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Évolution du contenu de la négociation collective

NEGOCIATION D’ENTREPRISE

SECTION 2 : UNE DISCORDANCE INCOMPATIBLE AVEC LA NEGOCIATION ORGANISATIONNELLE

B. Évolution du contenu de la négociation collective

149 - L’article L 2221-1 du Code du travail dispose que les conventions et accords collectifs de travail ont vocation à traiter de l’ensemble des conditions d’emploi, de la formation professionnelle et des garanties sociales accordées aux salariés. La formulation de ce texte, ayant évolué jusqu’en 2004, opère une hiérarchisation entre les différentes catégories de thèmes ouverts à la négociation. En effet, il place au premier plan l’emploi, au second, la formation professionnelle et en dernier les garanties sociales. Cette présentation démontre que la négociation des garanties sociales n’est plus l’objet unique de la négociation.

Dans cet éventail général, quels sont concrètement les thèmes ayant conduit à faire de la négociation d’entreprise un moyen d’organisation ? Il s’agit, tout d’abord, de la question de l’organisation et de l’aménagement du temps de travail. Ce thème de négociation occupe régulièrement une place de premier plan depuis 1982. Les lois Auroux en ont même fait l’un des thèmes obligés de la Négociation Obligatoire538 (NO). L’article L 2242-8 du Code du travail précise que «Chaque année, l’employeur

engage une négociation annuelle obligatoire portant sur : 1° Les salaires effectifs ; 2° La durée effective et l’organisation du temps de travail, notamment la mise en place du travail à temps partiel à la demande des salariés. Cette négociation peut également porter sur la formation ou la réduction du temps de travail ». Les articles suivants,

fixant les thèmes de la NO, sont riches d’enseignements sur l’organisation de l’entreprise. Ils posent également une obligation de négocier sur l’évolution de l’emploi dans l’entreprise, du nombre des contrats de travail à durée déterminée, des missions de travail temporaire, du nombre des journées de travail effectuées par les intéressés ainsi que des prévisions annuelles ou pluriannuelles d’emploi établies dans l’entreprise. Ainsi, la question de la gestion des emplois dans l’entreprise, qui incombe normalement au pouvoir de direction du chef d’entreprise, tombe dans le domaine de la négociation.

Plus largement, la question de l’emploi dans l’entreprise devient la plus belle expression de la négociation organisationnelle. Les partenaires sociaux peuvent négocier tant sur la mise en place d’une politique de Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences (GPEC) que sur les procédures de consultation à suivre en cas de licenciements économiques. Notre pays connaît depuis très longtemps la négociation

538

Depuis la loi du 18 janvier 2005 créant une obligation triennale de négocier, on ne parle plus de négociation annuelle obligatoire, mais de négociation obligatoire.

151 sur les classifications et la promotion539. Toutefois, ce n’est que depuis la loi du 31 décembre 1991540 et la loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005541 que la négociation sur la GPEC connaît un nouveau dynamisme542. La GPEC consiste à rechercher une adéquation entre le nombre des salariés et les emplois offerts par l’entreprise en termes d’effectif, de qualification et de formation543. Complémentaire à la GPEC, la formation professionnelle tout au long de la vie a permis de répondre plus facilement aux besoins des entreprises, mais aussi de permettre aux salariés d’évoluer dans leur emploi ou, pour les demandeurs d’emploi, de retrouver rapidement un emploi544. La mise en œuvre des différents dispositifs de formation repose principalement sur la conclusion d’accords collectifs de branche et d’entreprise545.

La question des licenciements pour motif économique est encore plus révélatrice de la fonction organisationnelle reconnue à la négociation. En effet, les partenaires sociaux présents dans l’entreprise sont autorisés à négocier sur les procédures de consultation relatives à un licenciement économique de plus de 10 salariés dans une même période

539 Cf. les accords cités par GAILLARD et THUILLIER, Dr. soc. 63, p. 542, note 5. 540

Loi nº 91-1383 du 31 décembre 1991 art. 1, J.O. du 1er janvier 1992 541

L’art. L 2242-15 C. trav. dispose que « Dans les entreprises et les groupes d’entreprises au sens de l’Article L 2331-1 de trois cents salariés et plus, ainsi que dans les entreprises et groupes d’entreprises de dimension communautaire au sens des articles L 2341-1 et L 2341-2 comportant au moins un établissement ou une entreprise de cent cinquante salariés en France, l’employeur engage tous les trois ans une négociation portant sur: 1° Les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise ainsi que ses effets prévisibles sur l’emploi et sur les salaires ; 2° La mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur laquelle le comité d’entreprise est informé, ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés ».

542 Les juges décident que lors qu’une entreprise n’a pas mis en œuvre son accord de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), elle ne peut pas mettre en place une réorganisation dans le cadre d’une procédure des livres III et IV du Code du travail, surtout lorsqu’il s’agit d’une réorganisation nécessaire mais pas urgente. TGI Nanterre, référé, 5 septembre 2006, n° 06/01923, SSL 2006, n° 1277.

543 La Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est une gestion anticipative et préventive des ressources humaines, fonction des contraintes de l’environnement et des choix stratégiques de l’entreprise. Elle vise à réduire de façon anticipée, les écarts entre les besoins et les ressources humaines de l’entreprise (en termes d’effectifs et de compétences) en fonction d’un plan stratégique, ou au moins d’objectifs à moyen terme bien identifiés et à impliquer les salariés dans le cadre d’un projet d’évolution professionnelle.

544 LUTTRINGER (J.-M.), « Formation professionnelle tout au long de la vie et négociation collective »,

Dr. soc. 2004, n° spécial, p. 472.

545 Les bilans de la négociation collective pour 2004 et 2005 révèlent que le thème prépondérant de ces deux années est de loin la formation professionnelle. Pour plus de détails, voire La négociation collective en 2004 et La négociation collective en 2005, Éditions Législatives, paris.

de trente jours. Les articles L 1233-21 et suivants du Code du travail546, issus de la loi du 3 janvier 2003547 et modifiés par la loi dite de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005548, permettent aux partenaires sociaux d’aménager les règles de consultation du comité d’entreprise en cas de projet de licenciement économique549. Bien qu’il soit logique que la consultation du livre IV précède celle du livre III, la jurisprudence décide que ces consultations sont cumulatives550, mais qu’elles peuvent avoir lieu concomitamment. Toutefois, il faut que la consultation relative au projet susceptible d’affecter l’emploi soit engagée en temps utile, c’est-à-dire avant toute décision de licenciement, sous peine de nullité de la procédure551. Depuis 2005, les partenaires sociaux peuvent déterminer le calendrier des consultations avec le choix de recourir ou pas à l’aide d’un expert comptable. Ils peuvent également fixer le contenu du plan de sauvegarde et notamment peser sur les critères d’ordre et le nombre final des licenciements. Même le licenciement est devenu négociable. Cela contribue incontestablement à responsabiliser les partenaires sociaux qui prennent part à ce type de négociation.

150 - Les thèmes organisationnels occupent désormais une place centrale dans la négociation d’entreprise. Leur nombre nous laisse penser que la négociation collective au niveau de l’entreprise est devenue un outil d’organisation permettant d’une part, une

546 Cet article dispose que « Des accords d’entreprise, de groupe ou de branche peuvent fixer, par dérogation aux dispositions du présent livre et du livre IV, les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise applicables lorsque l’employeur projette de prononcer le licenciement économique d’au moins dix salariés sur une même période de trente jours.

Ces accords fixent les conditions dans lesquelles le comité d’entreprise est réuni et informé de la situation économique et financière de l’entreprise et peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l’origine d’une restructuration ayant des incidences sur l’emploi et obtenir une réponse motivée de l’employeur à ses propositions. Ils peuvent organiser la mise en œuvre d’actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l’entreprise et du groupe [...] ».

547 Loi n°2003-6 du 3 janvier 2003, J.O. du 4 janvier 2003.

548 Loi n°2005-32 du 18 janvier 2005, J.O. du 19 janvier 2005, art. 72. 549

La consultation posée à l’art. L 2323-6 C. trav. doit être initiée par l’employeur dès lors qu’un projet économique est susceptible d’avoir des incidences sur l’emploi. Dans le cadre de cette prérogative, le comité d’entreprise peut recourir à l’aide d’un expert comptable et peut proposer un projet alternatif auquel l’employeur doit apporter une réponse motivée lors d’une seconde réunion. La consultation exigée par les articles L 1233-29 et L 1233-30 C. trav. porte, quant à elle, sur le projet de licenciement causé par la restructuration.

550 Cass. soc. 16 avril 1996, Siétam-industries, Dr. soc. 1996, p. 484, note A. LYON-CAEN ; RJS 1996, n° 560 et p. 311, note WAQUET.

551

Cass. soc. 17 juin 1997, Grands magasins de l’ouest, Dr. soc. 1997, p. 742, obs. MASSE-DESSEN ; RJS 8-9/97, n° 990, rapport de J.-Y. FROUIN, p. 592.

153 meilleure efficacité économique et d’autre part, une "coopération" entre les salariés et l’entreprise notamment en matière d’emploi et de formation552.

C o n c l u s i o n d u c h a p i t r e 2 :

151 -La perte de légitimité des accords collectifs résultait de la rupture existant entre la fonction de représentation des syndicats et la qualité nécessaire à son exercice. La création de la présomption irréfragable de représentativité limitait la possibilité de vérifier ce que les syndicats représentaient réellement. La représentativité présumée ne permettait pas de savoir si une organisation syndicale disposait d’une réelle capacité à représenter et à engager les salariés. L’absence de vérification de la capacité représentative des organisations syndicales retirait à la représentation toute légitimité. En conséquence, les accords collectifs qui résultaient de cette représentation ne disposaient que d’une très faible légitimité. La discordance qui pouvait exister entre représentativité présumée et représentativité réelle ne posait aucune difficulté dès lors que la négociation collective ne pouvait conduire qu’à la conclusion d’accords plus favorables aux salariés.

Cependant, les finalités de la négociation collective se sont diversifiées. Depuis l’entrée en vigueur des lois Auroux de 1982, la négociation collective est devenue un moyen permettant à l’entreprise d’adapter ses effectifs et son organisation du travail aux contraintes économiques qui pèsent sur elle. Cette finalité organisationnelle peut aboutir à la signature d’accords organisationnels contenant des dispositions dérogatoires et de véritables engagements pour les salariés. Dès lors, la question de la légitimité des représentants des salariés dans l’entreprise devient une question centrale.

152 -Conscients des difficultés de légitimité rencontrées dans la négociation collective, les partenaires sociaux, puis le législateur, ont imposé un principe de conclusion majoritaire des accords collectifs. Ainsi, la loi du 4 mai 2004 n’a résolu qu’à moitié le problème de la légitimité des accords collectifs en introduisant le principe de conclusion majoritaire. En effet, la légitimité des accords collectifs, notamment organisationnels, est conditionnée par la capacité représentative des organisations syndicales signataires et les règles de conclusion imposées par la loi.

552 Cf. le titre Ier de notre seconde partie.

155

C o n c l u s i o n d u t i t r e 1 :

153 -La légitimité des conventions et accords collectifs reposait quasi exclusivement sur la représentativité des organisations syndicales signataires. Cependant, la création d’une présomption irréfragable de représentativité pour les organisations syndicales affiliées à une centrale syndicale nationale a eu pour effet de ne plus permettre la vérification de la capacité réelle de ces organisations syndicales à représenter la collectivité des salariés. S’est ainsi produit une rupture entre le mécanisme de représentation des salariés et la capacité à représenter des organisations syndicales. Une organisation syndicale irréfragablement présumée représentative ne disposait pas nécessairement d’une légitimité suffisante pour représenter les salariés. Cette rupture entre représentativité et représentation a eu une incidence considérable sur la négociation collective. Un syndicat présumé représentatif pouvait, à lui seul, négocier et signer un accord collectif emportant des concessions ou des régressions pour les salariés alors qu’il ne représentait qu’une infime partie d’entre eux. La transformation de la négociation en outil organisationnel a mis en lumière la question de la légitimité des accords collectifs553.

154 -Afin de conférer plus de légitimité aux accords collectifs du travail, il convient de s’assurer que le ou les représentants des salariés disposent d’une capacité réelle pour les représenter et éventuellement les engager. La représentativité ne doit être accordée qu’aux syndicats justifiant du soutien d’une majorité ou d’une forte minorité des salariés. Les partenaires sociaux et le législateur ont reconnu que la légitimité des conventions et accords collectifs devait reposer sur une représentativité réelle (fondée principalement sur l’audience) et le principe de conclusion majoritaire. La loi du 20 août 2008 a consacré cette double approche de la légitimité des accords collectifs. Elle a tout d’abord imposé une représentativité prouvée et mesurée dans les urnes554 et a

553 RAY (J.-E.), « L’accord d’entreprise majoritaire », Dr. soc. 2009, p. 887. Le professeur Ray confirme que « plus l’accord est socialement difficile, plus il est fragile sur le plan juridique (droit d’opposition, voire contestation judiciaire de sa validité plusieurs années après si le personnel le rejette), mais aussi et surtout social car la légalité n’est pas tout : il faut que les salariés appliquent la nouvelle règle » (p. 893). Cet auteur explique que la négociation n’est plus nécessairement plus favorable aux salariés et que, compte tenu de ce caractère moins favorable, les accords doivent reposer sur des règles de conclusions matérialisant le consentement majoritaire des salariés.

554

Cf. les articles L 2121-1, L 2122-1, L 2122-5, L 2122-6 et L 2122-9 du Code du travail. Cf. également FAVENNEC-HERY (F.), « La représentativité syndicale », Dr. soc. 2009, p. 630.

ensuite conditionné la validité d’un accord par la signature des syndicats représentant au moins 30% des salariés et par l’absence d’opposition majoritaire555. Nous démontrerons dans le titre suivant que la légitimité des accords collectifs repose sur deux piliers : une représentativité réelle, démocratique et régulièrement vérifiée et le principe de conclusion majoritaire d’engagement.

555

Cf. les articles L 2232-2 à L 2232-15 du Code du travail. Cf. également, CESARO (J.-F.), « La négociation dans les entreprises pourvues de délégués syndicaux », Dr. soc. 2009, p. 658.

157

TITRE 2 : L’INSTITUTION D’UNE

DOUBLE VERIFICATION DE LA

LEGITIMITE DES ACCORDS

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