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Le modèle de l’identité collective : la conjugaison de l’identité professionnelle avec l’action

Section III. L’identité : définitions et modèles d’analyse

2. Les modèles d’analyse de l’identité

2.4. Le modèle de l’identité collective : la conjugaison de l’identité professionnelle avec l’action

Le troisième modèle d’analyse aborde la question de l’identité en étroite relation avec la composante professionnelle de l’identité. C’est la perspective de l’action collective, en ce qu’elle constitue effectivement un des modes d’expression privilégiés des identités sociale et professionnelle à la fois (Reynaud, 1982). C’est donc à travers les processus de la mobilisation collective comme logiques productrice d’identité (Segrestin, 1980), cet élément producteur de reconnaissance sociale et constitutif de la composante « groupale » l’identité (Enriquez, 1992), que sera présenté ce modèle d’analyse. À cet effet, nous ferons appel ici à quelques-uns des exemples les plus significatifs de ce modèle. Notons en complément que la plupart des approches développées dans le cadre de ce modèle reposent dans l’ensemble sur le même schéma d’analyse et mettent globalement en œuvre les mêmes catégories conceptuelles construites autour des différentes significations sociales de l’action collective96.

Il en est ainsi de la « culture de métier », une catégorie que certaines analyses de ce troisième modèle considèrent comme un élément moteur dans la production de la

conscience de classe (Segrestin, 1980). En tant que telle, elle est alors appréhendée comme une composante socialement constitutive de l’identité collective. C’est le cas notamment d’une approche développée par D. Segrestin qui, dans un travail de synthèse, tente

d’expliciter les mécanismes sociaux de l’action collective. L’auteur focalise son attention d’abord sur le caractère collectif –socialement plus globalisant– de l’identité issue de la sphère du travail plutôt que sur son caractère strictement catégoriel, lié davantage aux rapports sociaux de travail et aux modes de socialisation professionnelle dans lesquels s’inscrit le processus de formation et d’émergence de cette identité.

Nous relèverons ici la différence de perspective d’approche remarquable entre D. Segrestin (1980) et C. Dubar (1991). En effet, ce dernier privilégie tout particulièrement, à travers le concept de socialisation professionnelle, les expériences singulières de travail (formation, expériences professionnelles, apprentissages culturels) en ce sens qu’elles peuvent

constituer des vecteurs socialement porteurs de l’identité professionnelle. Dans cette perspective, pour expliciter le processus de construction de cette identité, C. Dubar attribue aux changements technologiques et à la transformation des apprentissages et des savoir- faire, un rôle prééminent dans la formation de ce processus en raison de leurs conséquences en terme d’insertion sociale, à travers une intégration durable dans un même espace

professionnel97.

96 L’une des approches les plus représentatives de ce modèle est sans conteste celle de J. Low-Beer dont nous avons

exposé l’analyse plus haut dans le cadre des modèles d’analyse consacrés aux changements technologiques et que, de ce fait nous ne reprendrons pas ici. Nous soulignerons cependant que J. Low-Beer, dans une analyse particulièrement documentée et solidement argumentée (1978) sur les conditions et les degrés de participation aux mouvements de protestation sociale de certains groupes de travailleurs (les techniciens de l’industrie électronique notamment), a pu montrer comment et à quel point les mécanismes sociaux de ce processus de mobilisation pouvaient contribuer non seulement à la formation de l’identité collective mais également à l’affirmation identitaire individuelle d’une partie des membres de ces groupes (à l’exemple notamment des techniciens en situation retrait social par rapport à l’entreprise ou de ceux qui s’étaient fortement engagés dans la « culture de l’organisation »).

97 Il nous a déjà été donné de souligner l’importance accordée, dans cette étude de cas, à ce deuxième volet de la formation de

l’identité professionnelle. En effet, nous pourrons montrer dans notre analyse à quel point le renouvellement des savoir- faire provoqué par les changements technologiques peut contribuer à la singularisation de l’identité professionnelle des techniciens dans l’entreprise observée. C’est en ce sens que certains éléments de l’approche exposée ici seront plus

Dans la perspective de D. Segrestin (1980), l’identité collective apparaît davantage comme une résultante sociale de l’action qu’un prolongement de la communauté professionnelle dont elle est issue. Même si, comme le souligne M.-J. Gagnon (1996 : 128), « la frontière entre une action à caractère individuel et une autre à caractère collectif est imprécise », il n’en demeure pas moins que l’identité collective émergeant de l’action du groupe ou de la communauté professionnelle peut être socialement repérée dans une relative autonomie en raison précisément de la dynamique « groupale » (Enriquez, 1992) qui la sous-tend. Cette dynamique est d’autant plus caractérisée que, d’une part, « c’est dans la mobilisation collective que (l’identité) éclôt et se cristallise » (Gagnon, 1996 : 128) et, d’autre part, elle s’inscrit dans la durée, « elle (l’identité) doit être vue comme un processus, elle se saisit mal dans l’instantanéité » (Gagnon, 1996 : 128).

Ce processus est, a priori, paradoxal en raison de l’association apparemment antinomique qu’il construit entre la durée grâce à laquelle doit se développer l’identité, et le caractère collectif de l’action dont la portée prend sens essentiellement dans l’impact circonscrit et relativement limité dans le temps qui la caractérise. Comme le souligne E. Reynaud (1982), « ce qui a été construit pendant une période précise et qui en porte la trace va

(donc) perpétuer l’état des forces et la force des passions qui l’ont fait naître » (1982 : 172). En effet, puisque E. Reynaud associe cette « période » au conflit dans lequel s’inscrit

l’action collective et, partant, « se structurera le groupe ». Ou encore, ainsi que le souligne également M.-J. Gagnon, une grève, cas de conflit exemplaire s’il en est, « peut (ainsi) construire le groupe, tisser des solidarités entre des gens qui auparavant voyaient leur syndicat plutôt comme un instrument » (1996 : 128). Cependant, là où E. Reynaud perçoit une continuité dans le processus de formation de l’identité collective parce que « ces moments sont producteurs d’institutions » (1982 : 172) –souvent soulignés par le slogan « plus rien ne sera comme avant ! »–, M.-J. Gagnon observe un processus d’intensité variable et souligne que « rien n’est jamais acquis mais rien n’est jamais non plus désespéré : l’identité peut se diluer, mais elle peut aussi se construire » (1996 : 128). Même si cette différence d’appréciation est, somme toute, très relative puisque E. Reynaud soutient malgré tout que « la manifestation même d’une identité collective est souvent dépendante des occasions qui lui sont offertes » (1982 : 171), elle traduit probablement le net

glissement qui s’est opéré dans l’évolution de l’analyse sociologique de l’identité et, surtout, de l’action collective : les mouvements sociaux, en général, et le mouvement syndical, tout particulièrement, n’ont-ils pas subi, à l’instar de la perception sociale du travail, une profonde « mutation » (Gagnon, 1996 : 135) ? D’aucuns ont pu y déceler une crise, une rupture ou une profonde transformation (Rosanvallon, 1984 ; Dommergues et al., 1984 ; Freeman et Medoff, 1987 ; Tixier, 1992). Il semble cependant fort probable que, comme le souligne M.-J. Gagnon, « ce qui se passe est une mutation qui se répercute sur toutes les dimensions de la vie collective et individuelle » (1996 : 135).

CITONS ENFIN UNE DERNIÈRE APPROCHE DANS LE CADRE DE CE TROISIÈME MODÈLE, CONFORTANT EN PARTIE CELLE DE D. SEGRESTIN (1980), ET QUI CONSISTE À METTRE EN EXERGUE LE RÔLE JOUÉ DANS LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ PROFESSIONNELLE PAR LE RATTACHEMENT AU GROUPE

spécifiquement développés dans le cadre théorique de ce travail pour servir de référence au modèle d’analyse construit pour notre étude de cas.

PROFESSIONNEL DE FAÇON PLUS GLOBALE À TRAVERS LA NATURE

ESSENTIELLEMENT SOCIALE D’UN TEL LIEN. C’EST LE CAS D’UNE ANALYSE DE D. COURPASSON (1994) CONSACRÉE À L’ÉTUDE DE L’IDENTITÉ

PROFESSIONNELLE DANS L’ENTREPRISE BANCAIRE, À TRAVERS SON ÉVOLUTION HISTORIQUE ET LES DERNIERS CHANGEMENTS

TECHNOLOGIQUES APPARUS DANS « LA PROFESSION ». CETTE ANALYSE MONTRE QUE CETTE IDENTITÉ APPARAÎT, GLOBALEMENT, COMME LE RÉSULTAT D’UNE INTERACTION ENTRE L’ENTREPRISE ET L’ESPACE SOCIAL DANS LEQUEL S’INSCRIT SON ACTION DANS LE MILIEU EXTÉRIEUR, EN L’OCCURRENCE SON MARCHÉ. C’EST EN CONCENTRANT SON ANALYSE SUR CETTE « INTERACTION », CONSIDÉRÉE COMME LA DYNAMIQUE DE BASE DE LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ COLLECTIVE, QUE D. COURPASSON TENTE D’EXPLICITER LES MÉCANISMES DE LA FORMATION IDENTITAIRE. UNE PERSPECTIVE QUI PAR AILLEURS, SELON L’AUTEUR, VIENT

OPPORTUNÉMENT COMBLER CE QUI LUI PARAÎT COMME UN « OUBLI » DANS LES ANALYSES SOCIOLOGIQUES PORTANT SUR L’IDENTITÉ

PROFESSIONNELLE, CELUI DE NE PAS AVOIR PRIS EN COMPTE LES

CONDITIONS ET LES CONSÉQUENCES D’UNE TELLE « INTERACTION » DANS CE PROCESSUS. EN EFFET, PARTANT DU CONSTAT QUE, AU-DELÀ DE LA MULTIPLICITÉ DES CULTURES PROFESSIONNELLES, L’IDÉE DE LA SEULE INTERACTION AVEC LES PAIRS ET LE MILIEU DE TRAVAIL DEMEURE

DOMINANTE, SINON EXCLUSIVE, DANS L’EXPLICATION SOCIOLOGIQUE DU PROCESSUS DE FORMATION DE L’IDENTITÉ PROFESSIONNELLE, L’AUTEUR SOUTIENT QU’« IL Y A UN OUBLI PARADOXAL DES RÈGLES DU MÉTIER, C’EST-À-DIRE DU RAPPORT DIRECT À L’ACTE PRODUCTIF QUI PLONGE LES ACTEURS PROFESSIONNELS DANS UN RAPPORT DE CONFLIT/COOPÉRATION AUSSI AVEC L’ESPACE MARCHAND DANS LEQUEL ILS INSCRIVENT LEURS ACTIVITÉS (1994 : 200) ». A PARTIR D’UNE ÉTUDE APPUYÉE SUR UNE ENQUÊTE DE TERRAIN, D. COURPASSON PROPOSE UNE ANALYSE DES CHANGEMENTS INTERVENUS DANS LE « MÉTIER DE BANQUE » DONT L’ABOUTISSEMENT A PERMIS DE MONTRER QUE L’IDENTITÉ

PROFESSIONNELLE –LE « COMMERCIAL » BANCAIRE, DANS CETTE ÉTUDE DE CAS– EST EN GRANDE PARTIE LE RÉSULTAT D’UNE INTERACTION ENTRE L’APPARTENANCE À UN MÉTIER ET L’APPARTENANCE À UN « MARCHÉ »98.

2.5. Le modèle « technique et professionnel » : une approche par les rapports sociaux de

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