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Paragraphe 1 : Les conséquences de l’Islam religion d’État

I. L’Islam religion d’État

Pour mieux comprendre toutes les conséquences juridiques de la constitutionnalisation de la religion et les implications que cela peut avoir, il nous faut dans un premier temps

440 « Such a provision is not unknown internationally, but the usual purpose is to encourage the use of the preambule to guide constitutional interpretation », BROWN (N.J.), op. cit., p. 1.

441 DUPRET (B.), « ‘La Chari’a est la source de la législation’ : interprétation jurisprudentielles et théories juridiques », in MAHIOU (A.) (dir.), op. cit., p. 126.

442 Cette expression est utilisée par DUPRET (B.), op. cit., p. 130, pour décrire la « situation d’interrelation accrue » entre le droit positif et la Charia.

87 donner l’origine et les raisons d’une telle situation (A), avant d’en tirer les conséquences sur le plan démocratique (B).

A. Origine et définition

Nos deux États sont des membres de l’Organisation de la Conférence Islamique

(O.C.I.)443. Trois critères d’adhésion doivent alors être réunis. Il faut d’abord que la

population musulmane représente 50% ou plus de la population totale de l’État; il faut ensuite que l’État soit qualifié d’islamique par sa Constitution ; il peut s’agir enfin simplement du chef d’État ou des membres du gouvernement qui ont adopté la religion musulmane. Par conséquent, l’Irak ainsi que l’Afghanistan sont des « États islamiques ».

Il n’est donc pas étonnant de constater que la Constitution irakienne commence ainsi:

« Islam is the official religion of the State and is a foundation source of legislation »444, tandis

qu’en Afghanistan, elle précise « The sacred religion of Islam is the religion of the Islamic Republic of Afghanistan »445 et ajoute « No law shall contravene the tenets and provisions of

the holy religion of Islam in Afghanistan »446.

Commençons d’abord par définir ce que l’on entend par la notion de religion d’État. Elle s’oppose au principe français de laïcité :

« […] le concept de laïcité renvoie, au sens large, à une perte d'emprise de la religion sur la société. Plus précisément, la laïcité française signifie le refus de l'assujettissement du politique au religieux, ou réciproquement, sans qu'il y ait forcément étanchéité totale de l'un et de l'autre. Elle implique la reconnaissance du pluralisme religieux et de la neutralité de l'État vis à vis des Églises »447.

A contrario, cela signifie que qualifier l’Islam de religion d’État aurait pour conséquence la confusion des affaires religieuses et politiques et l’absence de diversité sur le plan religieux.

Or, la confusion des pouvoirs est une des caractéristiques de l’Islam dans sa conception de l’État. Les pouvoirs spirituel et temporel appartiennent, après la mort du Prophète, au Calife448. « Pendant le XIIIe

siècle, l’organisation musulmane de l’État a été toute entière dominée par l’institution du Califat. Le Calife est le chef d’État qui cumule tous les pouvoirs, il est le successeur de Mahomet »449. Il représente, par conséquent, « l’assise sur laquelle reposent les

principes fondamentaux de la religion et l’institution qui met l’ordre dans les affaires de la nation »450.

443 L’Afghanistan, membre originaire, a ratifié la Charte de l’Organisation en 1970 et l’Irak y a adhéré ultérieurement.

444 Article 2 de la Constitution irakienne : le terme « a foundation source » est un compromis entre ceux qui voulaient que l’Islam soit une source du droit, et ceux qui souhaitaient que cette religion soit La source du droit. 445 Article 2 de la Constitution afghane.

446 Article 3 de la Constitution afghane.

447 Conseil d’Etat, Rapport public 2004, Un siècle de laïcité, 5 février 2004, www.conseil- etat.fr/ce/rappor/index_ra_li0402.shtml, consulté le 10 mai 2006.

448 Le Califat est un point de division de la communauté musulmane. En effet, pour les sunnites sa désignation appartient à la communauté par élection, il n’est donc pas héréditaire. Pour les chiite, le pouvoir est réservé aux descendants du Prophète. Lorsque le dernier descendant fut décédé, les chiites adhérèrent à la théorie de l’imam caché. L’imam Al-Sistani représente actuellement, le Prophète, en attendant sa réapparition.

449 MILLIOT (L.) et BLANC (F.P.), op. cit. , p. 25. 450 Ibidem, p. 45.

88 La Constitution provisoire irakienne, du 8 mars 2004, faisait déjà de l’Islam la religion

de l’État451. L’Irak est un des rares pays arabes dans lequel cohabitent des sunnites avec une

forte majorité de chiites imâmites452. En Afghanistan, la Constitution du 4 janvier 2004 n’est

pas la première à consacrer l’Islam comme religion d’État. Toutes les Constitutions afghanes

l’introduisent et certaines précisent même que le rite Hanafite est le courant à suivre453. En

effet, contrairement à la plupart de ses voisins asiatiques, sous influence russe et laïque, l’Afghanistan a toujours eu une population à majorité musulmane. Il y est religion d’État depuis Abdul Rahmân, qui instaure une fonction publique des Oulémas, dont la hiérarchie est administrative et les salaires payés par l’État. On y voit aussi l’application judiciaire de la Charia par plusieurs tribus, en remplacement du droit tribal coutumier. De plus,

l’enseignement religieux est nationalisé, l’État a ouvert des madrasas gouvernementales454.

Le problème qui se pose est que le fonctionnement d’un État islamique est difficilement conciliable avec le fonctionnement démocratique et la protection de certains droits de l’homme. En effet, la démocratie implique la séparation des pouvoirs et la représentativité. Or, le droit islamique impose des règles différentes. Les Constitutions irakienne et afghane sont attachées à la fois à la démocratie, susceptible d’apporter un progrès social, politique, économique et juridique, et à l’Islam qui les enracine dans la tradition et les valeurs de ces deux pays.

Voyons désormais les conséquences que cela peut avoir en matière de démocratie. L’Islam est-il conciliable avec le modèle démocratique ?