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Section I. L’organisation de l’espace

4. L’aménagement de l’espace

4.1. L’aile est

L’organisation de l’aile est repose sur un mode de distribution de l’espace relativement ancien180. De fait, son principe général date des débuts de l’usine, à quelques réajustements

près introduits par l’évolution technique des produits. Il s’agit d’une répartition en espaces, relativement autonomes les uns des autres, attachés comme nous l’avons indiqué plus haut directement au groupe de produits qu’ils fabriquent. Mis à part les deux départements de stockage, « Réception » et « Expédition », qui constituent des espaces fermés, les autres départements sont composés d’aires ouvertes. À l’image des autres entreprises

industrielles, la fonction d’entrepôt de ces deux départements en fait de grands

consommateurs d’espace (Fischer, 1983 : 13). Ces zones extensibles sont donc sujettes à une géométrie variable que nombre d’employés relient à la fréquence et à la durée des contrats obtenus par l’entreprise. Notons cependant que la taille de ces deux espaces, en particulier celui du service d’expédition, constitue un sujet régulièrement débattu dans les différents départements, l’idée que la réduction des inventaires soit l’indicateur d’une meilleure gestion des stocks étant largement diffusée dans l’usine. Il est vrai, par ailleurs, que plus ces espaces sont encombrés, plus se développent les « espaces tampons » (Fischer, 1983 : 13), espaces correspondant aux aires de stockage intermédiaires dans les différentes zones de production ainsi qu’à proximité des postes de travail. Des étals de produits accumulés peuvent ainsi apparaître pour diverses raisons dans ces zones, devenant de ce fait des indications visibles de l’état critique des stocks et de la maîtrise incertaine de leur

179 Il nous a été donné de constater que cette situation prévaut également dans plusieurs autres usines de l’entreprise, dont

deux au moins en Amérique du Nord.

180 Comme le montrent les archives de l’entreprise, et que confirment, par ailleurs, les souvenirs de nombre d’employés de

production, parmi les plus anciens consultés au cours des entretiens. À titre d’exemple illustrant la différence entre les aménagements des ailes est et ouest, un employé à l’assemblage, regrettant l’ancien mode d’organisation, nous déclarait : « depuis trente ans que je travaille ici, chaque département savait ce qu’il avait à faire. On a toujours eu les machines d’assemblage à côté de nous autres, quand il y avait un problème on pouvait de suite le régler. Aujourd’hui, avec ces lignes de montage à n’en plus finir qu’ils installent dans le Fiber World, si j’ai besoin d’une pièce pour un

board, je ne sais plus où aller la chercher. Pour nous autres, l’usine était plus moderne de la façon qu’elle était jusqu’à maintenant. C’est drôle, avec ces nouvelles lignes, même si c’est que des machines, on dirait que la compagnie veut revenir à l’ancien temps des chaînes comme dans les plants de la G.M. ». Notons la comparaison, toutes proportions gardées certes, entre les lignes de production tayloriennes et les lignes d’assemblage automatisé dont il est question et qui ne mettent à contribution que quelques rares opérateurs de production formés pour la circonstance. L’allusion porte ici essentiellement sur l’aménagement de l’espace de production dans l’usine.

gestion par rapport au flux général de la fabrication181. Lors de périodes critiques, durant

lesquelles l’entreprise traverse une série de difficultés consécutives à un manque de contrats, par exemple, l’état des deux espaces de stockage ainsi que de ces « espaces tampons » constituent aux yeux des employés, à tort ou à raison, de précieux indicateurs, surtout pour pallier le manque éventuel d’informations de la part de la direction182.

Les autres départements sont composés d’espaces ouverts, séparés généralement par des voies de circulation interne183. Chaque département se distingue des autres par le choix

d’aménagement qui y a été fait, généralement en fonction des contraintes imposées par les opérations d’assemblage et de test exigées par le groupe de produits dont il a la charge. Globalement, deux types de département peuvent être distingués dans l’aile est. Nous les différencierons par la nature et le volume des activités de production qui les caractérisent184.

Dans le premier type de départements, le produit final n’exige qu’une vérification sommaire en raison de sa simplicité technique. La section de test n’occupe alors qu’une place réduite, en espace comme en importance, dans les activités du département. Dans ce cas-ci, le nombre des techniciens et des ingénieurs est faible. Parfois il n’y en a pas du tout parce que les tests en question sont si simplifiés qu’ils sont soumis uniquement à un

équipement automatisé auquel sont affectés quelques opérateurs de production. La

composition démographique de ces départements s’en trouve en conséquence différenciée, de même que la diversité catégorielle. Par ailleurs, compte tenu du fait que ces

départements sont pour la plupart « monoproducteurs », en ce sens que leur production finale est constituée d’un produit unique mais fabriqué ou assemblé en grande quantité, l’organisation du travail y est alors spécifique185. Les séquences de gestes sont répétitives

mais non mécanisées en raison de la complexité de la composition du produit, ce qui permet aux personnes placées à proximité les unes des autres de travailler tout en ayant la possibilité d’entretenir une certaine convivialité.

Le deuxième type de départements est caractérisé par une section de test plus importante, en surface comme en personnel, ainsi que par une plus grande diversité de produits.

181 Notons, en passant, une remarque générale de G.N. Fischer (1983) résultant de l’observation d’autres usines de

fabrication industrielle et correspondant à nos propres observations durant cette étude de cas : « Ces espaces sont très liés aux conditions d’une production, en raison des flux continus ou intermittents de matières qui provoquent des accumulations à certains endroits. Ils représentent des espaces interstitiels qui vont être exploités par les individus : souvent peu surveillés –s’ils s’agit de produits de faible valeur– ils constituent des lieux rêvés pour s’éclipser et s’adonner à des activités parallèles » (1983 : 13).

182 Plusieurs travailleurs nous ont déclaré, au cours des entretiens, tenter régulièrement de s’enquérir, de visu, du niveau de

stockage dans ces aires pour apprécier la « bonne santé » de l’entreprise. Cela, notamment lorsque persistent des rumeurs de licenciements imminents et que, pour diverses raisons, la direction de l’entreprise tarde à dissiper. Les dimensions prises par l’espace de ces département tiennent donc lieu, à tort ou à raison, de « baromètre » pour nombre d’employés. Baromètre dont beaucoup de cadres doutent, ainsi que l’indiquait, lors d’un entretien, un ingénieur attaché à la gestion de ces espaces de stockage : « le fait que le stockroom soit chargé ou non ne constitue pas une information correspondant en temps réel à l’avenir immédiat. Ça indique seulement l’état des stocks à un moment donné ».

183 Voir le plan d’aménagement proposé en annexe.

184 Précisons que cette division en deux types est purement formelle et que son seul intérêt est de permettre d’avoir une

idée de l’aménagement général de l’espace de production de l’usine.

185 Même si, à l’occasion, certains produits connexes peuvent être adjoints aux tâches de fabrication, ou d’assemblage

surtout puisque cette dernière opération en offre la possibilité. En effet, les travailleurs affectés aux opérations d’assemblage peuvent se voir confier la confection de certaines unités de circuits électroniques suites à des exigences spécifiques de la clientèle ou à certaines modifications apportées au produit final par l’adjonction de petits circuits complémentaires. C’est, entre autres, l’une des raisons qui font que ces personnes ont le plus souvent des activités manuelles non mécanisées et exigeant donc des séries d’opérations difficilement « automatisables ».

Chacun de ces départements fabrique ou assemble en fait un groupe de produits constituant en fin d’opération un ensemble compact destiné à répondre aux normes fonctionnelles fixées par la clientèle. Sans entrer dans le détail de ces produits, sur lesquels nous

reviendrons plus longuement, soulignons qu’ils peuvent, pour la plupart, être groupés pour constituer des réseaux suivant une architecture dites « en anneaux » pour certains ou « en série » pour d’autres186.

En termes d’aménagement de l’espace, deux remarques portant sur les étapes de production peuvent être faites.

Premièrement, la fabrication et l’assemblage de ces groupes de produits nécessiteront plusieurs séries d’opérations différentes les unes des autres selon les exigences induites par les commandes de la clientèle, d’une part et, d’autre part, le nombre de ces opérations élimine de fait le recours à un quelconque mode de fabrication et d’assemblage basé sur des gestes routiniers et répétitifs. Sans être supprimée, la monotonie des gestes portera alors davantage sur des séquences entières d’opérations plutôt que sur des gestes courts. Si, de surcroît, on tient compte de l’alternance des personnes sur les différents postes de travail, arrangement adopté dans certaines sections, on comprendra alors pourquoi les employés affectés sur ces postes se plaignent de bien d’autres aspects de leurs activités plutôt que d’une quelconque routine.

Deuxièmement, concernant les étapes de test –consécutives à l’inspection positive des unités après l’étape d’assemblage– une remarque similaire s’impose. Là également la diversité des produits implique un nombre de tests au moins équivalent. Notons cependant que les tâches de test auxquelles sont affectés les techniciens sont radicalement différentes de celles des autres personnels des phases de fabrication et d’assemblage. Le caractère routinier ou répétitif du test dépend davantage de la structure technologique de l’unité à tester que de son mode d’assemblage187.

Les deux remarques précédentes montrent que l’aménagement des espaces de travail qui caractérise ce deuxième type de département traduit, d’une part, la multiplicité des opérations dont sont chargés les employés de production et, d’autre part, la diversité des catégories professionnelles présentes, une section de test développée indiquant une

présence en nombre de divers groupes de techniciens. Ces départements sont constitués en grande partie d’aires ouvertes, pouvant occuper pour certains des surfaces relativement importantes à l’échelle de l’usine188. À la différence des départements non pourvus de

section de test, ces derniers renvoient beaucoup moins cette image d’espace clos surtout en raison de la diversité mentionnée. Mais ils sont structurés par contre de façon telle qu’ils apparaissent différenciés les uns des autres, d’une part, grâce aux équipements distincts sur lesquels reposent leurs activités et, d’autre part, aux aménagements internes, propres à chacun d’entre eux. La structure de ces aménagements dépend ainsi de la disposition des aires de test où sont installés les techniciens, par exemple, ou de celles des divers sous- groupes d’employés et d’opérateurs de production.

186 Voir en annexe la description de ces caractéristiques techniques des produits.

187 Ce point sera abordé à la faveur de l’analyse des postes de travail des techniciens, il n’est soulevé ici que pour

expliquer l’aménagement spatial des départements de production.

188 À l’exemple de celui du Video-Mux dont la superficie dépasse les 2000 m2 (source : plans fournis par le service de

Ces départements se présentent par conséquent dans l’ensemble comme des unités séparées les unes des autres et présentant chacune une relative autonomie en termes d’aménagements et d’équipements. Comme c’est le cas pour la plupart d’entre elles, les sections de test qu’elles comprennent apparaissent comme des sous-ensembles plus ou moins homogènes – en termes d’équipements spécifiques comme en termes de groupes professionnels–

occupant une portion d’espace facilement identifiable parce que physiquement différenciée du reste dans l’espace global189.

Pour conclure, nous noterons que le principe global sur lequel reposent les modes d’aménagement de l’espace dans l’aile est consiste en un assemblage d’unités de

production dont la structure interne et l’agencement d’ensemble sont relativement éloignés de ce qu’il est parfois convenu d’appeler « l’aménagement taylorien » (Clayssen, Michel, 1979). En comparaison avec l’aménagement de l’aile ouest qui sera présenté plus bas, nous observerons une nette rupture, alors que, paradoxalement, cette aile constitue un espace récent dont l’aménagement est présenté par l’entreprise comme étant le plus « moderne » de l’usine, quand ce n’est pas de l’ensemble des établissements de la société à son échelle transnationale190.

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