• Aucun résultat trouvé

Évolution de la finalité de la négociation collective

NEGOCIATION D’ENTREPRISE

SECTION 2 : UNE DISCORDANCE INCOMPATIBLE AVEC LA NEGOCIATION ORGANISATIONNELLE

A. Évolution de la finalité de la négociation collective

147 -Dans son sens contemporain515, la négociation collective est considérée comme un vecteur d’harmonisation, de progrès516, de promotion sociale517 et un laboratoire d’expérimentation pour le législateur. La première fonction de la négociation est prévue à l’article L 2251-1 du Code du travail qui dispose que les conventions ou accords collectifs peuvent contenir des dispositions plus favorables que les lois et règlements en vigueur. Cette dynamique progressiste conférée à la

514

SOULIER (P.), « L’objet de la négociation », Dr. soc. 1990, p. 596.

515 C’est-à-dire depuis qu’elle s’applique à tous les salariés entrant dans son champ d’application professionnel et territorial.

516 DESPAX (M.), Traité de droit du travail, op. cit., n° 43 et s. 517

GAILLARD (E.), THUILLIER (G.), « Convention collective et promotion sociale », Dr. soc. 1963, p. 542.

négociation collective518 permet d’octroyer aux salariés des avantages nouveaux519 ou d’améliorer les avantages qu’ils tiennent de la loi. À cette fonction amélioratrice, s’ajoute une fonction harmonisatrice. La complémentarité de ces deux fonctions permet de faire bénéficier le plus grand nombre de salariés des avancées sociales de manière à éviter tout "dumping social". Cependant limiter la fonction de la négociation à l’amélioration des conditions de travail n’est pas satisfaisant. Les accords collectifs ont également des fonctions complémentaires520 et expérimentales521.

La première accorde à la convention collective le soin de préciser ou de compléter les dispositions législatives. Cependant, le législateur social s’est montré tellement soucieux des détails qu’il a réduit à sa portion congrue cette fonction. Depuis quelques années, un certain nombre de voix s’élèvent contre l’emprise du législateur522 et demandent à ce que le rôle de ce dernier soit limité à la fixation des principes fondamentaux du droit du travail. Cela contribuerait à accroître l’autonomie collective des partenaires sociaux en leur donnant plus de grain à moudre523. La loi du 4 mai 2004 s’est orientée dans cette voie. Pour donner plus d’importance à la norme négociée, le gouvernement s’est engagé à ce que toute réforme substantielle modifiant l’équilibre des relations sociales soit précédée d’une concertation effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d’une négociation. Cependant, les quelques exemples du contrat nouvelle embauche et du contrat premier embauche démontrent l’absence de concertation des politiques avec les partenaires sociaux. Cette logique de concertation semble aujourd’hui mieux respectée.

518 MAZEAUD (A.), Droit du travail, op. cit., n° 302.

519 Il s’agit d’avantages ne disposant d’aucun équivalent dans la loi.

520 Conseil Constitutionnel, décision n° 89-257 du 25 juillet 1989, relative à la prévention des licenciements économiques, Rec. p. 59.

521 Conseil Constitutionnel, décision n° 96-383 du 6 décembre 1996, Rec. p. 128.

522 Critiques reprises par le Rapport dit "de VIRVILLE", La documentation française 2004, p. 117

523 Le rapport de VIRVILLE prévoit que la coexistence entre la loi et la convention collective a été satisfaisante jusqu’à la fin des années 70. Les conventions contribuaient ainsi efficacement au progrès social et préparaient la voie du législateur (BRUN et GALLAND, Droit du travail, Sirey 1958, p. 717). À titre d’illustration, nous pouvons citer les nombreux accords intervenus courant 1955 (accord Renault du 15 septembre 1955, accord du groupement de la métallurgie parisienne, accord Peugeot et accord des charbonnages de France...) prévoyant l’octroi de 3 semaines de congés payés. La loi du 25 mars 1956 a généralisé les trois semaines de congés payés à tous les salariés. Nous pouvons également citer les accords de Grenelle conclus suite aux évènements de mai 68 qui ont débouché sur la loi du 27 décembre 1968 relative à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise. Plus récemment, la loi du 4 mai 2004, relative au dialogue social et à la formation professionnelle tout au long de la vie, est directement issue de la position commune de juillet 2001 et de l’accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003.

147 La fonction expérimentale conférée au droit négocié souffre moins de l’emprise du législateur. Le substrat conventionnel permet souvent au législateur d’expérimenter un ensemble de mesures qui constitueront, en cas de succès, les fondations d’une législation future. Bien que les exemples ne manquent pas, nous n’avons retenu comme illustration que l’introduction des représentants élus ou des mandatés comme agents d’exercice de la négociation dans les entreprises dépourvues de représentation syndicale. Le premier texte qui a envisagé la possibilité de négocier avec des élus était l’accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique contractuelle. Cet accord expérimental ne faisait que reprendre la position dégagée par la Cour de cassation dans son arrêt Dame Charre de janvier 1995. Cette jurisprudence permettait, entre autre, que des accords d’entreprise puissent être négociés et signés, dans les entreprises qui ne remplissaient pas les conditions légales pour avoir des délégués syndicaux, par des salariés titulaires d’un mandat donné par un syndicat représentatif524. Cet ANI de 1995, reconduit pour 3 ans par un accord du 08 avril 1999, soumettait déjà cette possibilité de négocier avec des élus et des mandatés à l’autorisation d’un accord de branche étendu. Devant les réticences des syndicats de branche pour cette forme particulière de négociation, le législateur a repris dans la loi du 12 novembre 1996 les dispositions expérimentales de l’ANI de 1995. Bien que les syndicats ont considéré que cette loi portait atteinte au monopole syndical de négociation, elle a été validée par le Conseil Constitutionnel au motif que « les organisations syndicales n’ont pas le monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective […] mais une simple vacation naturelle »525. La loi Aubry II, relative à l’aménagement et à la réduction négociée du temps de travail, a également utilisé la technique du mandatement syndical afin de favoriser la négociation et la conclusion d’accords de réduction du travail dans les entreprises dépourvues de

524 Cass. soc., 25 janv. 1995, Dr. soc. 1995, p. 274, obs. P.-H. ANTONMATTEI ; RJS 1995, n° 279 ; Cah.

soc. Barreau Paris 1995, A 13, p. 73 ; Jurispr. soc. UIMM 1995, p. 128. 525

Cons. Const., 6 nov. 1996, RJS 1996, n° 1296 ; Liaisons soc. 1996, C1, n° 19 ; ANTONMATTEI (P.-H.), « À propos du développement de la négociation collective », Dr. soc. 1997, p. 164 ; BORENFREUND (G.), « Pouvoir de représentation et négociation collective », Dr. soc. 1997, p. 1006 ; MORIN (M.-L.), « Le Conseil constitutionnel et le droit à la négociation collective », Dr. soc. 1997, p. 25 ; PRETOT (X.), « Les bases constitutionnelles de la négociation collective » ; TPS 1997, chron. 1 ; MORAND (M.), « Les nouveaux acteurs de la négociation collective d’entreprise » ; TPS 1997, chron. 4 ; SAVATIER (J.), « Les accords collectifs conclus par des salariés expressément mandatés » ; Dr. soc. 1998, p. 330 ; LYON -CAEN (G.), « La Constitution française et la négociation collective », Dr. ouvrier 1996, p. 479 ; VERDIER

(J.-M.), « Négocier la représentation : quels agents, quels pouvoirs, quel statut ? », Dr. soc. 1997, p. 1040.

toute représentation syndicale et élue. Cette faculté de négocier avec des élus ou des salariés mandatés a été généralisée par l’article 47 de la loi du 4 mai 2004 et intégrée aux articles L 2232-21 à L 2232-29 du Code du travail. Aux fonctions amélioratrices, complémentaires et expérimentales est venue s’ajouter la fonction organisationnelle. Cette nouvelle fonction a provoqué un renouvellement des thèmes de négociation.

148 - Depuis le début des années 80, des nouveaux thèmes sont apparus dans la négociation. L’aménagement du temps de travail, l’emploi, la formation professionnelle ou encore les procédures de consultations en cas de licenciement économique… ont conféré une nouvelle finalité à la négociation : l’organisation de l’entreprise. Cependant, le thème de prédilection de cette négociation organisationnelle demeure l’emploi et tous ses corolaires. Par un relevé de conclusions, signé par les partenaires sociaux le 28 février 1995, la question de l’emploi a intégré la négociation collective. La volonté clairement affichée était de « négocier sur toutes les conditions permettant de donner une impulsion nouvelle à l’emploi et à la lutte contre le chômage »526. Cette lutte pour l’emploi s’est déclinée dans la négociation collective de deux manières différentes.

La première orientation a été de baisser la durée légale du travail afin de maintenir ou de stimuler l’emploi. Les partenaires sociaux de la métallurgie527, de l’industrie et du commerce de gros528 ainsi que ceux de l’eau et embouteillage529 ont signé des accords de branche dénommés « accords professionnels pour l’emploi ». Le législateur, suite aux lois “Aubry”, a introduit dans la loi de modernisation sociale530 l’amendement « Michelin » qui faisait de la réduction du temps de travail un préalable à la présentation d’un plan de sauvegarde de l’emploi dans les entreprises encore aux 39 heures531.

La seconde orientation a été de permettre à l’entreprise de s’adapter plus facilement à son environnement économique afin d’éviter de procéder à des licenciements. La négociation d’entreprise est progressivement devenue un moyen pour les employeurs

526

LYON-CAEN (A.), « L’emploi comme objet de la négociation », Dr. soc. 1998, p. 316. 527 Accord du 3 mai 1996.

528 Accord du 2 février 1996. 529 Accord du 12 juillet 1996. 530

Loi n°2002-73 du 17 jan. 2002, J.O. du 18 jan. 2002.

149 de mieux gérer leur entreprise et de réaliser sa finalité économique. Soumettre les transformations de l’entreprise à la négociation est le meilleur moyen d’aboutir à une solution plus ou moins acceptable par tous et respectueuse des intérêts de chacun. Cependant, reconnaître la négociation comme un moyen d’organisation conduit nécessairement à accepter par avance un certain nombre de concessions de part et d’autre. Ainsi, les accords organisationnels empruntent souvent la forme d’accords "donnant-donnant" dans lesquels les employeurs ne consentent à octroyer des avantages supplémentaires aux salariés qu’en contrepartie de dispositions visant à améliorer la productivité de leurs entreprises532.

La fonction organisationnelle octroyée à la négociation collective a révélé une certaine pénétration de l’économie dans le droit du travail533 ; intégration qui s’est avéré complexe pour les organisations syndicales. En effet, l’emploi est devenu un objet de négociation534 justifiant toutes les concessions salariales535. Selon le professeur Antoine Lyon-Caen, les accords sur l’emploi ont développé des effets bénéfiques sur la solidarité liant une collectivité de travail et sur la légitimité de l’accord536.

La négociation collective est incontestablement devenue un outil d’organisation au service de l’entreprise537. Cette transformation de l’objet de la négociation s’est également manifestée par la diversification des thèmes organisationnels.

532 SOUBIE (R.), « Quelques observations sur les accords “donnant-donnant” », Dr. soc. 1985, p. 614. 533

Le droit du travail confronté à l’économie, Actes du colloque organisé par l’AFDT en hommage à G. LYON-CAEN, Dalloz 2005.

534 LYON-CAEN (A.), op. cit., Dr. soc. 1998, p. 319. Cet auteur, après avoir mis en avant les avantages en terme de solidarité et de légitimité que présentent les accords donnant-donnant, souligne que « l’accord peut emporter une érosion de certains avantages, mais les sacrifices demandés aux uns trouveraient une compensation dans les améliorations apportées ou promises aux autres ».

535 Cette analyse paraît emporter la conviction sur un plan purement théorique. D’un point de vue pratique, le "chantage à l’emploi" s’est multiplié et a contribué à justifier la suppression ou la diminution de certains avantages conventionnels. Cette tendance s’est encore accentuée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004 qui a généralisé la faculté pour un accord de niveau inférieur de déroger dans un sens moins favorable à un accord de niveau supérieur (Cf. les art. L 2252-1 et L 2253-1 à L 2253-3 C. trav.).

536

La légitimité s’entendra ici comme un acte passé par les représentants de la collectivité dans lequel la majorité des individus qui la composent se reconnaissent et dans lequel ils se sentent impliqués.

537 BARTHELEMY (J.), « La négociation collective, outil de gestion de l’entreprise », Dr. soc. 1990, p. 580 ; « L’innovation sociale par plus de contrat. Réflexions à propos du contrat collectif d’entreprise »,

JCP E 1996, chron. N° 521 ; GUIBAL (J.-C.), « Point de vue : plaidoyer pour un contrat collectif d’entreprise », Dr. soc. 1986, p. 602.

Documents relatifs