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Section I. L’organisation de l’espace

2. La division de l’espace

Sur le plan architectural, la première moitié du bâtiment est construite sur un seul niveau et correspond grossièrement à ce qu’était l’usine avant son agrandissement par l’adjonction de nouveaux locaux construits sur trois niveaux. Ces derniers constituent la seconde moitié de l’usine. Conçue dès l’origine pour abriter la fabrication des nouveaux produits

(« Optonumérique universel ») sur son premier niveau, son activité a été progressivement étendue vers le reste du bâtiment. Ses deux niveaux supérieurs abritent des bureaux réservés en grande partie au personnel d’ingénierie ainsi qu’à une partie de l’encadrement hiérarchique des échelons supérieurs. Le reste de l’encadrement –intermédiaire et de premier niveau– en relation directe avec les activités de fabrication est installé à même le plancher de production, dans des petits bureaux alvéoles –ou cubicules, selon l’usage local– répartis sur l’aire de fabrication. Chaque responsable de département170 se voit ainsi

attribuer un espace de travail situé dans la zone dont il a la charge. Ce qui implique que tous ces cadres de premiers niveau sont donc affectés dans des espaces situés sur la surface même de fabrication, fait important à noter pour comprendre la différence très nette, établie dans la « culture locale », entre cette première strate hiérarchique, en prise directe avec les différents personnels de production, et les cadres des échelons supérieurs171. Les bureaux de

ces derniers sont quant à eux regroupés dans deux ailes du bâtiment séparées de la surface de fabrication. L’une est située dans la première partie de l’usine, la section dite

« Optonumérique universel » à laquelle elle est rattachée, l’autre dans la seconde partie, plus ancienne, affectée à la production d’équipements autres que la fibre optique. La séparation entre ces deux parties de l’usine ne reflète pas seulement les effets d’une « rupture technologique » ayant fortement affecté la vie sociale et l’imaginaire collectif de l’entreprise. Elle fait également ressortir une nette différenciation dans la structure

organisationnelle comme dans la division physique de l’espace de fabrication de l’usine. La description des produits ainsi que le mode de répartition par la direction de l’entreprise, dans l’espace de fabrication, des zones affectées à leur production permettra de mieux saisir la portée de ces effets et de relativiser par là même celle des changements technologiques. De façon générale, l’espace réservé à la fabrication est divisé en zones affectées chacune à la production d’un groupe de produits auquel est associé, à quelques exceptions près, un département. À chacun de ces départements correspondent à la fois une zone géographique déterminée –avec parfois quelques extensions, ailleurs dans l’usine, rendues nécessaires par des opérations de vérification exigeant des équipements spécialisés communs à d’autres produits– et un groupe de produits dont il a la charge jusqu’à sa transmission au service d’expédition.

170 Ou « gérants de planchers », pour reprendre un terme consacré localement.

171 C’est ainsi, par exemple, entre autres éléments distinctifs, que nous nous sommes aperçu lors des nombreux entretiens

comme dans l’observation du milieu que tous ces gestionnaires de premier niveau sont pour la plupart bien connus des membres du personnel de production dont beaucoup sont en mesure de préciser « qui travaille pour qui » et quel « gérant de plancher » dirige quel département. À l’inverse, la « notoriété publique » des cadres des niveaux supérieurs –à commencer par le deuxième qui a pourtant un contact direct avec la fabrication– diminue à mesure que sont gravis les échelons hiérarchiques.

La répartition géographique des sections de fabrication ainsi que la logique appliquée par l’entreprise pour cette répartition répondent en partie à des exigences techniques et

industrielles en relation directe avec, d’une part, la nature technologique des produits visés et, d’autre part, les divers volumes de production qu’appellent certains groupes de produits. En effet, une partie des départements est chargée de la fabrication de certains produits composés de cartes électroniques identiques et dont la fabrication exigera alors un fort volume de production. Dans ces départements, ont été installés en conséquence des groupes d’employés, chargés des mêmes opérations d’assemblage ou de montage, répétant une même série de gestes suivant des lignes composées de cinq à dix tables de travail en face desquelles ils sont assis172, se passant ainsi de l’une à l’autre personne des unités de

produits qui exigent des séquences de montage consécutives.

Dans d’autres départements, par contre, la nature technologique complexe des produits173 ne

permet qu’en partie l’automatisation de leur montage. Ce qui exige en conséquence plusieurs étapes –montage manuel, soudure, assemblage, etc.– qui font que les employés chargés de leur fabrication sont appelés à réaliser des séries d’opérations diverses, consécutives ou non selon les cartes, dont ils ont parfois la possibilité de choisir

l’enchaînement. L’obligation de résultats pour ces employés portera alors surtout sur la quantité de travail effectuée au terme du temps imparti par le supérieur immédiat ou « son » layout174. Les postes de travail correspondant à ces positions permettent donc aux

personnes qui les occupent d’organiser leur journée de travail pratiquement à leur propre convenance et donc, dans certaines conditions, de répartir sur la semaine leur temps hebdomadaire175. Nous aurons l’occasion d’observer, plus loin, le rôle de ce genre de

positions de travail et le processus de spécialisation sur lequel il débouche –puisque la « règle d’ancienneté » permet une certaine pérennité– dont les conséquences sur le « système social » (Crozier, 1963) de l’entreprise sont nombreuses en termes de pouvoir informel et de prestige176.

Les produits de ce type, dont les composants sont diversifiés et à faible volume de production, se différencient donc des précédents non seulement par leur structure technologique mais également par le mode d’organisation du travail exigé pour leur

fabrication. La description de l’ensemble de ces produits ainsi que les fonctions auxquelles ils sont destinés nous permettront de mieux comprendre les effets qu’entraînent les moyens

172 Il s’agit le plus souvent d’un personnel féminin, comme nous le verrons plus loin à la faveur de la description

démographique du milieu de travail.

173 Il s’agit en fait de « groupes de produits », formés de plusieurs unités montées parfois en un même ensemble compact

constituant le produit final à livrer.

174 Sorte d’agent de maîtrise, employé chargé de transmettre et de veiller à l’application des directives quotidiennes de

travail formulées par le responsable de premier niveau dans les sections de fabrication. Nous reviendrons plus loin sur la nature et le rôle de cette fonction.

175 Ces possibilités expliquent en partie que certains de ces postes soient convoités, parfois au point de faire l’objet de

griefs devant les instances administratives ou syndicales. Cela en plus du pouvoir local indiscutable que confère un tel poste en raison des capacités de pression et de négociation qu’il assure à son occupant (Crozier, 1963 : 231).

176 Ainsi que le montre M. Crozier (1963) à partir d’une étude de cas portant sur les normes de relations dans le cadre

d’ateliers de production industrielle. Pour lui, parmi les nombreuses contraintes techniques –et organisationnelles– qui contribuent au système social de l’entreprise, la charge de travail, l’automatisation –Parsons (1960) dont il s’inspire, évoquait plutôt la « mécanisation »– et le rythme de travail peuvent être d’une influence déterminante. Dans ce cas-ci, la nature des postes, à faible degré d’automatisation mais dont la charge de travail n’est pas nécessairement légère, a une influence non négligeable sur la formation des normes de relations sociales dans le système social de l’entreprise. S’agissant des rapports entre chefs d’atelier et ouvriers sur lesquels elles reposent, nous pourrons constater que les conclusions de Crozier (1963) sont comparables à celles de notre étude sur plusieurs points.

technologiques de leur production, ainsi que l’évolution que ces derniers doivent subir, sur les modes de distributions des tâches et sur le système de relations sociales issu de ces modes.

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