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ACCORDS ORGANISATIONNELS

SECTION 2 : DES CRITERES DE SELECTION PERTINENTS POUR LA REPRESENTATION

B. Des critères complétés par les juges

1. Les critères primaires

69 -Les critères primaires sont au nombre de trois. Il s’agit des effectifs, de l’audience et de l’indépendance.

70 -Les effectifs. Conformément à la conception majoritaire de la représentativité,

le critère des effectifs occupe une place centrale dans la détermination des organisations les plus représentatives. Il a été élaboré dans un contexte où le taux de syndicalisation était relativement important. Le législateur de l’époque a estimé que le syndicalisme français devait devenir un syndicalisme de masse. Dans un tel contexte, le critère des effectifs révélait l’influence réelle du syndicat. Cependant, dans un syndicalisme

285 À ce titre, les parlementaires, lors des débats relatifs à l’adoption de cette loi, s’interrogeaient sur la formulation à retenir. Fallait-il se référer à des critères prédéfinis ou se référer à la législation en vigueur pour déterminer les organisations les plus représentatives ? Quels sont les avantages que présentent ces deux propositions ? Déterminer le caractère le plus représentatif d’une organisation syndicale en se référent à la législation en vigueur permet sans aucun doute de laisser une marge de manœuvre importante aux autorités habilitées à le faire. Cela permettrait également de faire évoluer beaucoup plus simplement la manière dont l’administration et les juges doivent procéder à la détermination des organisations les plus représentatives. De plus, au sein de ces critères apparaît celui de l’indépendance. Or, dans les années 50, des liens très forts existaient entre la CGT et le parti communiste. M. le député Pierre André ne comprenait pas que le groupe communiste puisse soutenir en toute tranquillité le texte de l’assemblée nationale puisqu’il était question de l’indépendance des organisations syndicales. Et il avouait éprouver à la place du groupe communiste quelques inquiétudes quant à l’indépendance de la CGT. Nonobstant les remarques formulées lors des débats préalables à l’adoption de la loi du 11 février 1950, le texte retenu au final énonçait bien les cinq critères permettant de caractériser les organisations les plus représentatives.

qualitatif, c’est davantage le nombre et l’importance des actions et des réalisations du syndicat qui révèlent son influence286.

71 - Malgré ces quelques difficultés287, le critère des effectifs permet d’avoir une référence moins aléatoire et moins changeante que l’audience. De plus, ce critère des effectifs laisse entrevoir les organisations les mieux structurées et présentant les meilleures garanties de stabilité. Autrement dit, une organisation syndicale ne peut être considérée comme représentative que si elle démontre qu’elle a vocation à s’exprimer au nom de l’ensemble des travailleurs. Or, cette aptitude ne lui est conférée que si elle justifie d’une implantation professionnelle et territoriale suffisante. Le critère des effectifs est devenu le seul critère permettant de rendre compte de l’implantation et plus largement de l’influence du syndicat.

72 - Ainsi, les juges ont admis que le syndicat dont les effectifs n’étaient pas suffisants ne pouvait pas être reconnu représentatif même s’il satisfaisait aux autres critères288. Cependant, ils ont également admis qu’un un syndicat qui justifiait d’un nombre d’adhérents suffisant pouvait se voire refuser la qualification de syndicat représentatif si les autres critères faisaient défaut289. Néanmoins, un certain nombre de décisions déniaient la qualité représentative en se fondant sur un nombre insuffisant

286

ARSEGUEL (A.), thèse, op. cit., p. 306.

287 Des critiques récurrentes sont émises à l’égard du critère des effectifs. En général, il est difficile de vérifier le nombre exact d’adhérents d’un syndicat. En conséquence, il faut souvent accepter les chiffres donnés par ces derniers sachant qu’ils ont certainement été majorés.

288

CE 11 février 1962, Rec. p. 1136 ; CE 17 juin 1960, Dr. soc. 1960, p. 170 ; CE 5 décembre 1960, Rec. p. 81 ; CE 21 décembre 1956, Rec. p. 493.

79 d’adhérents290. La doctrine en avait déduit que le critère des effectifs était une condition minimale pour l’octroi de la capacité représentative291.

Si des effectifs suffisants sont indispensables pour classer une organisation syndicale parmi les plus représentatives au plan national, encore faut-il qu’elle puisse également satisfaire à un, voire à plusieurs autres critères tels que l’audience et l’indépendance.

73 -L’audience. Face à l’inadaptation des critères légaux de représentativité, les

juges ont adopté des critères plus pertinents et plus praticables. Le critère de l’audience, c’est-à-dire de l’influence quantitative d’une organisation syndicale auprès des salariés, mesurée généralement par les résultats électoraux, s’applique beaucoup plus facilement tant au niveau territorial qu’à celui de l’entreprise puisqu’il existe toujours des scrutins permettant de l’apprécier directement ou indirectement. De plus ce critère permet sans conteste d’accorder la représentativité à un syndicat alors qu’il ne dispose que d’un nombre très restreint d’adhérents292. Malgré cela, les juges judiciaires293 et administratifs294 considèrent qu’il s’agit d’un élément ne permettant pas à lui seul de conférer la qualité représentative. Cependant, il faut distinguer entre la représentativité appréciée au niveau de l’entreprise de celle appréciée à un niveau territorial donné. Au niveau de l’entreprise, le critère des adhérents s’est révélé peu pertinent et a été progressivement remplacé par le critère de l’audience, beaucoup plus favorable à l’implantation syndicale. Ainsi, un syndicat d’entreprise peut être reconnu représentatif

290 CE 14 octobre 1996, publié aux tables du recueil Lebon, il ressort de cette décision que dans l’hypothèse où la représentativité d’une organisation syndicale est contestée dans le cadre d’une négociation engagée sur le fondement des dispositions de l’article L 133-1 relatives aux conventions de branche susceptibles d’extension, le ministre du travail est compétent pour se prononcer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, sur la représentativité d’une organisation syndicale au regard du champ d’application de la convention collective susceptible d’être étendue ou de celui d’un avenant ou d’une annexe à une telle convention. Que dans ces conditions, le ministre chargé du travail a pu légalement

dénier au Groupement professionnel national d’informatique, en se fondant notamment sur l’insuffisance de ses effectifs, le caractère d’organisation syndicale représentative en vue de sa participation aux réunions de la commission paritaire de négociation de la convention collective nationale des cabinets

d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseils. 291

PELISSIER (J.), SUPIOT (A.), JEAMMAUD (A.), Droit du travail, Dalloz, coll. Précis, 2006, p. 656, n°559.

292 CE 6 juin 1947, Rec. p. 252 ; S. 1948, III, p.6 ; CE 26 octobre 1976, Dr. soc. 1975, p. 40. Et pour la Cour de cassation, Cass. soc. 27 février 1980, Dr. ouvrier 1980, p. 427 ; Cass. soc. 26 mars 1980, JCP éd

CI 1982, I, n°8870, obs. TEYSSIE. Il ressort de ces arrêts que pour l’appréciation des effectifs d’un syndicat, il peut être tenu compte des résultats obtenus lors de l’élection des représentants du personnel. Autrement dit, le critère de l’audience permettait de compenser la faiblesse des effectifs.

293 Cass. soc. 5 janvier 1978, JCP éd. CI 1978, I, n°7087, obs. TEYSSIE et DESCOTTE. 294

CE 16 décembre 2005, Syndicat national des huissiers de justice c/ ministre des affaires sociales, Rec. p. 570 ; RFDA 2006, p. 41.

alors même qu’il n’a aucun ou peu d’adhérents295. Au niveau national, le critère des effectifs a conservé son importance et le critère de l’audience n’est venu que le compléter. L’arrêt UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes) du 19 mai 2004296 est particulièrement intéressant sur ce point. Ce groupement a demandé à faire partie de la commission nationale de la négociation collective afin de pouvoir participer aux négociations nationales mais aussi afin de bénéficier de la présomption de représentativité accordées aux organisations les plus représentatives au plan national. L’administration a rejeté sa demande et l’UNSA a alors saisi la juridiction administrative. Le Conseil d’État a confirmé la décision négative des juges du premier degré et a décidé que « La progression récente de ses effectifs se caractérisait par une

audience encore trop réduite dans la majeure partie du champ ci-dessus défini »,

c’est-à-dire au niveau national secteurs privé et public confondus. Cette décision du Conseil d’État reflète bien le caractère complémentaire de l’audience par rapport aux effectifs lorsqu’il s’agit d’apprécier la représentativité au niveau national. Contrairement aux arrêts relatifs à la représentativité syndicale en entreprise, l’audience vient minimiser l’importance des effectifs et non la confirmer297. Si le critère de l’audience a supplanté celui des effectifs dans l’entreprise298, ce dernier demeure un élément fondamental d’appréciation au niveau national au même titre que l’indépendance.

74 - L’indépendance. Le critère de l’indépendance est issu d’une histoire

conflictuelle entre l’État, les syndicats et le patronat. Pour acquérir la représentativité,

295 Cass. soc. 22 mai 1972, Dr. ouvrier 1973, p. 221 ; Dr. soc. 1972, p. 583.

296 CE, Assemblée du contentieux, 5 novembre 2004, n° 257878, Union Nationale des Syndicats Autonomes, Dr. soc. 2004, p. 1098.

297

Cass. soc., 19 mai 2004, Société Renault, société par action simplifiée et autres c/ Syndicat UNSA Renault Douai et autres, les juges décident dans ce arrêt que « Pour retenir qu’un syndicat était représentatif au sein d’un établissement, le tribunal d’instance a retenu que le syndicat avait 9 mois d’existence, qu’il effectuait un travail d’information auprès des salariés et exposait des revendications et qu’enfin il avait obtenu une audience réelle lors des élections prud’homales au sein de l’établissement. En statuant ainsi, sans préciser l’effectif du syndicat et le montant des cotisations perçues, et en se fondant sur un motif inopérant tiré des résultats obtenus dans un autre cadre lors d’un scrutin prud’homal, le tribunal d’instance n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L 133-2 et L 412-11 du Code du travail ». Avec la nouvelle codification, l’art. L 133-2 est devenu l’art. L 2121-1 et l’art. L 412-11, l’art. L 2143-3 C. trav.

298 Est-il légitime de favoriser l’implantation, dans l’entreprise, de syndicats ne bénéficiant pas de la présomption irréfragable de représentativité? En créant la représentativité présumée, on n’exige plus que le syndicat affilié à l’une des centrales syndicales reconnues représentatives au plan national justifie des critères de représentativité.

81 les organisations syndicales doivent être indépendantes tant à l’égard des partis politiques qu’à l’égard de l’employeur299. Il est aujourd’hui communément admis qu’il ne s’agit pas d’une indépendance absolue à l’égard de tout groupement privé ou public, ou par rapport à une idéologie, mais plus restrictivement de l’indépendance vis-à-vis de l’employeur, ou d’un groupement d’employeurs300. La question de l’indépendance à l’égard des politiques s’est déplacée sur le terrain de l’objet du syndicat. Conformément à l’article L 2131-1 du Code du travail, un syndicat a pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par ses statuts. Dès lors, une organisation poursuivant des objectifs essentiellement politiques n’a pas un objet licite et ne peut ni être qualifiée de syndicat ni bénéficier des dispositions et des prérogatives qui lui sont réservées301.

Les circulaires Lebas302 et Parodi303 prévoyaient que ne pouvait pas être déclaré représentatif le syndicat dont les adhésions avaient été obtenues sous la pression ou grâce à l’influence de l’employeur304. En définitive, Le critère de l’indépendance tient à l’essence même du groupement syndical. Ainsi, le Conseil d’État refuse de reconnaître comme représentatif un syndicat mixte groupant des employeurs et des salariés de la même profession305.

Le critère de l’indépendance constitue la « pierre angulaire »306 de la représentativité, voire la condition sine qua non de la représentativité307. Certains

299 Lors de l’adoption de la loi de 1950 certains parlementaires ont voulu imposer un principe d’indépendance du syndicat tant à l’égard des partis politiques qu’à l’égard des employeurs.

300

FROSSARD (J.), « Syndicats professionnels », Juris-classeur travail traité, fasc. 12-20, n° 123.

301 Cette position fut en partie dégagée par trois arrêts de la chambre mixte de la Cour de cassation. Les juges décidèrent que « un syndicat professionnel ne peut pas être fondé sur une cause ou un objet illicite. Il en résulte qu’il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques ni agir contrairement aux dispositions de l’article L 122-45 du Code du travail et aux principes de non discrimination contenus dans la Constitution, les textes à valeur constitutionnelle et les engagements internationaux auxquels la France est partie ». Ch. mixte 10 avril 1998, Dr. soc. 1998, p. 565, rapp. MERLIN ; TPS 1998, comm. 250. L’art. L 122-45 est recodifié sous les art. L 1132-1 à 5 C. trav.

302

Circulaire Lebas du 17 août 1936, J.O. du 3 septembre 1936, p. 9392.

auteurs affirment que l’indépendance est une condition d’existence du syndicat. D’après le professeur Verdier, il est difficile de qualifier un groupement de syndicat lorsqu’il s’est construit, non pas sur une volonté collective de se grouper en vue d’une action syndicale, mais suite à une volonté patronale308.

75 - En tout état de cause, les juges ont pris conscience de l’importance du critère de l’indépendance. Depuis décembre 2002, les juges reconnaissent la représentativité d’un syndicat dès lors que sont caractérisées son indépendance et son influence309. À l’inverse, dès lors que l’indépendance n’est pas constatée et ou l’influence pas suffisamment caractérisée, les juges refusent d’accorder le caractère représentatif au syndicat310. En recomposant les différents critères de représentativité, les juges font de l’indépendance un critère fondamental de représentativité au même titre que l’audience311.

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