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La négociation et la conclusion d’accords nationaux

ACCORDS ORGANISATIONNELS

PLUS LEGITIMES

4. La négociation et la conclusion d’accords nationaux

58 - Le concept de représentativité est apparu pour la première fois dans la législation française relative aux conventions et accords collectifs de travail avec la loi du 24 juin 1936237. La loi du 25 mars 1919238 avait ouvert la faculté de conclure un accord collectif de travail à tout groupement239. Tout syndicat légalement constitué pouvait conclure un contrat collectif qui développait ses effets uniquement entre les organisations signataires et les personnes adhérentes aux dites organisations. Ces accords avaient pour objet essentiel de régler des conditions de travail et les conditions auxquelles devaient satisfaire les contrats individuels de travail240. Or, la volonté de conférer une couverture conventionnelle au plus grand nombre a fait émerger l’idée que les conventions et accords collectifs devaient avoir la même portée qu’une loi professionnelle. La loi de 1936, a alors laissé subsister les conventions classiques dotées d’une nature contractuelle et a créé des conventions plus réglementaires, développant un effet erga omnes. Suite à l’adoption de la loi de 1936, coexistaient des

235 Cf. notamment l’article 5 de la convention du 22 mars 2001 relative aux institutions de l’assurance chômage.

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Cette spécificité, déjà présente en 1958, avait conduit la CGT à adhérer à cet accord sous peine d’être exclue de la gestion de l’assurance chômage. La CGT ne signa pas l’accord de 1958 puisqu’elle défendait l’intégration de l’assurance chômage dans la sécurité sociale.

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J.O. du 26 juin 1936. 238 J.O. du 26 mars, p. 12350.

239 Il s’agira tantôt de syndicats tantôt de comités de grève à l’issue d’un conflit. 240 Article 31 livre Ier du Code du travail.

65 conventions collectives ordinaires et des conventions collectives étendues souvent qualifiées de lois professionnelles.

Lors de la préparation de cette loi, s’était posée la question de savoir qui avait le pouvoir signer de telles lois professionnelles ? Très vite le choix s’est porté sur les organisations syndicales les plus représentatives. Que fallait-il entendre par cette expression et comment déterminer ces organisations ? Aucun élément intéressant n’est trouvé à cette période à cause du second conflit mondial. Il a fallu attendre le retour de la paix241 et notamment, la loi du 23 décembre 1946242 relative aux conventions collectives de travail et surtout la loi du 11 février 1950243 pour voir réapparaître la volonté de faire des organisations les plus représentatives, de véritables "législateurs professionnels". Si l’expression est un peu forte et consacre trop hâtivement l’existence d’une réelle autonomie collective, nous pouvons soutenir que les organisations syndicales les plus représentatives disposent d’un pouvoir « pré-réglementaire »244.

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Pendant cet intermède, le gouvernement de Vichy tente d’imposer une organisation corporatiste et limite, par trois décrets-lois et par la « charte du travail », la portée des conventions collectives existantes. Rapport n° 179 (2003-2004) de M. Jean Chérioux, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 janvier 2004, consultable sur le site internet du Sénat à l’adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l03-179-2/l03-179-2.html.

242 Loi n° 46-2924 du 23 décembre 1946, relative aux conventions collectives de travail, J.O. du 25 décembre 1946, p. 10932. Cette loi, n’opère pas tout à fait un retour à la législation d’avant guerre. En effet, elle hiérarchise de manière très stricte les conventions collectives selon leur champ territorial et pose une homologation préalable obligatoire par les pouvoirs publics. La rigidité de ce système a mis un frein à la production conventionnelle. En effet, seule une dizaine de conventions ont été conclues sous l’empire de cette loi.

243 Loi n° 50-205du 11 février 1950, relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail, J.O. du 12 février 1950, p 1688.

59 - Seules les organisations syndicales les plus représentatives au plan national245 occupent une place prépondérante aux cotés de l’État dans la gestion du monde du travail. Une place si importante qu’apparaît246 l’idée que les organisations syndicales les plus représentatives sont des institutions247 au sens où Maurice Hauriou

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Réserver des prérogatives aussi importantes à certaines organisations n’est pas contraire au principe d’égalité juridique reconnu à tous les syndicats légalement constitués. Si la réponse positive semble évidente, il convient tout de même de relativiser l’importance de cette atteinte. Si la représentativité porte atteinte à la liberté syndicale, c’est uniquement dans son acception individuelle. En effet, il est difficile de soutenir qu’un salarié peut adhérer au syndicat de son choix si certains parmi eux disposent de prérogatives réservées, sous couvert qu’ils regroupent une grande fraction des salariés. L’atteinte portée par le concept d’organisation représentative doit être relativisé essentiellement pour deux raisons. La première transcrit une évolution au sein même de la liberté syndicale. En effet, au cours du 20ième siècle, la conception individuelle de la liberté syndicale a eu tendance à décliner face à sa dimension collective. La restriction apportée à la liberté syndicale en est réduite d’autant. De plus, cette restriction doit être également relativisée au regard de la transposition de principes démocratiques qu’opère ce concept dans les relations sociales. D’ailleurs, les critères permettant la sélection de ces organisations représentatives reposent principalement sur la loi de la majorité. Cette opinion avait été défendue par Georges SPYROPOULOS dans sa thèse. Il soulignait en effet, que « la notion de représentativité traduit dans l’ordre social le principe démocratique de la loi de la majorité. Les pouvoirs que la loi accorde aux syndicats les plus représentatifs sont en effet des pouvoirs qui dans un régime démocratique n’appartiennent qu’à la majorité » (SPYROPOULOS (G.), La liberté syndicale, 1965 p.283). Sans empiéter sur les développements qui vont suivre, il convient de nuancer d’emblée cette affirmation. Si nous sommes d’accord pour dire que les pouvoirs qui sont conférés aux organisations représentatives appartiennent dans un régime démocratique à la majorité, la façon dont on a envisagé le calcul de cette dernière semble plus prêter le flanc à la critique. Les critères de représentativité posés par le législateur en 1951, à savoir les effectifs, l’indépendance, l’ancienneté et l’expérience et les cotisations, n’ont jamais permis de démontrer que les organisations syndicales représentatives représentaient la majorité des travailleurs. Tout au plus, elle permettait d’écarter les organisations squelettiques de la représentation de l’intérêt professionnel. La légitimité issue de la représentativité n’a jamais reposé sur la majorité au sens juridique du terme, mais sur une majorité fictive ou supposée découlant de l’importance de chacune des organisations reconnues représentatives. C’est d’ailleurs ce point faible qui a rendu l’adaptation du concept de représentativité imparfait et qui va donc rendre nécessaire la recherche d’une conception réellement majoritaire de la représentativité.

246 VERDIER (J.-M.), Traité de droit du travail, Syndicats, sous la direction de G. H. CAMERLYNCK, T. V, Dalloz, 1966, pp. 203 et s.

247 Gérard CORNU livre une synthèse très pertinente de la définition de l’institution. Il s’agirait donc, « d’une réalité que constitue soit un organisme existant lorsque s’y dégage la conscience d’une mission et la volonté de la remplir en agissant comme une personne morale, soit une création lorsque le fondateur, découvrant l’idée d’une œuvre à réaliser, entreprend cette réalisation en suscitant la création d’une communauté d’adhérents ; ou encore, d’une organisation sociale établie en relation avec l’ordre général des choses dont la permanence est assurée par un équilibre de force ou par une séparation des pouvoirs et qui constitue par elle-même un état de droit. En droit privé, cette théorie et surtout utilisée pour rendre compte du phénomène de la personnalité morale et qui, par contraste avec des instruments techniques habituellement utilisés, se caractérise par l’accent mis sur le facteur de durée, le rôle spécifique des volontés des participants à la fondation et à la vie de l’institution. », Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, coll. Quadrige, P.U.F., 4ième éd., 2003.

67 l’entendait248. Si les organisations syndicales représentatives ont "l’odeur et la couleur" d’une institution249, elles n’en ont malheureusement pas "le goût" à cause de leur nature privée250. Les organisations syndicales ont accepté les missions et prérogatives octroyées à une institution, tout en refusant le statut public ou semi-public correspondant. Ce paradoxe a été très justement souligné par Monsieur Julliard, à propos du syndicalisme révolutionnaire. Ainsi, « loin d’avoir refusé la négociation et le compromis, le mouvement ouvrier français les a presque toujours recherchés »251. La représentativité a permis aux organisations syndicales d’exercer des fonctions institutionnelles tout en conservant leur autonomie à l’égard de pouvoirs publics.

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Lorsque Maurice HAURIOU nous livre sa théorie de l’institution, c’est pour tenter de mettre fin aux querelles déchirant le droit public et qui opposent souveraineté, loi et institution. Fort habilement, il démontre qu’aucune de ces trois idées n’exclu les autres. Il soutient que fréquemment, une institution, en prenant forme, donne naissance à un organe de souveraineté (ou de gouvernement), et fait apparaître du même coup des lois. Ainsi, ces trois fondements du droit public semblent parfaitement se combiner en laissant cependant une place prépondérante pour l’institution (HAURIOU, L’institution et le droit statutaire, Rec. de législation de Toulouse, 1906, pp. 134 et 135). Il définit alors l’institution comme «

une organisation sociale douée de permanence ; parce qu’elle repose sur une idée ou un ensemble d’idées au service desquelles se mettent les volontés des hommes », ou encore comme « une organisation sociale établie en relation avec l’ordre général des choses, dont la permanence est assurée par un équilibre des forces, par une séparation des pouvoirs et qui constitue par elle-même un état de droit. » Au vu de ces définitions, il se dégage un certains nombres de critères qui permettent de caractériser une institution. 249

Voir notamment RENARD (G.), La théorie de l’institution. Essai d’ontologie juridique, Thèse 1930 et LEGAL et BRETHE de la GRESSAYE, Encyclopédie Dalloz, Droit social, Syndicats professionnels.

250 Pour que l’on puisse procéder à une telle qualification, il est nécessaire de vérifier si les organisations syndicales répondent aux critères de l’institution. La première est qu’une idée originaire doit durer assez longtemps pour que les volontés des hommes puissent s’y rallier. Ce n’est que la conglomération de ces volontés qui va conduire à la création de l’institution. Du point de vue du syndicat, l’idée qui dure et qui peut servir de "ciment" serait ici l’intérêt collectif de la profession qui va conduire les hommes animés par cette volonté commune à se réunir et à faire descendre l’institution du monde intelligible au monde réel.

Il faut ensuite que cette institution soit dotée d’une certaine permanence, c’est-à-dire que sa durée ne dépende pas de la volonté subjective de certains individus. En d’autres termes, il s’agit d’un groupement dont la durée ne se limite pas à la réalisation d’un objectif ponctuel, mais à la réalisation de missions toujours en lien avec l’idée qui a conduit à sa création. Le syndicat est-il permanent ? La réponse n’est pas aisée. Si l’on excepte les fusions et scissions syndicales, qui ne remettent pas en cause l’idée qui transcende le groupement, on peut dire que les organisations syndicales les plus représentatives disposent d’une organisation permanente. La permanence de l’idée qui sous tend l’institution conduit à sa permanence. Or, la représentation et la défense de l’intérêt collectif de la profession ne sont pas limitées dans le temps. En effet, tant qu’il y aura des travailleurs et des employeurs, les organisations syndicales auront toujours comme fonctions la représentation et la défense de cet intérêt collectif afin d’assurer aux travailleurs des conditions de travail "humaines".

Il faut encore que cette institution dispose d’une certaine autorité sur ses membres. Autorité exercée par des agents tenant leur pouvoir de l’institution elle-même. Cette autorité se manifeste principalement dans les rapports entre le syndicat et ses membres, dans le fonctionnement même de ses organes et dans l’éventuelle responsabilité que peut encourir le syndicat.

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JULLIARD (J.), Autonomie ouvrière. Étude sur le syndicalisme d’action directe, Gallimard-seuil, 1988, p. 15.

La position des partenaires sociaux a considérablement évolué. Depuis la signature de la position commune du 16 juillet 2001, les organisations syndicales ont souhaité participer à l’élaboration des normes sociales. La loi du 31 janvier 2007 a consacré cette revendication en insérant un mécanisme de concertation sur tout projet de loi portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et relevant de la négociation nationale interprofessionnelle. Les organisations syndicales prennent ainsi part au processus législatif et voient leur autonomie croître252.

60 - En définitive, la représentativité assure la sélection des organisations syndicales, les plus aptes pour porter et défendre au niveau national l’intérêt collectif des travailleurs afin d’en faire une véritable institution chargée d’organiser le monde professionnel.

Comment ce concept créé pour sélectionner les organisations syndicales nationales peut-il s’intégrer dans l’entreprise sans aucune modification. Malgré cela, en 1968, le système de représentation propre à la démocratie sociale a été transposé dans une structure où la démocratie représentative fondée sur l’élection constituait la règle et où les représentés souhaitaient conserver un certain contrôle sur les actes passés par leurs représentants. Ce décalage n’a pas immédiatement posé de difficultés. La question de la légitimité réelle des organisations syndicales représentatives n’est apparue qu’après l’avènement et le développement de la négociation organisationnelle. Comme l’a souligné le professeur Arséguel en 1976, « ne doit-on pas se montrer plus exigeant dans le choix du représentant […] lorsque l’on passe de la défense d’un intérêt à son engagement »253 ; et d’être encore plus exigeant dans la procédure qui permet de sélectionner le représentant.

SECTION 2 : DES CRITERES DE SELECTION

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