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Section II. La qualification dans l’analyse sociologique

2. La qualification dans l’analyse sociologique : une notion imprécise oscillant entre l’individu et la

2.2. L’ambivalence de la notion de qualification et ses prolongements

En conclusion de ces deux approches, représentatives à plusieurs égards du débat sur la qualification, un débat dont les termes demeurent problématiques en dépit des nombreuses contributions qu’il a suscitées, se pose, à un moment où l’on s’interroge sur les

prolongements possibles de cette notion de qualification sur l’identité au travail, une question tout aussi pertinente qu’opportune sur la nature réelle d’une telle controverse. C’est la question posée par M. Stroobants, et que nous ferons nôtre : « dans la mesure même où la qualification met en rapport des catégories d’opérations et des critères pour les évaluer, c’est-à-dire établir un rapport entre deux rapports dont les termes sont fluctuants, comment pourrait-on en mesurer l’évolution positive ou négative » (1993 : 97) ? Tout se passe en fait comme si, dans cette démarche, l’auteur tente de mettre en relation –au sens de les faire dépendre l’une de l’autre– deux catégories de natures foncièrement différentes. La première de nature conventionnelle, c’est-à-dire obéissant à un consensus social de

77 C’est à travers ce mouvement, repéré dans cette approche, que s’établit le lien cité plus haut, dans notre problématique,

entre cette approche et nos hypothèses de travail concernant le processus de « qualification » à travers lequel nous tenterons de montrer la rupture provoquée par les changements technologiques à l’intérieur de ce que nous appellerons la configuration catégorielle –ou structure professionnelle, selon Friedmann et Reynaud (1958)– caractérisant l’espace de production et de travail de l’entreprise industrielle observée.

78 Remarquons, incidemment, que c’est en se plaçant dans une attitude comparable que H. Braverman avait, en son temps,

fustigé certains sociologues de l’industrie et des organisations aux États-Unis, leur reprochant d’adopter des

perspectives d’analyse qui reviennent en fait aux dirigeants des organisations industrielles et non pas aux sociologues (en les qualifiant notamment d’« équipes d’entretien » au service des organisations industrielles).

classification, c’est la qualification définie comme élément d’évaluation. La seconde catégorie fait référence quant à elle à une capacité objective, c’est-à-dire à la compétence réelle des individus éprouvée dans le cadre d’un processus de travail.

Pour contourner l’incertitude inhérente à la mise en relation de catégories aussi

discordantes –l’une à référence conceptuelle et l’autre de nature empirique– M. Stroobants propose une approche dans laquelle la relation entre ces deux catégories apparaît nettement plus intégrée en raison de la cohérence de leur articulation.

« Si la qualité du travail ne détermine pas la qualification, en revanche le processus de qualification gouverne la possibilité de faire reconnaître et même, tout simplement, de reconnaître, c’est-à-dire d’identifier une compétence. Autrement dit, si les savoirs "effectivement mis en œuvre au travail" sont toujours relatifs, ils sont aussi relatifs à la "grille" instaurée par la qualification. S’ils ne peuvent en rendre compte, ils ont sont porteurs » (1993 : 98).

C’est précisément dans un tel cadre théorique que nous nous attacherons, dans cette étude, à situer la notion de qualification afin d’être en mesure de définir et de rendre compte du processus qui lui sert de support. Les termes de cette clarification sont d’autant plus opportuns qu’ils nous ont paru particulièrement adaptés au contexte de l’analyse des impacts des changements technologiques sur l’identité au travail que nous nous sommes proposés de mener ici.

Dans cette perspective, les critères de définition de la compétence professionnelle –terme dont nous ne discuterons pas ici le contenu– apparaissent comme le prolongement effectif de la notion de qualification dans l’espace de travail en offrant un cadre d’évaluation, à portée limitée certes mais reflétant concrètement la relation entre le processus de

qualification et le contenu ou l’activité de travail. Dans le contexte d’un espace de travail tel que celui qui nous intéresse ici, avec les caractéristiques technologiques qui lui sont propres, ces critères font figure d’indicateurs hautement significatifs des impacts possibles entraînés par les changements (technologiques) intervenant dans ces caractéristiques et, partant, sur les composantes identitaires des individus et des groupes professionnels (notamment par le biais de ce double processus de qualification), composantes dont nous pourrons voir qu’elles sont tributaires dans une mesure certaine –dont nous examinerons la portée dans les conclusions de notre recherche– de ces changements. Il ressort donc de cette « clarification » (Stroobants, 1993) une approche fondée sur deux postulats dont la relation avec nos hypothèses de travail nous incite à en exposer brièvement les éléments. Premièrement, les changements technologiques transposent vers les procès de travail leurs logiques propres, directement liées aux transformations introduites dans l’espace de fabrication (Stroobants, 1993), et induisent par conséquent des représentations de la technique (des changements technologiques) ayant un « effet structurant » (Stroobants, 1993 : 201) sur l’organisation du travail et la répartition des tâches. Ces changements apparaissent comme un élément déclencheur d’une « expérimentation sociale » nouvelle dont les composantes peuvent être aussi bien un processus de requalification qu’un processus de déqualification –comme nous pourrons le montrer dans cette étude de cas. Deuxièmement, un autre effet de ces changements est leur prolongement « culturel » sur les capacités et les compétences professionnelles individuelles telles qu’elles peuvent être traduites par la « culture » de l’organisation : autonomie, responsabilité, initiative, apparaissent comme des critères de classification professionnelle sans même parfois correspondre à une réelle transformation des modes de répartition des tâches. Au fond, il est difficile de parler de véritables changements au niveau du contenu des compétences. Ce

sont moins les projections sociales et professionnelles de ces « compétences » sur les espaces de travail qui ont changé que les perspectives nouvelles dans lesquelles elles ont tendance à être de plus en plus situées. La nouveauté se trouve en fait dans ce discours qui tend de plus en plus à consacrer la compétence en tant que qualification.

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