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Section I. L’organisation de l’espace

5. Changements technologiques et configuration de l’espace de travail

Nous avons montré qu’il y a une différence très nette entre le type de département dans l’aile ouest et celui de l’aile est : globalement, même à vocations équivalentes en termes de fabrication et d’assemblage, ils sont différenciés par l’adoption des nouveaux procédés technologiques. Ce sont donc surtout les effets des changements technologiques qui, a priori, paraissent être à l’origine des nouvelles et différentes configurations de l’espace de travail ainsi que de la distribution et de la nature des tâches. La composition

démographique et la diversité catégorielle étant par la force des choses considérablement restructurées.

Pour ce qui concerne le deuxième type de département (comprenant une section de test plus importante), la décision de regrouper les tests thermiques dans une même zone a entraîné là également d’autres aménagements de l’espace. Sur le plan visuel, rien en effet ne permet d’y distinguer les sections des test de certaines autres car, là également, les stations de test sur lesquelles travaillent les techniciens ont été regroupées mais de façon telle qu’elles sont loin de former cet espace relativement isolé, autonome, et facilement reconnaissable que l’on retrouve dans la partie est de l’usine. L’effet visuel provient ici surtout des

équipements modernes, dotés de claviers numériques, de nombreux moniteurs et d’une multitude de diodes luminescentes, qui servent de supports logistiques aux opérations de test.

Une remarque équivalente à celle concernant le premier type de département peut être faite à propos de cette section de test. Les modes de socialisation apparus dans l’autre zone semblent ici manifestement199 entravés par des aménagements et des équipements auxquels

doivent probablement s’adapter de nouvelles formes de relations et de socialisation, mais dont l’émergence est demeurée encore, à la fin de nos observations, problématique. Dans nombre d’entretiens avec des techniciens, il nous a été donné de remarquer des appréciations favorables à ces nouveaux aménagements et provenant principalement de techniciens motivés par une certaine mobilité ascensionnelle, cela en raison de la possibilité nouvellement offerte par ces équipements de montrer à l’encadrement immédiat les

capacités de production plus grandes dont ces derniers peuvent ainsi faire preuve. En d’autres termes, il y a une relation directe –que nous expliciterons plus loin– entre

l’existence de ces appréciations favorables et le contenu technologique injecté aux test set200

par l’ingénierie de l’entreprise aux procédures de test informatisées, permettant de la sorte un meilleur contrôle du niveau de productivité dans ces stations, ce qui était nettement plus difficile auparavant. Et ce même si, par ailleurs, les techniciens ont pu en grande partie créer les parades nécessaires pour contourner, sinon déjouer des contraintes imposées par cette procédure prévue au départ pour être « infaillible » quant au contrôle du niveau de

199 Ainsi que l’ont montré dans beaucoup de cas les entretiens, que ce soit avec les techniciens ou, ce qui est plus

remarquable, avec certains cadres de premier niveau auxquels la responsabilité de la gestion de ces espaces incombe directement.

productivité201. Ce point, vient confirmer, comme nous l’observerons plus loin, des

comportements déjà soulignés dans d’autres études (Noble, 1978 : 341-342) et qui, dans notre cas, participent du cadre des relations sociales entre des ingénieurs, des techniciens et des employés de production. Ce cadre est étroitement lié, sinon sujet, à certains facteurs de contexte tels que celui produit par une certaine opposition d’intérêts catégoriels entre, par exemple, ces ingénieurs de systèmes et les techniciens de test fonctionnel, comme c’est le cas ici. Il y a peu de motivations inhérentes au milieu de travail susceptibles de justifier l’antagonisme de ces relations, hormis la volonté de maîtriser certains outils technologiques à caractère stratégique202, ainsi que cela a déjà pu être montré à de nombreuses reprises dans

l’analyse sociologique (Desmarez, 1986 : 178). Plus précisément, dans un cas les

ingénieurs ont tendance à centraliser au maximum le système informatisé de contrôle de la production afin de pouvoir disposer d’un outil stratégique efficace. Dans l’autre cas, les techniciens visent et parfois réussissent à annihiler les effets de cet outil en rendant inopérant le mode de fonctionnement du réseau informatique à la base de ce système par des moyens détournés203.

L’intérêt de ces remarques est qu’elles permettent de mettre en relief quelques effets

résultant immédiatement des modes d’organisation de la production déterminés par certains changements technologiques et de la division du travail telle qu’elle peut résulter des décisions prises par la Direction de l’entreprise pour orienter au mieux de ses objectifs stratégiques les possibilités offertes par ces changements. Nous ne pouvons que constater l’influence diffuse, mais indéniable, de l’aménagement de l’espace sur le cadre des relations sociales. Il est intéressant de remarquer ici que, a priori et sur le fond, l’organisation du travail en tant que telle n’a pas changé. La structure d’ensemble et l’agencement des différentes phases de fabrication et d’assemblage sont restées identiques dans ce qui apparaît comme étant deux parties dans l’usine en raison des aménagements de l’espace différents.

201 Notons que malgré des systèmes informatiques complexes, les zones d’incertitude et les marges d’autonomie des

techniciens ont pu être ainsi préservées grâce notamment à la maîtrise technique et au pouvoir d’expert que l’ingénierie de l’entreprise a beaucoup de mal à leur reconnaître, pour de nombreuses raisons.

202 Au sens où l’entend H. Mintzberg (1982) lorsqu’il tente de définir l’usage des compétences spécialisées par des

employés subalternes pour développer leurs capacités stratégiques dans l’entreprise et pouvoir ainsi acquérir le pouvoir nécessaire à leur affirmation identitaire. Quelle que soit la portée d’un tel point de vue, exprimé en l’occurrence par H. Mintzberg davantage dans le cadre d’une analyse organisationnelle avec les préoccupations propres à ce type

d’approche que dans le cadre qui nous intéresse et qui est plus centré vers des préoccupations propres à la sociologie du travail, cet antagonisme s’exprime parfois avec force dans les rapports sociaux de travail à l’intérieur de

l’entreprise. Nous aurons l’occasion d’y revenir, notamment à la faveur de l’analyse concernant la marge d’autonomie laissée aux techniciens par les processus d’organisation des tâches.

203 En l’occurrence, nous avons observé ce même type de situation, plus rare il est vrai, et qui s’est déjà produit avec des

opérateurs dont l’expérience sur les équipements automatisés a fini par être telle qu’ils sont arrivés à en maîtriser les principales commandes informatiques. De cette manière, et à l’insu de l’ingénieur chargé de ces commandes, ils peuvent ainsi en manipuler les chronomètres et autres appareils de mesure des séquences de fonctionnement en temps réel. Mesures sur la base desquelles doit être évaluée, en l’occurrence, la production et la quantité de travail

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