’on raisonne au niveau national, communautaire ou des entreprises, on ne peut parler de démocratie sociale que lorsque les partenaires sociaux gèrent le fonctionnement d’institutions et l’édiction de leurs normes de manière démocratique.

La représentativité a joué un rôle fondamental dans la mise en place et le fonctionnement de la démocratie sociale. Elle a contribué à sélectionner les organisations les plus aptes et les plus légitimes à exercer la fonction de représentation des travailleurs. Cependant, la consécration de la représentativité présumée a ouvert la possibilité à des organisations ne représentant qu’une minorité de travailleurs de participer au fonctionnement de la démocratie sociale. En conséquence, il a fallu revoir les conditions dans lesquelles les représentants des travailleurs étaient choisis181. Qu’il s’agisse de promouvoir les droits des travailleurs ou d’adapter ces derniers aux réalités économiques, la représentativité doit rendre compte de la capacité réelle et non présumée des organisations syndicales à représenter les salariés.

B. Le rôle de la représentativité syndicale dans la démocratie

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