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L’impossible transposition du modèle de représentativité espagnol à la France

ORGANISATIONS SYNDICALES

B. L’impossible transposition du modèle de représentativité espagnol à la France

176 - L’étude de l’exemple espagnol, nous invite à rechercher ce que serait le système français de représentativité si l’on optait pour un système exclusivement électoraliste. Une idée de ce que serait un tel système nous est donnée par le récent rapport élaboré par Monsieur Hadas-Lebel. Comme le propose le président de la section sociale du Conseil d’État, un scénario de transformation consisterait à réduire le concept de représentativité à l’audience591. Chaque niveau de représentativité serait indépendant et ferait l’objet de scrutins spécifiques.

Au niveau de l’entreprise, la représentativité serait mesurée par rapport aux résultats des élections de comité d’entreprise ou à défaut, de délégués du personnel. Au niveau d’une profession ou d’une branche, cette mesure s’effectuerait soit par le regroupement des résultats obtenus par chaque syndicat dans chaque entreprise de la profession ou de la branche, soit par l’organisation d’une élection de représentativité de branche. Et au niveau national, le scrutin prud’homal pourrait être le plus approprié pour mesurer la légitimité des confédérations. En effet, toutes les organisations syndicales pourraient déposer des listes qu’elles soient ou non représentatives592.

177 - Ce système qui se veut très proche de la représentation politique suscite quelques interrogations et appelle quelques critiques.

591 Rapport, p. 86.

592

L’article L 1441-23 C. trav. pose deux types d’exclusions : « Ne sont pas recevables les listes présentées soit par un parti politique, soit par une organisation prônant des discriminations fondées notamment sur le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’origine, la nationalité, la race, l’appartenance à une ethnie ou les convictions religieuses, et poursuivant ainsi un objectif étranger à l’institution prud’homale ». Et de la même manière doivent être exclues « les listes qui ne respectent pas le principe de la parité de la juridiction prud’homale ».

171 Tout d’abord, il convient de s’interroger sur le devenir de la présomption de représentativité dans un tel système. Si la représentativité est mesurée à chaque niveau selon des scrutins adaptés, la présomption de représentativité n’a plus de raison d’être593. Néanmoins, le rapport Hadas-Lebel prévoit que « la présomption continuerait à jouer au niveau national interprofessionnel, sur la base de décisions révisables périodiquement, pour le paritarisme et la conclusion d’accords collectifs interprofessionnels »594. Par contre, elle perdrait son caractère irréfragable pour devenir simple au niveau de l’entreprise et de la branche. Si une telle transformation était opérée, le risque ne serait-il pas de rendre encore plus difficile l’implantation syndicale dans les entreprises. Le risque résiderait dans une contestation systématique de la représentativité des syndicats affiliés à des confédérations syndicales reconnues comme les plus représentatives au plan national. Cela pourrait conduire à faire perdre aux grandes centrales historiques la possibilité de s’implanter dans de nouvelles structures et, à terme, à diminuer leur représentativité au niveau de la profession ou de la branche. Si la réforme de la représentativité devait s’orienter vers une représentativité électorale, il ne serait pas souhaitable de revenir sur la représentativité par affiliation595 (en tout cas dans un premier temps). La discordance que la représentativité présumée provoquait entre les représentants et les représentés596 ne peut plus se présenter du fait de la référence à l’audience. De plus, cette présomption favoriserait, dans un système électoraliste, l’implantation syndicale dans les entreprises597. Enfin, nous avons montré que cette présomption de représentativité ne posait réellement de problème que lorsqu’elle permettait à un syndicat d’entreprise représentatif par affiliation, mais minoritaire, de signer un accord pouvant comporter des dispositions moins favorables aux salariés. En conditionnant la validité d’un accord à un assentiment express ou

593 ARSEGUEL (A.) et VERDIER (J.-M.), « Quelle réforme de la représentativité syndicale ? », Revue de

droit du travail 2006, p. 284. 594 Rapport, p. 125.

595 VERDIER (J.-M.), « Sur la relation entre représentation et représentativité syndicales (quelques réflexions, rappels, suggestions) », Dr. soc. 1991, p. 5. Comme l’a très justement fait remarquer le professeur VERDIER, la présomption de représentativité a des vertus non négligeables (notamment en matière d’implantation syndicale) et sa mise à l’écart mérite donc réflexion.

596 Cf. le 2nd chapitre du titre 1er de cette première partie.

597 ANCIAUX (J.-P.), Rapport Assemblée Nationale, op. cit., p. 36. En supprimant la présomption irréfragable de représentativité au niveau de l’entreprise, le risque est de voir les employeurs contester systématiquement la présentation de listes syndicales aux élections de CE ou de DP.

implicite des organisations syndicales représentatives intéressées, la loi du 4 mai 2004 minimise les effets néfastes de cette présomption.

Cette orientation très proche du système espagnol est défendue par la CGT et la CFDT. Dans une position commune du 4 décembre 2006, ces deux confédérations ont clairement exprimé leur volonté de faire de la représentativité syndicale une représentativité électorale. Ils décident que « la représentativité syndicale doit se fonder sur le vote des salariés dans l’entreprise » lors des élections professionnelles598. D’après ces confédérations, cette référence électorale doit permettre de déterminer les organisations représentatives quel que soit le niveau en question.

Au niveau des branches, « la compilation des résultats des élections professionnelles d’entreprise et des élections des "structures professionnelles territoriales" permet de mesurer au niveau de chaque branche le poids respectif de chaque organisation syndicale et de préciser celles qui sont représentatives dès lors qu’elles ont atteint un certain seuil ». Le collationnement des résultats aux élections professionnelles permet alors de déterminer les organisations représentatives au niveau national interprofessionnel, c’est-à-dire les organisations syndicales « considérées comme représentatives dans un nombre significatif de branches, celles-ci couvrant un nombre significatif de salariés ».

Enfin, les organisations syndicales les plus représentatives au niveau national sont les organisations interprofessionnelles qui ont obtenu le plus de voix, secteurs privé et public confondus. Ce système proposé par les confédérations majoritaires va dans le sens d’une confirmation de leur légitimité à ces différents niveaux. Cependant, ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus dans quelques temps. L’évolution du droit de la représentativité en constitue une parfaite illustration. Conçus pour un syndicalisme de masse, les différents critères permettant d’octroyer la capacité représentative n’ont pas résisté au phénomène de désyndicalisation qui s’est produit dans notre pays. Or, les organisations syndicales sont peut-être plus légitimes aujourd’hui que par le passé599. Cependant les règles qui caractérisent la

598 Les confédérations syndicales CGT et CFDT se sont ravisées et ont finalement renoncé au scénario créant une représentativité purement électorale. La position commune du 9 avril 2008 maintient une représentativité fondée sur des critères dont l’audience qui devient prédominante.

599 AMOSSE (T.) et PIGNONI (M.-T.), « La transformation du paysage syndical depuis 1945 », Conditions

de travail et relations professionnelles, Données sociales, la société française, éd. 2006 et DARES,

« Mythe et réalité de la désyndicalisation en France », Premières synthèses informations, oct. 2004, n°44.2.

173 représentativité des syndicats s’avèrent inadaptées. En donnant plus de poids au critère électoral, on pose des règles qui rendent mieux compte de leur capacité réelle à représenter ou à engager. En définitive, la légitimité syndicale n’est pas remise en cause. Ce sont les règles juridiques qui rendent compte de cette dernière qui ne sont plus adaptées à la situation syndicale actuelle. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner de manière croisée l’évolution du taux de syndicalisation et le résultat aux élections professionnelles sur des périodes identiques600. Cet examen révèle que si le taux de syndicalisation est passé de près de 30% après la seconde guerre mondiale à environ 6% aujourd’hui, les résultats obtenus par les syndicats en 1945 sont sensiblement identiques aux résultats qu’ils obtiennent de nos jours601.

178 -Pour conclure, il convient de souligner le risque de politisation auquel peut conduire un système exclusivement électoraliste, notamment au niveau des entreprises. Ce système risque également d’accentuer les oppositions entre syndicats du fait de la prolifération des surenchères électoralistes602. Finalement, ce scénario, très attractif à cause de sa "pureté démocratique", risque de développer des effets pervers qui, à terme, iront à l’encontre des objectifs poursuivis par cette réforme. En définitive, nous opterons pour une réforme moins "spectaculaire", mais plus respectueuse des principes qui gouvernent notre droit syndical et notre droit de la négociation collective. C’est dans ce sens que se sont orientés les partenaires sociaux dans la position commune du 9 avril 2008. Ce texte pose des nouveaux critères de représentativité plus contemporains603, fait une place centrale à l’audience604 et pose des seuils sous lesquels

600 Vous pouvez consulter les publications et statistiques sur le site du ministère du travail à l’adresse : http://www.travail.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques/statistiques/relations-professionnelles/85.html. Les résultats obtenus par cycle électoral depuis 1980 sont du même ordre et confirment la stabilité de l’audience des confédérations auprès des salariés au niveau des entreprises.

601 Il faut noter que la participation des salariés à ces scrutins professionnels est également relativement stable. Cf. les statistiques du ministère sur leur site internet, ibid.

602 ARSEGUEL (A.) et VERDIER (J.-M.), op. cit., p. 286. 603

Art. 1er de la position commune du 9 avril 2008. Ces critères sont : les effectifs d’adhérents et les cotisations ; la transparence financière ; l’indépendance ; le respect des valeurs républicaines ; l’influence caractérisée par l’activité, l’expérience et l’implantation géographique et professionnelle du syndicat ; une ancienneté de deux ans ; et l’audience établie à partir des résultats aux élections professionnelles. 604

Art. 2 de la position commune du 9 avril 2008. L’audience s’apprécie différemment selon le niveau considéré.

les organisations ne peuvent pas être déclarées représentatives605. Les idées retenues par les partenaires sociaux dans cette position commune ont été repris par la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail606. Les partenaires sociaux, ainsi que le gouvernement ont compris qu’il valait mieux rénover notre système plutôt que de le révolutionner.

I I . L e c h o i x d ’u n e r e p r é s e n ta t i v i t é e s s e n t i e l l e me n t é l e c to r a l e

179 - Si un système de représentativité fondé exclusivement sur l’élection ne peut être transposé dans notre pays, il convient de conférer une place centrale au critère de l’audience. En effet, ce critère permet d’impliquer les représentés dans le choix de leurs représentants. Or, pour rénover la représentativité syndicale, il est nécessaire de rétablir des liens étroits entre les représentés et leurs représentants. L’évolution de notre droit syndical nous a montré que ces liens s’étaient progressivement étiolés, notamment à cause du jeu de la représentativité présumée.

Après avoir examiné les différentes orientations qui s’offraient à eux (A), les partenaires sociaux ont opté pour une mise à jour des critères de représentativité en faisant de l’audience le critère déterminant (B).

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