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Les effets sociaux structurels des changements technologiques : quelques exemples

Section I. Les changements technologiques

2. Le déterminisme technologique dans l’analyse sociologique

2.2. Les effets sociaux structurels des changements technologiques : quelques exemples

Les courants dominants, dans les sciences sociales, concernant les effets des changements technologiques se sont pour la plupart intéressés à des problématiques articulées

principalement autour des enjeux liés aux organisations industrielles, la technologie y étant mise à contribution en tant que facteur contextuel et/ou structurel (Cotgrove, 1975, Diani, M., 1984 ; Child, 1984). Cette perspective d’approche a suscité une remise en question de plus en plus profonde du statut de la technologie et des connaissances techniques dans l’analyse sociologique du travail (Monjardet, 1977 ; Edwards, 1979 ; Hull et al, 1982 ; Desmarez, 1986 ; Ballé 1990). Ce qui a conduit, dans le débat sociologique, à l’émergence d’une sorte de clivage qui s’est cristallisé autour de la perception des changements

technologiques sous deux grandes visions. Soit en tant que facteur doté d’une certaine autonomie, une sorte de « contrainte technique » (Salerni, 1979) ayant sa propre logique et ses effets sociaux immanents, en ce sens qu’il s’agit d’une logique difficilement contrôlable par les acteurs sociaux. Soit en tant que facteur susceptible d’être manipulé par ces mêmes acteurs, c'est-à-dire de faire potentiellement l’objet d’une instrumentalisation en quelque sorte par les acteurs dominants ou institutionnels des organisations industrielles53

51 Une approche fondée sur une analyse-bilan réalisée par des chercheurs de l’Institut de Recherche Appliquée sur le

Travail (IRAT) –et éditée au Québec– sur les travaux consacrés aux impacts des « nouvelles technologies » sur les différentes composantes du monde du travail.

52 Ces analyses appartiennent de ce fait même au cadre du deuxième grand modèle d’analyse (défini plus haut) qui, faut-il

le souligner regroupe la plupart des approches « déterministes ».

53 Faut-il souligner que ce clivage, au niveau du débat sociologique, dans l’analyse du rôle de la technologie s’est

superposé à un autre clivage de nature idéologique, et ce surtout dans les années 1960-1970 (Goldman, Van Houten, 1977). C’est ainsi que cette deuxième vision de la technologie, en tant que variable instrumentale, et de ses effets sur les diverses composantes de la sphère sociale du travail, fut surtout soutenue dans des approches de type marxiste ou à caractère marxisant (Friedmann, 1963 ; Braverman, 1964 ; Marglin, 1973 ; Stone, 1974 ; Edwards 1979 ; 1984 ;

(Friedmann, 1963 ; Braverman, 1976 ; Rosenberg, 1976 ; Low-Beer, 1981 ; Hull et al., 1982).

En se démarquant de la première approche, H. Braverman (1976) en fait une critique de fond. Tout en accordant un certain déterminisme à la technologie et des changements qu’elle ne peut manquer d’entraîner selon lui dans la division du travail, il considère que l’un des principaux effets des changements technologiques est de fournir un outil privilégié dans le mode de contrôle des travailleurs au sein des organisations industrielles et, par là même, cet outil se présente comme un élément caractéristique du mode de production capitaliste. Cet élément se trouve d’autant plus renforcé que ce sont ces organisations qui, en s’appropriant des positions de quasi-monopole sur leur marché, définissent la nature « monopoliste » du capitalisme moderne. Le mécanisme par lequel les changements technologiques agissent sur la division du travail provient fondamentalement, selon Braverman (1976), de la séparation qu’ils produisent entre la conception et l’exécution du travail54. Au-delà de la perspective historique globalisante de cette analyse55, d’autres

travaux ont contribué à démontrer la « détermination sociale de la technique » (Desmarez, 1986), notamment en postulant que les changements technologiques constituent aussi des enjeux sociaux au sein des organisations industrielles. Dans cette perspective, ils

s’inscrivent au centre des contextes sociaux spécifiques produits par ces organisations et dans lesquels interviennent les individus et les groupes sur la base de motivations et d’intérêts stratégiques qui leur sont propres (Noble, 1977 ; Gasparini, 1977 ; Sainsaulieu, 1987) et pour lesquels ces changements constituent des opportunités d’action et de déploiement de leurs capacités stratégiques (Crozier, Friedberg, 1977). Perçus sous cet angle, les changements technologiques se présentent donc comme une production sociale susceptible d’être appréhendée en tant que telle, et non pas comme une donnée inhérente au système sociotechnique des organisations industrielles (Dunlop, 1958) telle que les

considéraient E. Mayo et ses successeurs56, depuis les recherches menées à la Western

Electric.

À l’instar de H. Braverman (1976), D. Noble (1977) estime que le développement du capitalisme monopoliste et le développement technologique constituent en réalité deux éléments fondamentaux d’un même processus d’ensemble dont l’aboutissement transforme également le mode de fonctionnement du capitalisme industriel. Pour lui, ce sont les changements technologiques sur le terrain des organisations industrielles qui conduisent à un tel état de fait, mais que les effets de ces changements ne constituent nullement une

Kusterer, 1976 ; Rosenberg, 1976 ; Low-Beer, 1981) ou encore dans des analyses se situant dans une perspective résolument wébérienne (Giddens, 1973 ; Wright, 1974 ; Giddens, Mackenzie, 1982). Alors que la première vision – considérant la technologie comme un facteur autonome doté d’une dynamique propre dans laquelle les acteurs ne peuvent être en mesure d’intervenir, sauf à vouloir contrecarrer l’évolution « naturelle de la Science »– fut quant à elle surtout privilégié par des analyses davantage tournées vers les enjeux stratégiques des organisations industrielles (March, Simon, 1958 ; Blau, Scott, 1962 ; Crozier, 1963 ; Thompson, 1966) ou institutionnelles (Crozier, 1963).

54 Notons, à titre indicatif, que cet aspect macrosociologique de l’analyse de Braverman, quant aux effets des changements

technologiques, trouve une certaine confirmation dans l’analyse, de type microsociologique, proposée par D. Perrin (1993), notamment lorsque ce dernier montre les conséquences de certaines étapes de ces changements comme le processus d’automatisation dont la conjugaison avec la logistique informatique de soutien aboutit précisément à une telle séparation (entre la conception et l’exécution).

55 Perspective dont nous avons pu voir à quel point elle conditionnait les analyses, en sociologie du travail comme en

économie industrielle, ciblant les effets des changements technologiques (Rosenberg, 1976 ; Massard, 1991).

56 École dont H. Braverman (1976) stigmatisa les membres en estimant que l’exploitation, par les dirigeants des

entreprises industrielles, des résultats de leurs recherches avaient fait d’eux les « équipes d’entretiens » de la « machinerie humaine » utilisée par ces organisations.

« raison technique » (Noble, 1977) imposée aux entreprises57. Ce sont bien au contraire ces

dernières qui contribuent à imposer un ordre social qu’elles seraient en mesure de dominer grâce aux pratiques sociales qu’elles tentent d’orienter en s’appuyant sur la « contrainte technique » qui serait dictée par les changements technologiques dans l’espace industriel. À l’appui de sa thèse, D. Noble se réfère au comportement des ingénieurs dont il montre dans une étude de cas qui a fait date (1978) qu’ils sont avant tout motivés par la volonté d’empêcher, autant que faire se peut, toute possibilité de contrôle par les travailleurs des équipements sur lesquels ils peuvent exercer leurs activités, même si la structure

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