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Section I. Le cadre théorique

4. Identité professionnelle et qualification : références analytiques

4.2. La composante « collective » de l’identité

En nous référant en partie aux analyses développées par Reynaud (1982) et R. Sainsaulieu (1977 ; 1987 ; 1997), dont nous rappellerons brièvement ici les articulations, nous tenterons d’appréhender la composante collective de l’identité professionnelle à partir de deux

grandes dimensions. Elles seront ensuite mises à contribution, dans notre modèle d’analyse, pour « opérationnaliser » le contenu que nous entendons attribuer au concept d’identité professionnelle dans notre étude de cas.

La première dimension de cette composante collective de l’identité est reliée à la logique d’acteur partagée par les individus dans leurs expériences sociales de travail. Cette logique d’acteur est fondée sur une rationalité tournée surtout vers l’acquisition de pouvoir groupal dans le système des relations de travail (Sainsaulieu, 1977). Même si cette démarche de recherche de pouvoir tend également à s’exprimer à travers les rationalités individuelles (March, Simon, 1958 ; Crozier et Friedberg, 1977 ; Simon, 1982 ; Friedberg, 1993), une telle logique acquiert par son caractère collectif une dimension dont le potentiel stratégique dans le système de relations sociales de l’entreprise n’équivaut pas seulement à la somme des capacités stratégiques individuelles prises isolément. Elle débouche sur une capacité collective d’action dont l’aboutissement est précisément la construction de l’identité collective du groupe. Ainsi que le souligne O. Favereau dans une hypothèse introduisant une analyse de l’action collective, « la reconnaissance du collectif est d’abord liée à la reconnaissance des limites de la rationalité individuelle » (1993 : 255). Pour lui, « l’action collective est le plus souvent entendue dans une acception étroite » (1993 : 255). Les logiques d’action individuelles au travail conduisant les individus (les techniciens en l’occurrence) à se construire un rôle stratégique dans le procès de production, dans une démarche d’acquisition de pouvoir, ne peuvent déboucher que sur des résultats limités et circonscrits aux espaces dans lesquels un tel rôle peut effectivement avoir un sens social et des retombées concrètes. Ce qui n’est pas forcément le cas de l’ensemble des techniciens – la nature du sous-groupe de techniciens auxquels ils peuvent appartenir étant également un critère décisif dans cette démarche– ni des espaces de fabrication industrielle, alors que le recours collectif à un tel rôle « couvrira » nécessairement l’ensemble de ces espaces. Autrement dit, l’action collective, dans cette composante, est envisagée sous l’angle de sa logique d’action « sur le plancher de production », c’est-à-dire, sous l’angle du recours collectif au « pouvoir d’expert » et/ou à la maîtrise technique des techniciens en tant que groupe doté d’une capacité de contrôle conférée par le système technique même de l’organisation et, partant, par la structure de son procès de production123.

La deuxième dimension de référence est reliée au mode de représentation et d’action collectives. Nous avons pu montrer dans notre revue bibliographique comment, en émergeant grâce au conflit, l’action collective pouvait contribuer à cristalliser l’identité collective (Segrestin, 1980 ; Reynaud, 1982). Cette dimension s’appuie sur l’idée que « l’acteur collectif (est) essentiellement ce qui est construit » (J.-D. Reynaud, 1993 :

123 C’est là un point de première importance sur lequel nous reviendrons notamment à la faveur de l’analyse portant sur la

« marge d’autonomie » des techniciens. Une marge d’action en relation étroite, comme le montreront nos observations, avec cette notion de « zone d’incertitude » dont nous nous servirons, comme concept opératoire dans notre modèle d’analyse, pour reconnaître et évaluer les effets sociaux des changements technologiques sur l’identité professionnelle des techniciens par le biais de ces mêmes effets sur les capacités stratégiques individuelles et collectives de ces derniers.

249), c’est-à-dire ce qui est saisi à travers « la nature des liaisons entre les individus constituant cet acteur collectif, sur leur cohésion interne, la mobilisation qui les lie et la dynamique interne qui les anime » (1993 : 243).

Nous adopterons, pour ce qui concerne cet indicateur précis de la composante collective de l’identité professionnelle, une perspective d’analyse axée sur les postulats suivants.

Premièrement, l’action collective perçue comme un élément structurant de l’identité

collective (Reynaud, 1982). Deuxièmement, l’expérience relationnelle et sociale du groupe à travers ce que D. Segrestin (1980) a appelé la « communauté pertinente de l’action

collective » : celle de l’ensemble des individus participant et adhérant au processus de régulation qu’elle met en œuvre. Ces postulats se traduisent, dans le contexte de notre analyse, par les modes de comportement et d’action adoptés par les techniciens en tant que communauté dont la cohésion s’exprime notamment par le biais d’une « expérience

collective singulière » (Dubar, 1991) dans sa volonté d’affirmation identitaire, d’une part, et dans la définition de ses rapports avec les autres groupes institués dans l’espace social de l’entreprise, d’autre part.

L’adoption de ces postulats ne découle pas seulement d’un choix théorique, mais également du fait que ces postulats s’intègrent à la logique que nous tentons de construire pour mettre en adéquation les catégories conceptuelles formant l’identité professionnelle et les

composantes empiriques permettant de rendre opératoire ce concept. Or cette construction repose en partie sur un élément que nous considérons comme central dans l’articulation des concepts mis en œuvre par notre modèle d’analyse : la notion de « zones d’incertitude ». C’est pourquoi nous nous proposerons plus loin de préciser l’acception dans laquelle nous entendons mettre en œuvre cette notion ainsi que les composantes opératoires –

composantes empiriques relatives au terrain d’observation– qui nous permettront de l’intégrer au modèle d’analyse de cette étude de cas.

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