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Le renforcement du cloisonnement intercatégoriel et la professionnalisation des fonctions : un

Section I. Les changements technologiques

2. Le déterminisme technologique dans l’analyse sociologique

2.4. Le renforcement du cloisonnement intercatégoriel et la professionnalisation des fonctions : un

Une recherche fondée sur l’observation de dix entreprises (Eyraud et al., 1984 ; 1984a ; 1988), analysant les conséquences de l’introduction de machines-outils à commandes numériques sur l’organisation du travail et la qualification, a tenté de montrer comment les différents acteurs de l’entreprise intègrent les changements technologiques dans leur espace de travail en « s’appropriant » les technologies nouvellement introduites. À partir de l’hypothèse selon laquelle émergerait « un nouveau modèle d’entreprise » les chercheurs tentent de s’appuyer sur les impacts de ces changements pour montrer qu’ils débouchent finalement sur une « dynamique » articulée autour de deux repères définis comme étant les lieux de cristallisation de ces impacts : les modifications du marché et les modalités

nouvelles d’industrialisation des produits61.

La définition proposée pour expliciter la dynamique du changement que les auteurs cherchent à mettre en évidence est intéressante en ce sens qu’elle fait appel à une notion dont nous avons pu voir comment, en économie industrielle, elle pouvait permettre de rendre compte des impacts des changements technologiques dans l’entreprise (Rosenberg, 1976 ; Massard, 1991 ; Perrin, 1993), c’est la notion d’industrialisation. Cette dynamique « traduit à la fois les processus d’apprentissage par lesquels les différents acteurs de l’entreprise tentent de s’approprier les technologies nouvelles, et les actions engagées par l’entreprise pour répondre aussi bien aux modifications du marché qu’aux nouvelles façons d’industrialiser ces produits » (Eyraud et al., 1988 : 56). Ce sont ces changements internes et externes à l’entreprise qui définissent cette notion d’« industrialisation » dont le rôle permettrait précisément de rendre intelligibles non seulement les changements

technologiques en tant que tels mais également le changement de « paradigmes technologiques » dont il nous a été donné plus haut de mesurer l’usage analytique, à l’image notamment de celui qu’en fait D. Salerni (1979), et qui, selon ces auteurs,

contribuerait à expliquer « la crise que connaît le modèle taylorien » (Eyraud et al., 1988 : 56). C’est dans le cadre d’une telle problématique, de crise de ce modèle, que sont

appréhendés les impacts des changements technologiques. La revue bibliographique montre qu’elle est représentative d’un large courant en sociologie du travail et des

organisations dès lors qu’il s’agit de considérer les prolongements de ces changements sur

60 Une approche dont l’intérêt premier, rappelons-le, demeure à nos yeux les caractères historique et social qu’elle tente

de mettre en exergue.

61 Il est possible de remarquer que de tels repères peuvent tout aussi bien être considérés comme des facteurs moteurs

préalables à l’introduction de ces technologies nouvelles plutôt que des conséquences : dans de nombreuses études, corroborées en l’occurrence par nos propres observations, certes confinées à un seul cas d’espèce mais confirmées et renforcées pendant toute la durée de la recherche, les faits montrent que c’est précisément pour s’adapter « à la nouvelle donne du marché » que la modernisation technologique s’impose à l’entreprise. C’est là une réalité que les discours mêmes des entreprises ne peuvent évacuer dans les stratégies de gestion qu’elles adoptent en conséquence.

les acteurs de l’entreprise et les processus de socialisation par le travail qui en découlent, en termes de qualification et d’identité (Adler, 1987 ; Sainsaulieu, 1987 ; Dubar, 1991).

Un autre point à souligner, dont l’importance est primordiale, notamment au regard des hypothèses que nous émettons dans le cadre de ce travail, c’est la dynamique du

cloisonnement intercatégoriel, c’est-à-dire le processus de création ou de renforcement des distinctions entre les catégories professionnelles dans les études de cas menées dans les entreprises. Dans le cas de l’exemple pris en considération par les auteurs, les différences catégorielles se trouvent ainsi renforcées par les changements technologiques entre, d’une part, les ouvriers « régleurs » et « opérateurs », et, d’autre part, les techniciens

« programmeurs » et les techniciens « d’atelier », sans oublier également les autres distinctions qui se renforcent ou apparaissent suite aux impacts des changements

technologiques sur la réorganisation du travail et les relations professionnelles relativement nouvelles que cette réorganisation implique dans l’espace de production. « La hiérarchie ouvrière se construit parallèlement à celles des techniciens par la création de " techniciens d’ateliers" » (Eyraud et al., 1988 : 74). Tout se passe en fait comme si, aux yeux des travailleurs, les effets de ces changements, en termes de conflits intercatégoriels, se trouvaient cristallisés davantage par un renforcement de la grille de classification que par les transformations de la qualification ou de l’organisation du travail. Une telle situation se trouve de surcroît confortée par l’absence d’intervention, à plusieurs égards remarquable, des représentations collectives dans le processus de mise en œuvre des changements technologiques. La conclusion de cette analyse est alors que « cela dépasse la seule introduction de nouvelles techniques de production » en ce sens que ces diverses

conséquences ne sont pas seulement attribuables à l’introduction de technologies nouvelles mais elles doivent être reliées aux efforts déployés par les entreprises en termes

« d’expériences de cercles de qualité, de culture et de projet d’entreprise », efforts dont la généralisation contribuerait à produire des effets convergents avec ceux des changements technologiques.

Un dernier point reste à souligner, bien qu’il ait une portée moins significative eu égard au point précédent. Il est intéressant de noter que les conclusions d’une telle recherche – menée dans une dizaine de grandes et de petites entreprises de mécanique– tendent à mettre en relief un processus d’appropriation des nouvelles technologies par certains acteurs de l’entreprise (notamment les « techniciens d’ateliers ») grâce à une professionnalisation de la fonction sous-tendue par la création d’« espaces de qualification ». Dans ce même ordre d’idée, nous retrouvons dans une autre étude (Liu, 1981) dite de recherche-action, ce processus d’adaptation aux changements technologiques par l’appropriation de

technologies nouvelles dans des petites entreprises, dont les espaces de production sont formés par des petits ateliers. Là également, M. Liu montre que dans ces ateliers, la technologie et l’organisation du travail entrent dans le cadre d’un « modèle de liaison » caractérisé essentiellement par la transformation des comportements des ouvriers : c’est « l’invention » d’une micro-culture par le personnel. Pour l’auteur :

« un groupe humain, ayant à sa disposition des moyens donnés (technologie) et placé devant la nécessité de les faire fonctionner suivant des impératifs et des règles fixées (organisation du travail) va inventer des conduites pour assurer le fonctionnement quotidien de l’atelier. L’invention de ces conduites prendra en compte l’ensemble des éléments de la situation tels que les contraintes de la technologie, les modèles organisationnels et culturels dominants, les traits idiosyncratiques des personnes présentes, etc. Ces conduites constitueront, dès que la preuve de leur efficacité sera faite, la micro-culture de l’atelier. Elles seront transmises et enseignées aux nouveaux venus » (1981 : 217).

Nous retrouvons donc là également cette idée de contribution simultanée ou de

convergence vers les mêmes effets des changements technologiques et de l’apprentissage de « normes culturelles » (Sainsaulieu, 1987) adaptées aux situations nouvelles crées par ces derniers. En focalisant une partie des impacts des changements technologiques sur cette notion de « micro-culture » (Liu, 1981) pour les uns, et de « culture d’entreprise » (Eyraud et al., 1988) pour les autres, ce type d’approche a tendance, en dernière analyse, à relativiser les véritables contraintes sociales portées par ces changements. Des

changements dont les effets sur les identités au travail vont, comme nous pourrons le montrer, bien au-delà de ces seuls « apprentissages culturels » dont la traduction concrète sur le terrain, et notamment dans les espaces des organisations industrielles, est loin d’avoir toute la dimension qui lui est prêtée et qui par conséquent doit être, nous semble-t-il,

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