• Aucun résultat trouvé

Paragraphe 1 : Les conséquences de l’Islam religion d’État

B. Religion d’État et démocratie

Ainsi, dans les deux nouvelles Constitutions, les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires doivent tenir compte des préceptes religieux. La loi doit être conforme aux

principes de l’Islam455. Ainsi la volonté du peuple est subordonnée à l’Islam, c'est-à-dire à la

volonté de Dieu. Ceci s’oppose donc à la démocratie, dans laquelle les citoyens sont au centre du fonctionnement de l’État et des décisions du Parlement. De plus, le Président de la République afghan doit être musulman, d’après les conditions d’éligibilité liées à cette

fonction 456. Or, cette disposition exclut de la présidence les non musulmans. En outre, dans

nos deux États, des experts en droit islamique sont autorisés à siéger au sein de la Cour

suprême457. Précisons enfin que la qualification de République islamique donnée à

l’Afghanistan, ne semble pas modifier le statut de l’Islam. Il s’agit d’une simple formule. On ne peut donc qualifier ces pays d’état de droit, puisque la législation est soumise à Dieu. Pour qu’il y ait état de droit, il faut que l’État soit soumis au droit, que ses organes respectent les dispositions de la loi et de la Constitution telles qu’adoptées par les citoyens. Or, par la reconnaissance de l’Islam religion d’État, nous obtenons un État soumis au droit tel

451 « Islam is the official religion of the State and is to be considered a source of legislation », Law of Administration for the State of Iraq for the Transitional Period, March 8, 2004, article 7(A).

452 Les chiites imâmites reconnaissent les douze premiers imams. Par la suite, ils adhèrent à la théorie de l’imam caché.

453 BACHARDOUST (R.), op. cit., pp. 313-317.

454 VINATIER (L.), L’Islamisme en Asie centrale, Armand Colin, 2002, p. 181. 455 Article 3 de la Constitution afghane et article 2(1)-A de la Constitution irakienne. 456 Article 62, alinéa 1 de la Constitution afghane.

89 que voulu par Dieu ; ce qui s’avère dangereux, car nul ne sait vraiment ce que Dieu désire. Ainsi, ce droit voulu par Dieu est interprété par des experts en droit islamique ; ce qui ouvre la voie à la subjectivité et à l’arbitraire potentiel. Ce fonctionnement est à l’opposé d’un État démocratique, finalement base unique de l’état de droit, puisque la volonté et donc le droit viennent du peuple. De plus, la notion d’état de droit signifie que l’État doit respecter le cadre du droit ; or dans nos deux États, le cadre à respecter est celui donner par le droit islamique.

Cela limite aussi certains principes développés dans les Constitutions, tel les libertés religieuse et de conscience, la neutralité du service public ou le principe d’égalité. Le droit à l’éducation libre pour tous les citoyens est-il garanti lorsque la Constitution précise que l’État

doit mettre en œuvre des programmes éducatifs basés sur la religion sacrée de l’Islam458 ?

Les limitations seront plus ou moins grandes selon l’interprétation et selon la place qui sera réservée à l’Islam, par les Cours suprêmes. Celles-ci étant composées d’experts en droit musulman, la conciliation dépendra aussi de l’interprétation de l’Islam faite par ces experts et

de leur courant d’appartenance459. En Afghanistan, le rite Hanafite semble avoir été

privilégié460. En effet, si l’on se réfère à l’article 130, qui précise les sources du droit, en cas

de vide laissé par le législateur ou le constituant, la jurisprudence Hanafite est appliquée461.

Toutefois, la Constitution précise également que les principes issus des écoles de droit chiites

doivent être mis en œuvre, lorsque une affaire implique des chiites462. En effet, les Hazaras,

une ethnie Afghane, appartiennent à la communauté chiite. Ainsi, le système juridique afghan subit une forme de fragmentation. Le danger est grand de voir ce système juridique appliquer les « deux poids de mesure ».

En Irak, la Constitution n’est pas explicite, elle ne choisit pas l’un des courant de l’Islam. Au contraire, elle précise à plusieurs reprises que l’Irak est composé de plusieurs religions et courants et garantit en conséquence, la liberté de religion, de culte et de conscience. À ce titre, l’article 41 est très démonstratif, puisque, pour protéger les libertés, il

fonde une application différenciée du statut personnel463. Or, cela porte atteinte au principe

d’égalité devant la loi, puisque ce statut sera différent en fonction de la religion choisit. C’est pourquoi

« Secularists and women’s advocates are […] worried […] If Shiite leaders truly meant for the provision to give Iraqis the freedom of choice – allowing Shiites to live under Shiite law and Sunnis to live under Sunni law – then the progressive 1959 code may also be kept on the books for those who want it. Allowing such freedom could lead to a confusing but relatively benign system [...] under which Iraqis with legal questions could choose among different codes and court systems [...] Many secular Iraqis worry, however, that Article 39 will lead instead to an Iranian – style theocracy, which would severely limit women’s rights in particular »464.

458 Articles 43 et 45 de la Constitution afghane. 459 BACHARDOUST (R.), op. cit., pp. 307-311.

460 Le courant Hanafite est un courant sunnite qui regroupe « les gens de la tradition ». Il s’agit d’un Islam orthodoxe, ainsi, « toute innovation par rapport à la doctrine du fondateur serait suspecte », MILLIOT (L.) et BLANC (F.P.), op. cit., p. 17.

461 Article 130, alinéa 2 de la Constitution afghane. 462 Article 131 de la Constitution afghane.

463 Article 41 de la Constitution irakienne: « Iraqis are free in their commitment to their personal status according to their religion, sect, belief or choice, and this shall be regulated by law »

464 L’auteur se réfère ici à l’ancienne numérotation de la Constitution irakienne, c’est pourquoi l’article 39 est mentionné au lieu de l’article 41, COLEMAN (I.), « Women, Islam, and the New Iraq », op. cit., p. 30 et 31.

90 En conséquence, tout comme en Afghanistan avec l’article 131 de la Constitution, l’article 41 de la Constitution irakienne instaure une conception personnelle du droit, qui porte atteinte, d’une part, au principe d’universalité des lois, base d’un système démocratique dans

lequel règne l’absence de privilèges, et d’autre part au principe d’égalité devant la loi465.

II. Les implications en matière de droit de l’homme

Les Constitutions afghane et irakienne semblaient être très protectrices en matière de

droits de l’homme466. Cependant, nous devons désormais lire ces dispositions de façon à les

concilier avec la reconnaissance de l’Islam en tant que religion d’État. Or, les droits de l’homme, bien que qualifiés d’universels, recevront une interprétation différente.

Il nous faut ici étudier les droits de l’homme les plus significatifs, ainsi, le principe d’égalité (A) et la liberté de religion et de conscience (B).