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Paragraphe 1 : Les conséquences de l’Islam religion d’État

A. Le principe d’égalité

Malgré la consécration du principe d’égalité, l’Islam, religion d’État, crée une forme de discrimination entre les citoyens. Nous venons de le souligner en matière de reconnaissance du statut personnel, mais ce n’est pas tout.

En premier lieu, il existe une discrimination entre musulmans et non musulmans468.

Par exemple, les non musulmans ne pourront, d’abord, pas accéder au poste de Président en Afghanistan. Légitimité politique et religieuse vont de pair.

« […] la reconnaissance de l’Islam-religion d’État implique le principe du privilège de l’Islam c'est-à-dire un privilège à l’intention des musulmans. Toutefois, le texte dispose également de l’égalité des citoyens quelque soit leur religion, le privilège de l’Islam étant anéanti. Or, la disposition selon laquelle l’Islam est religion d’Etat est en tête du préambule de la Constitution et chapeaute donc le texte tout entier. Autrement dit, le préambule peut être lu comme posant un principe fondamental, les autres dispositions devant en tirer les conséquences juridiques »469.

En second lieu, lorsqu’un rite est privilégié par la Constitution, comme en Afghanistan avec le rite Hanafite, cela crée également une forme de discrimination à l’égard des musulmans de rites différents. Même lorsque ce n’est pas explicite, si les experts en droit musulman siégeant à la Cour suprême ne sont pas représentatifs de tous les courants

465 « Article 39 does not explicitly overturn the 1959 law, but it could very well require changing very significant parts of it by requiring that Iraqis be free in matters of personal status [...] Thus, the draft constitution would seem to allow continuation of the 1959 uniform code of personal status for those who wish to use it [...] but, it is not clear who has the authority to determine content of that law [...] The text refers to the law but says nothing about the courts that apply it [...] If individuals may choose among different codes or laws, what will happen when litigants disagree over the law to be applied? », BROWN (N.J.), op. cit., p. 6.

466 Voir supra, p. 81.

467 Sur le principe d’égalité dans la Constitution afghane, ARCHAMBEAUD (G.), Le principe d’Egalité et la constitution de l’Afghanistan de janvier 2004, l’Harmattan 2005, 182 p.

468 « [L]a reconnaissance de cette liberté religieuse n’équivaut pas à une égalité juridique de confessions. Elle porte forcément la marque de l’inégalité reconnue au statut minoritaire des confessions non musulmanes », DELSENNE (L.), « La Constitution Afghane : entre République islamique et idéal démocratique? », R.D.P. 2005, Tome 5, p. 1374.

91 islamiques existant au sein d’un État, ils pourraient interpréter la Constitution en fonction de leur rite. Les musulmans qui n’appartiennent pas à ce rite, pourraient alors être discriminés.

En troisième lieu, l’introduction du principe d’égalité entre les hommes et les femmes

est étonnante, en Irak et en Afghanistan470, puisque le Coran ne l’admet pas.

« Au niveau du droit musulman classique, l’organisation sociale est celle de la famille patriarcale agnatique consistant en un système de prééminence de la lignée masculine et ayant pour effet d’inférioriser le statut juridique de la femme d’où découle son exclusion de la vie sociale. En Islam, la protection de l’individu n’est pas au centre des systèmes juridiques comme en Occident, mais c’est la famille, en tant que cellule de base de la société qui constitue le sujet essentiel du droit. La femme en est le fondement et sa volonté doit donc s’incliner devant celle du chef de famille : l’homme »471.

Ainsi, comment l’État peut-il à la fois garantir cette égalité et être soumis aux principes de l’Islam ? Cette question est significative de l’influence occidentale. En effet, la prohibition de la discrimination entre hommes et femmes aurait-elle était spontanément introduite par les afghans ou les irakiens, au côté des articles soumettant la loi au respect de l’Islam ? Il semble que non. Le principe d’égalité n’apparaît pas de façon aussi large dans la Déclaration du Caire, sur les droits de l’homme en Islam. Celle-ci mentionne l’égalité entre hommes et femmes, mais précise aussi tôt qu’il s’agit d’une égalité en dignité, en devoir et en

responsabilité472. Cette Déclaration proclame, par conséquent, une égalité restreinte. En effet,

comme le font remarquer certains auteurs, « l’égalité se manifeste, seulement, en dignité, en devoir et en responsabilité mais pas en droit ! »473.

Or, si l’on compare nos deux Constitutions à cette déclaration, on peut noter que leurs dispositions sont ambiguës. La Constitution irakienne mentionne que les irakiens sont égaux en droit, sans discrimination en matière de genre. La Constitution afghane précise que les hommes et les femmes sont égaux en droits et en devoirs, devant la loi. Cependant, aucune ne

mentionnent clairement et simplement qu’hommes et femmes sont égaux474.

Pour ce qui est de la Constitution irakienne, cette ambiguïté a fait l’objet de nombreuses critiques :

« [F]or this reason, the new document has been condemned by critics both inside and outside Iraq as a fundamental setback for a majority of Iraq’s population – namely, its women. According to Isam al-Khafaji, an Iraqi scholar, the document ‘could easily deprive women of their rights’ [...] These criticisms are not without merit, and the ambiguity of the new constitution is a cause for concern. The centrality of Islamic law in the document, however, does not necessarily mean trouble for Iraqi women. In fact, sharia is open to a wide range of

470 Ce principe apparaît à la lecture de l’article 22, alinéa 2 de la Constitution afghane: « The citizens of Afghanistan, man and woman, have equal rights and duties before the law »; et de l’article 14 de la Constitution irakienne : « Iraqis are equal before the law without discrimination based on gender […] ».

471 DELSENNE (L.), op. cit., p. 1373.

472 Déclaration des Droits de l’Homme en Islam, Le Caire 5 août 1990, article 1-a. Pour ce qui est de l’article 6: « La femme est l'égale de l'homme au plan de la dignité humaine. Elle a autant de droit que de devoirs. Elle jouit de sa personnalité civile et de l'autonomie financière, ainsi que du droit de conserver son prénom et son patronyme. La charge d'entretenir la famille et la responsabilité de veiller sur elle incombent au mari ».

473 AL-MIDANI (M.A.), « La Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit musulman », p. 10, www.aidh.org, 2004, consulté le 12 décembre 2005.

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understandings, and across the Islamic world today, progressive Muslims are seeking to reinterpret its rule to accomodate a modern role for women »475.

Or, l’ambiguïté de la nouvelle Constitution tranche avec le passé. En effet, les femmes irakiennes ont pu bénéficier, depuis 1959, des droits les plus étendus au Moyen Orient. L’âge du mariage était fixé à 18 ans, les divorces arbitraires prohibés, la polygamie restreinte et l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’héritage proclamée.

« With the overthrow of Saddam Hussein in March 2003, Shiite leaders quickly made clear that they expected the new Iraq to be an Islamic state [...] In December 2003, a conservative contingent on the U.S. –appointed Iraqi Governing Council (IGC) voted behind closed doors for Resolution 137, which canceled Iraq’s existing family laws and placed such issues under the rule of sharia. [...] although the decree seemed to imply that each Islamic community would be free to impose its own rules on issues such as marriage, divorce, and other important family matters. This ambiguity worried not only women groups, but also those who feared that such an Islamic freedom would exacerbate sectarian tensions. [...] L. Paul Bremer […] ultimately vetoed the IGC’s resolution »476.

Aujourd’hui, les irakiens sont libres de décider. Une majorité d’entre eux est en faveur de l’application du droit islamique et du statut personnel. Cela s’avère dangereux en termes d’égalité. La démocratie implique l’égalité par l’absence de privilège. Cependant, la démocratie c’est aussi « la volonté du peuple par le peuple et pour le peuple ». Ainsi, est-ce démocratique de revenir à l’application du statut personnel ? Est-ce enfin démocratique de refuser à un peuple ce qu’il désire ? Nous ne pouvons ici formuler de réponse tranchée.

Comme l’explique le professeur Brown, les nouvelles Constitutions, irakienne et afghane, ont créé les institutions nécessaires pour protéger les droits de l’homme et les

libertés publiques, tels les Cours suprêmes ou les Commissions des droits de l’homme477.

Cependant, les Cours suprêmes sont notamment composées de juges formés dans des écoles coraniques. Par ailleurs, en Afghanistan, les juges doivent porter serment au nom de Dieu et jurent de soutenir la justice et la vertu en conformité avec les dispositions sacrées de l’Islam,

de la Constitution et des autres lois478. Ainsi, religion et justice sont à nouveau mêlées, il y a

donc de grandes chances pour que les dispositions en matière de droits de l’homme soient interprétées conformément à l’Islam. La seule garantie pour l’égalité entre les hommes et les

femmes demeure dans l’impossible éviction des femmes de la scène politique479. Néanmoins,

rien ne garantit une amélioration de la condition féminine puisque, encore faut-il, que les femmes élues ou nommées y soient favorables et qu’elles soient soutenues par un certain nombre de députés pour former une majorité. Mais, au delà, il faut aussi que les femmes disposent de la qualité de citoyenne. Or, sachant que seulement un à deux pour cent d’entre elles disposent d’une carte d’identité en Afghanistan, il y a peu de chance qu’elles soient inscrites sur les listes électorales, qu’elles accèdent au statut de citoyenne, puis de

représentant du peuple480. D’autre part, avant d’accéder au statut de représentant du peuple, il

faut avoir accès à l’éducation. Or, « en Afghanistan, alors que la nouvelle constitution prévoit

475 COLEMAN (I.), « Women, Islam, and the New Iraq », op. cit., p. 24. 476 Ibidem, p. 28 et 29.

477 Nathan Brown, cité in COLEMAN (I.), « Women, Islam, and the New Iraq », op. cit., p. 31. 478 Article 119 de la Constitution afghane.

479 Articles 83, alinéa 6 et 84, alinéa 5 de la Constitution afghane. 480 Statistique citée par ARCHAMBEAUD (G.), op. cit., p. 84.

93 une éducation libre et gratuite jusqu’au collège inclus, les moyens d’éducation sont dramatiquement inadaptés aux nécessités »481.

Le principe d’égalité est introduit par les deux nouvelles Constitutions. Mais, ce principe, pour ce qui est de l’égalité hommes femmes, n’est pas encré dans les mœurs, ce qui pose une limite. Au fond, une Constitution peut bien poser de nombreux principes très protecteurs pour l’individu, tout ce qui compte sera l’interprétation qui en sera faite. En ce qui concerne l’Afghanistan, la Constitution du 4 janvier 2004 représente une avancée pour le statut juridique de la femme, puisque sous les Talibans, il s’agissait « d’une lecture radicale de l’Islam mêlée à une attitude ancestrale qui refuse toute ouverture vis-à-vis du monde moderne et des changements sociaux et culturels de notre temps »482. Néanmoins, en pratique

la condition de la femme fait l’objet de peu d’évolution. Face à la volonté affirmée par le constituant afghan de transformer le statut de la femme, « la question de fond demeure celle de la reconnaissance de la femme comme un individu juridique autonome, un être humain libre et de plein droit »483. En Irak, hormis le danger de régression pour l’égalité hommes

femmes ; l’invocation de l’égalité entre les citoyens tranche avec la pratique de discrimination

du régime de Saddam Hussein484.