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Fédéralisme ou modèle hybride sous la Constitution du 15 octobre 2005 ?

Paragraphe 1 : La séparation verticale des pouvoirs en Irak

B. Fédéralisme ou modèle hybride sous la Constitution du 15 octobre 2005 ?

Dès le début de la Constitution, l’Irak est qualifié d’État fédéral. Toutefois, il faut noter qu’à la lecture de la cinquième section du texte, la séparation verticale des pouvoirs en Irak répond à deux schémas. En effet, les Conseils provinciaux sont face à deux possibilités, soit ils décident de devenir des régions et ont alors qualité d’autorité fédérale ; soit ils conservent leur qualité de province (ou governorate) et s’appliquent alors à eux les principes

510 Ibidem, p. 176. 511 Ibidem, p. 219.

512 Law of Administration for the State of Iraq for the Transitional Period, March 8, 2004, articles 4, 24 et chapitre 8.

513 Law of Administration for the State of Iraq for the Transitional Period, March 8, 2004, article 53-A.

514 « Les religieux chiites ont proposé un système qui ferait en sorte qu’une province puisse se lier à d’autres provinces pour former une ‘région fédérale’, […] suite à un référendum à majorité simple. […] Les négociateurs chiites ont imaginé ce système pour que les provinces du sud, reposant sur certains des principaux gisements pétroliers de l’Irak, puissent former une ‘super région fédérale’. La partie Kurdes a permis l’insertion de cette disposition parce qu’elle renforcera la prétention des Kurdes sur Kirkuk », JOLICOEUR (P.), « Le fédéralisme en Irak, une solution réaliste ? », op. cit., p. 1.

100 de la décentralisation. L’Irak est, par conséquent, un modèle hybride, qui associe fédéralisme et décentralisation et ce, pour satisfaire l’ensemble des communautés.

Il nous faut donc étudier le système irakien de séparation verticale des pouvoirs (1), avant d’examiner la répartition des compétences (2).

1. Le système irakien

Avant de distinguer autorités fédérées (a) et autorités décentralisées (b), il nous faut

préciser que Bagdad dispose d’un statut spécial. « The governorate of Baghdad »516 est une

Province qui ne pourra se transformer en Région fédérée.

a. Les autorités fédérées

La fédération est organisée, en Irak, autour de deux entités. D’abord, l’État fédéral, siégeant à Bagdad, symbolisant l’unité, est protecteur de l’intérêt de la fédération toute entière ; ensuite les régions. La Constitution n’en reconnaît qu’une seule, la région du

Kurdistan, qui est une autorité fédérée. Cependant, d’autres peuvent être crées517. Toutefois, à

qui appartient le droit de se former en région fédérée ? Cette possibilité est ouverte aux Provinces, après consultation par référendum de leurs populations ou des leurs représentants

au sein des Conseils Provinciaux518. Une fois le choix de se former en autorité fédérée, la

région devra élaborer une Constitution en conformité avec la Constitution fédérale, qui aura

pour objet de définir la structure régionale, ses organes et son fonctionnement519. La

Constitution fédérale est donc muette à ce propos. Cependant, ces entités fonctionneront certainement autour des cours de justice, parlements et gouvernements fédérés.

Ainsi, la formation d’entités fédérées est très libre et aisément praticable.

b. Les autorités décentralisées

Selon la Constitution du 15 octobre 2005, les provinces irakiennes peuvent également choisir de conserver leur statut. Dans cette hypothèse, leurs seront appliqués les principes de

la décentralisation, qui autorisent une large autorité administrative et financière520. Celles-ci

disposent d’un pouvoir exécutif, incarné par le gouverneur, et d’un Conseil de gouvernement, élu, indépendant et détenteur de l’autorité financière au sein de la Province. Tandis que les régions disposent d’une autonomie pour les compétences non-exclusives du gouvernement fédéral, les Provinces ne semblent pas fonctionner ainsi. En effet, le principe de la délégation

de compétence semble privilégié521.

À l’heure actuelle, la majorité des conseils provinciaux ont conservé le modèle décentralisé. Seul le Kurdistan a décidé de se transformer en région et de devenir une autorité fédérée. Cela n’est pas étonnant, puisque les représentants Kurdes étaient les principaux promoteurs du fédéralisme et qu’ils désiraient conserver leur autonomie. Originairement, l’Irak comptait 18 provinces. Cependant, trois entités kurdes se sont réunies en région, le pays

516 Article 124 de la Constitution irakienne. 517 Article 117 de la Constitution irakienne. 518 Article 119 de la Constitution irakienne. 519 Article 120 de la Constitution irakienne. 520 Article 122 (2) de la Constitution irakienne. 521 Article 123 de la Constitution irakienne.

101 est donc composé actuellement de quinze provinces. De plus, une région dans le sud du pays serait en formation.

2. La répartition des compétences entre l’État fédéral et les entités

fédérées

Traditionnellement, les compétences régaliennes de l’État sont exercées au niveau supérieur, par les autorités fédérales. Les autorités fédérées sont détentrices des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dans d’autres matières, telles l’éducation ou la culture, et régissent la vie quotidienne.

Par conséquent, trois types de compétences existent : les compétences fédérales (a), les compétences fédérées (b) et les compétences partagées (c).

a. Les compétences fédérales exclusives

L’État fédéral dispose des compétences régaliennes pour protéger l’existence et l’unité de l’État522.

Ces compétences régaliennes exclusives permettent au pays de parler d’une seule voie lorsqu’il s’agit de matières touchant à la souveraineté. Ainsi, le gouvernement fédéral est le seul à réglementer certains domaines. Par exemple, il élabore et exécute la politique étrangère, notamment par la signature des traités ou accords internationaux et par la nomination des

représentants diplomatiques523. Il élabore et met en oeuvre la politique de sécurité et de

défense et dirige, à ce titre, l’armée et la police nationale524. Il décide en outre des politiques

fiscale, douanière, budgétaire, monétaire, d’asile et d’immigration525.

De plus, il réglemente la politique en matière de ressources naturelles. Il contrôle une politique importante et difficile au Moyen Orient, celle de la distribution de l’eau et le respect

de ses droits en la matière526. D’autre part, il contrôle la production de pétrole et de gaz des

différentes régions et provinces. Il redistribu les bénéfices à travers l’ensemble du pays et assure ainsi, une égalité entre nationaux, car ces ressources appartiennent au peuple irakien527.

Enfin, il exerce certaines compétences plus pratiques528.

Ces compétences exclusives sont donc peu nombreuses, ce qui est étonnant, vu la traditionnelle répartition des compétences dans les pays arabes.

b. Les compétences partagées

La Constitution prévoit le partage de certaines compétences, entre le gouvernement fédéral et les autorités régionales ou provinciales.

522 Article 109 de la Constitution irakienne: « The federal authorities shall preserve the unity, integrity, independence, sovereignty of Iraq, and its federal democratic system ».

523 Article 110 (1) de la Constitution irakienne. 524 Article 110 (2) de la Constitution irakienne.

525 Article 110 (3), (5) et (7) de la Constitution irakienne. 526 Article 110 (8) de la Constitution irakienne.

527 Articles 111 et 112 (1) de la Constitution irakienne.

528 Par exemple, la réglementation des télécommunications, de la poste et du courrier. Il définit aussi les mesures nationales et organise des recensements. Article 110 (6), (4) et (9) de la Constitution irakienne.

102 La première d’entre elles concerne la stratégie de développement de la production de

gaz et de pétrole529 et la politique de répartition des ressources internes en eau530. Il s’agit

ensuite de la mise en œuvre de certains droits de douanes, de la réglementation des sources d’énergie électrique principales et de leurs distributions, de la politique de protection de

l’environnement, de la politique publique de santé, de développement et d’éducation531. Nous

pouvons noter ici que les autorités fédérées et décentralisées participent au même titre à l’exercice de ces compétences partagées. Aucune différence ne les distingue sur ce point.

c. Les compétences fédérées

Les régions peuvent réglementer tout ce qui n’est pas du ressort de l’État fédéral, c'est- à-dire tout ce qui n’entre pas dans le cadre des compétences fédérales et des compétences

partagées532. Elles peuvent aller jusqu’à créer des normes qui seront en conflit avec la

législation fédérale, lorsqu’il s’agit de matières hors du champ des compétences fédérales

exclusives533. Le droit régional prime même sur le droit fédéral, lorsqu’il s’agit des

compétences partagées534. Pour exercer leurs compétences, chacune dispose de revenus issus

de l’État fédéral. Mais, la répartition des revenus tient compte des ressources de la région, des

besoins et du nombre d’habitants, dans ce partage535. En effet, l’État fédéral est garant de

l’égalité entre citoyens des différentes régions.

Plus concrètement, les régions ont à leur charge, leur propre administration et celle de

la vie quotidienne ainsi que la formation d’une force régionale de sécurité536.

Ces compétences propres n’appartiennent qu’aux entités fédérées ; elles permettent donc de distinguer les autorités fédérées des autorités décentralisées.

Ce fonctionnement permet le libre développement des spécificités linguistiques et culturelles et donc la reconnaissance des minorités ; tout en conservant, à travers les compétences fédérales, l’égalité des citoyens. Cependant, il est aussi pourvoyeur de risques.

II. Les risques développés par cette forme juridique

La mise en œuvre du fédéralisme, en Irak, comporte un risque de désintégration de l’État (C), d’autant plus que deux facteurs agissent comme des multiplicateurs, à savoir, la question de la répartition des richesses (B) et le sentiment d’appartenance (A).