• Aucun résultat trouvé

L’Irak, d’une situation de facto à l’accord du 15 novembre 2003

Paragraphe 1 : Une administration provisoire internationalisée

B. L’Irak, d’une situation de facto à l’accord du 15 novembre 2003

La première phase (de la fin de la guerre le 1er mai 2003 au 28 juin 2004) est

caractérisée par l’omniprésence de la Coalition dans le processus décisionnel. En effet,

108 Il dirigea le parti Jamiati islami au Pakistan durant le jihad contre les Soviétiques et fut également vice- ministre de la défense aux côtés du commandant Massoud, en 1992, puis Ministre de l’Intérieur sous le Président Rabbani. Il quitta le parti Jamiati islami, tout comme ses compagnons de route, Massoud, Fahim, et Abdullah, pour rejoindre le parti du Mouvement national, créé en 2002 par le frère de Massoud. Informations obtenues dans BACHARDOUST (R.), op. cit., p. 264 et 272.

109 En effet, lors du coup d’Etat de Mohamad Daoud, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1973, annonçant la mort de la Monarchie constitutionnelle, le Roi Mohammed Zaher Chah était en Italie et y résida par la suite. Pour plus d’information à ce sujet, consulter BACHARDOUST (R.), op. cit., pp.115-126.

110 BACHARDOUST (R.), op. cit., p. 265. 111 Ibidem, p. 266.

112 Pour ce qui est de la mise en œuvre de la conférence de Petersberg, ainsi que des délégations présentes, consulter HAQUANI (Z.) « Rapport introductif, la crise afghane de 1973 à 2003 », in MEHDI (R.) (dir.), L’ONU et l’Afghanistan, colloque des 17 et 18 janvier 2003 en l’honneur de MAHIOU (A.), Paris, Pedone, 2003, pp. 35-36. Consulter aussi LOMBART (L.), « La reconstruction politique de l’Afghanistan post- taliban: de la chute de l’Emirat islamique à la proclamation de la République islamique (2001-2004) », R.F.D.C. Tome 60, octobre 2004, pp. 863-866.

32

l’administration provisoire se fonde, alors, principalement sur la volonté de la Coalition113, la

force d’occupation, est détentrice de facto de la souveraineté irakienne.

Toutefois, rapidement, le déficit de légitimité va apparaître. C’est pourquoi, l’accord du 15 novembre 2003, intitulé « Agreement on Political Process », entre l’Autorité Provisoire de Coalition et le Conseil intérimaire de Gouvernement, va organiser une seconde phase. Il est signé par Paul Bremer, l’administrateur américain de l’Irak, et Jalal Talabani, alors Président par rotation du Conseil Intérimaire de Gouvernement.

Composé de cinq dispositions, son but est d’organiser, à terme, le transfert de

souveraineté114, la fin de l’intervention américaine en tant que force d’occupation115 et

l’établissement d’une nouvelle administration provisoire et souveraine. Le premier article est relatif à l’établissement d’une Constitution transitoire et à son mode d’élaboration, il s’intitule « The "Fundamental Law" ». Elaborée par le Conseil Intérimaire en collaboration avec

l’Autorité, elle devra être approuvée le 28 février 2004 au plus tard116. Sept éléments en

prédisposent le contenu: une Déclaration de droits prévoyant la protection des droits de l’homme ; la forme de l’État (fédérale avec séparation des pouvoirs) ; l’indépendance du pouvoir judiciaire et un mécanisme de « judicial review » ; le contrôle des forces armées et de sécurités irakiennes ; une déclaration prohibant l’amendement de cette loi fondamentale ; une date à laquelle la Constitution provisoire disparaîtra. Enfin, elle devra contenir un calendrier prévoyant d’abord, l’édification d’une Constitution permanente par une structure directement élue par la population irakienne, ensuite, la ratification de cette Constitution, et enfin, la tenue d’élections. L’article 5 de l’Accord prolonge ce premier article, puisqu’il a trait à la Constitution permanente. On y apprend qu’elle sera élaborée par une Assemblée constituante désignée directement par le peuple irakien. L’élection de l’Assemblée constituante devra se tenir avant le 15 mars 2005. La Constitution permanente sera adoptée par référendum. De plus, avant le 31 décembre 2005, l’élection du gouvernement irakien aura lieu. La Constitution transitoire pourra alors s’éteindre et la Constitution permanente entrer en vigueur ; ce sera la fin de la période de transition117.

À la différence de l’Afghanistan, où l’Accord de Bonn prévoit la réactivation de la Constitution de 1964 adoptée par les afghans eux-mêmes, une Constitution transitoire est élaborée sous l’égide de l’autorité d’occupation. Or, cette procédure laisse davantage de manœuvres pour l’introduction de principes étrangers au sein du système juridique irakien.

La seconde disposition est également fondamentale. Elle impose l’approbation entre l’Autorité et la Conseil Intérimaire d’un Accord bilatéral sur la sécurité, établissant le statut

113 Le Secrétaire général des Nations Unies utilise l’expression « Plan de l’Autorité pour la transition politique », rapport présenté en application du paragraphe 24 de la résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité, 17 juillet 2003, S/2003/715, § 22.

114 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 4: « By June 30, 2004 the new transitional administration will be recognized by the Coalition, and will assume full sovereign powers for governing Iraq. The CPA [l’Autorité] will dissolve ».

115 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 2. 116 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 1. 117 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 5.

33 des forces de la Coalition en Irak. Or, l’Accord bilatéral devra leur laisser une grande marge

de manœuvre pour apporter la sécurité et la sureté à la population118.

En troisième lieu, l’Accord prévoit le mode de désignation des personnes appelées à siéger au sein de l’Assemblée Nationale de transition. D’abord, le Conseil intérimaire n’aura aucun rôle dans la désignation des membres, d’ailleurs, il sera dissout dès que l’Assemblée

Nationale provisoire sera mise sur pied, mais ses membres pourront intégrer l’Assemblée119.

Or, l’Autorité conserve une marge de manœuvre dans la désignation des individus qui représenteront le peuple irakien, futurs détenteurs de la souveraineté de cet État. En outre, la

future Assemblée sera l’organe qui désignera le pouvoir exécutif120. Or, elle n’est pas

désignée au suffrage universel direct.

L’Accord prend également une décision fondamentale quant à la forme de l’État. Or,

la Constitution provisoire121, ainsi que la Constitution permanente suivront ces prescriptions,

car elles introduisent des modifications irréversibles concernant le fédéralisme. Cet Accord très bref, probablement même trop bref, fut, par conséquent, critiqué par certains, notamment,

par le Grand ayatollah Ali Al-Sistani122, mais reconnu par la grande majorité des chiites

d’Irak.

Nous constatons enfin, qu’à la différence de la reconstruction en Afghanistan, où les protagonistes nationaux en collaboration avec les Nations Unies avaient établi une « feuille de route » accompagnant la reconstruction du début à la fin, il n’y a pas ici de programme préétabli et précis. « Il dépendra de la capacité militaire américaine de maintenir la situation actuelle dominante, caractérisée par l’insécurité et la violence quotidienne »123.

118 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 2: « wide latitude to provide for the safety and security of the Iraqi people ».

119 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 3: « Election of members of the Transitional National Assembly will be conducted through a transparent, participatory, democratic process of caucuses in each of Iraq's 18 governorates. – In each governorate, the CPA will supervise a process by which an "Organizing Committee" of Iraqis will be formed. This Organizing Committee will include 5 individuals appointed by the Governing Council, 5 individuals appointed by the Provincial Council, and 1 individual appointed by the local council of the five largest cities within the governorate. – The purpose of the Organizing Committee will be to convene a "Governorate Selection Caucus" of notables from around the governorate. To do so, it will solicit nominations from political parties, provincial/local councils, professional and civic associations, university faculties, tribal and religious groups. Nominees must meet the criteria set out for candidates in the Fundamental Law. To be selected as a member of the Governorate Selection Caucus, any nominee will need to be approved by an 11/15 majority of the Organizing Committee. Each Governorate Selection Caucus will elect representatives to represent the governorate in the new transitional assembly based on the governorate's percentage of Iraq's population ».

120 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 4: « Following the selection of members of the transitional assembly, it will meet to elect an executive branch, and to appoint ministers ».

121 Loi d’Administration pour l’État de l’Irak pour la période transitoire, article 4: « The system of government in Iraq shall be republican, federal, democratic, and pluralistic, and powers shall be shared between the federal government and the regional governments, governorates, municipalities, and local administrations. The federal system shall be based upon geographic and historical realities and the separation of powers, and not upon origin, race, ethnicity, nationality, or confession ».

122

Cité par DETAIS (J.) et ALBINE (G.), « L’établissement de la démocratie en Irak », in KHERAD (K.) (dir.), Les implications de la guerre en Irak, Paris, Pedone, 2005. Consulter également MEMRI, « La naissance douloureuse de la souveraineté irakienne », Enquête et analyse n° 157, 14 janvier 2004, www.nuitdorient.com, consulté le 27 avril 2006.

123 KOHEN (M.), « L’administration actuelle de l’Irak : vers une nouvelle forme de protectorat ?, op. cit., p. 312.

34

II. Les compétences de chacun des acteurs de la reconstruction

Le porte parole de Lakhdar Brahimi, Ahmad Fawzi, indiquait lors des négociations

concernant l’Afghanistan que « les Nations Unies proposent, les Afghans décident »124. Il

semble que l’O.N.U. ait voulu éviter « de faire de l’Afghanistan un protectorat »125. La

méthode des bons offices est donc favorisée. Nous allons constater que l’Accord de Bonn définit clairement la compétence de chacun des acteurs de la reconstruction. Il en ira tout autrement pour l’Irak, où la reconstruction est menée principalement par un État tiers, les États-Unis ; l’O.N.U. ne disposant alors que d’un rôle circonscrit.

Le professeur Daillier qualifie cette situation de « redistribution des compétences étatiques », car elle a pour conséquence de confisquer certaines prérogatives aux organes de

l’État en reconstruction126. Il nous faut alors déterminer la compétence de chacun des acteurs

de la reconstruction en Irak et en Afghanistan, pour évaluer les sources d’influences potentielles. Ils sont de trois types: les acteurs nationaux (A), les États tiers (B), mais aussi les Nations Unies (C). En principe, les acteurs internes devraient avoir le rôle principal, l’O.N.U. être l’interlocuteur privilégié, et les États tiers, intervenir à la demande des acteurs internes ou pour mettre en œuvre les résolutions de l’Organisation. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas.