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Paragraphe 1 : Une administration provisoire internationalisée

B. La contribution des Etats tiers

Le rôle de ces États est en principe circonscrit par les résolutions du Conseil de sécurité (1). Toutefois, le cas de l’Irak est exceptionnel, laissant libre cours à leur volonté (2).

1. Le principe : un mandat circonscrit, l’exemple de la F.I.A.S.

Plusieurs hypothèses avaient été envisagées à Bonn, pour l’Afghanistan. Cependant, celle d’une force internationale mandatée par le Conseil de sécurité et neutre, parue être la

plus plausible, aux yeux des négociateurs onusiens à la Conférence de Petersberg162. La Force

internationale d’assistance à la sécurité (F.I.A.S.) était « une force robuste et crédible », selon les vœux de Lakhdar Brahimi, de 5000 soldats provenant de dix-neuf États tiers.

Dans ce cadre, plusieurs missions sont confiées par l’Accord de Bonn aux États

tiers163. Le mandat de cette force sera de maintenir la sécurité et de créer une force armée

afghane susceptible de prendre en charge le volet sécuritaire, mais aussi de reconstruire

matériellement les infrastructures164.

Toutefois, les États tiers ne pourront la déployer qu’avec l’autorisation des Nations Unies. L’Organisation intervient ici pour légitimer l’intervention de tiers. Cette autorisation se fait sur demande des protagonistes afghans, présents à la conférence de Petersberg. Elle est donc encrée dans la légalité internationale, mais aussi légitime.

La mise en œuvre de l’Annexe I des accords intervint rapidement. Dès le 20 décembre 2001, par la résolution 1386, le Conseil de sécurité établit la F.I.A.S. Il prend soin, systématiquement, de rappeler l’Accord de Bonn, dans le but de légitimer cette intervention. Il lui attribue, par ailleurs, le mandat prévu à l’Annexe I de l’accord, à savoir la sécurité dans

Kaboul et l’établissement d’une « nouvelle force afghane de défense et de sécurité »165. Dans

ce but, elle devra collaborer avec l’Autorité intérimaire qui dirige l’Afghanistan, mais aussi avec les forces militaires extérieures présentes sur le sol afghan, dans le cadre de l’opération liberté immuable. L’Accord confie cette mission aux États membres des Nations Unies, la

161 BARAN (D.), « L’Irak au tournant du 30 juin 2004 : l’incertitude seule souveraine », RAMSES 2005, Les faces cachées de la mondialisation, DUNOD, p. 108.

162 BACHARDOUST (R.), op. cit., p. 277-283.

163 Accord de Bonn, Annexe I, « Force internationale de sécurité ». 164 Accord de Bonn, Annexe I, article 2, 3 et 4.

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F.I.A.S. évoluera donc sous leur responsabilité166. Les États doivent aussi fournir le matériel,

le personnel et les ressources suffisantes à l’accomplissement de cette mission.

Initialement prévue pour six mois et sous la direction du Royaume Uni, le Conseil la

prorogera, plusieurs fois167. La résolution 1510 viendra à son tour la proroger pour une année

et élargira son mandat à l’extérieur de Kaboul, pour assurer un environnement sûr aux travailleurs humanitaires, de la M.A.N.U.A. et à tous les acteurs de la reconstruction ; ce qui

garantit la mise en œuvre de l’Accord de Bonn168.

De plus, la F.I.A.S. a collaboré à l’établissement d’une nouvelle Armée nationale afghane et d’une Police nationale afghane, qui, à terme, la remplaceront pour maintenir la

sécurité et du maintien de l’ordre169. Leur formation est en cours.

Enfin, dans le cadre de son mandat de restauration, la F.I.A.S. a, en outre, contribué au

déroulement d’élections libres sur le plan national170. Bien que le volet institutionnel de la

reconstruction ait été confié à la M.A.N.U.A., la F.I.A.S. y a indirectement participé. Par l’établissement de la sécurité sur tout le territoire afghan, elle permet au gouvernement central d’étendre son autorité à tout le pays et d’organiser le déroulement d’élections libres.

En dernier lieu, il faut mentionner que les États membres des Nations Unies

contribuent au financement de la reconstruction, en tant que bailleurs de fonds171.

2. L’exception : des compétences majeures pour les États tiers, le

cas de « l’Autorité provisoire de Coalition »

Les États tiers sont une trentaine à être présents militairement sur le territoire irakien. Ainsi, ils se sont attribués deux types de missions, l’une militaire, l’autre politique.

En premier lieu, la responsabilité pour l’administration de la reconstruction irakienne appartient au Département américain de la défense et, plus précisément, à l’Office de Reconstruction et d’Assistance Humanitaire établi en 2003 et initialement dirigé par le général Jay Garner, puis par Paul Bremer. Cette entité établit, le 11 mai 2003, l’Autorité Provisoire de Coalition, qui a par la suite en charge de diriger le pays, avec à sa tête Paul Bremer. Sa mission est décrite ainsi, « Over the course of the last fourteen months the Coalition Provisional Authority has focused on helping Iraqis build four foundational pillars

166 Résolution 1386, Conseil de sécurité, 20 décembre 2001, S/RES/1386 (2001), § 2, 3, 8.

167 D’abord pour une durée de six mois, par la résolution 1413 (Conseil de sécurité, 23 mai 2002, S/RES/1413 (2002), préambule et § 1), et sous commandement de la Turquie. Ensuite, elle sera prorogée pour un an, sous le contrôle conjoint de l’Allemagne et des Pays-Bas par la résolution 1444, (Conseil de sécurité, 27 novembre 2002, S/RES/1444 (2002), préambule et § 1). La résolution 1563 (Conseil de sécurité, 17 septembre 2004, S/RES/1563 (2004), préambule et § 1) prorogera à nouveau son mandat pour douze mois, sous le contrôle de l’Eurocorps. Les résolutions 1623 (Conseil de sécurité, 13 septembre 2005, S/RES/1623 (2005), § 1) et 1659 (Conseil de sécurité, 15 février 2006, S/RES/1659 (2006), § 6), prorogent son mandat pour douze mois, sous le contrôle de l’O.T.A.N.

168 Résolution 1510, Conseil de sécurité, 13 octobre 2003, S/RES/1510 (2003), § 1. 169 Résolution 1536, Conseil de sécurité, 26 mars 2004, S/RES/1536 (2004), § 13.

170 Résolution 1623, Conseil de sécurité, 13 septembre 2005, S/RES/1623 (2005), préambule. 171 Voir infra p. 70

41 for their sovereignty: Security, Essential Services, Economy, Governance »172. Cependant,

les fondements de l’Autorité ne sont pas clairs. En effet, est-elle créée par la Coalition dans

son ensemble173 ou uniquement par le gouvernement américain174 ? L’intérêt dans le cadre de

cette étude est de constater que les forces d’occupation vont elles-mêmes gouverner le pays au moyen de règlements qui ont une valeur obligatoire. Le premier règlement adopté par l’Autorité est très clair à ce propos : elle doit « exercise powers of government temporarily in order to provide for the effective administration of Iraq during the period of transitional administration […] The CPA is vested with all executive, legislative and judicial authority necessary to achieve its objectives »175. De plus, ce règlement ajoute que les lois en vigueur

en Irak depuis le 16 avril 2003 (date de l’intervention armée), le resteront, à moins qu’elles ne soient pas conformes avec les règlements adoptés par l’Autorité. Ceci ouvre la voie à d’éventuelles modifications du système juridique irakien, alors que l’État est sous occupation ; ce qui est, en vertu du Droit International Humanitaire, illégal. En effet, en vertu du droit de l’occupation, la coalition ne peut pas modifier le droit en vigueur. Or, cette violation se prolongera dans le temps, puisque nous le verrons ensuite, la Constitution du 15

octobre 2005 n’abrogera pas les lois antérieures176. L’Autorité reconnaît elle-même que ses

règlements auront un effet direct sur la législation irakienne, qui pourra être modifiée. En pratique, le droit en vigueur dans cet État sera modifié, mais également le régime et la forme juridique de l’État. L’Autorité commence par dissoudre l’armée irakienne ainsi que les services de sécurité, met sur pied une nouvelle police.

Étrangement, les Nations Unies sans avoir reconnu l’attaque de l’Irak et tout en rappelant les principes de souveraineté et de liberté des peuples à s’autodéterminer, confie la gestion de l’Irak à l’Autorité et lui demande de favoriser le bien être de la population. En effet, la résolution 1483, du 22 mai 2003, commence par supprimer les sanctions et la gestion internationalisée du pétrole, puis confie la gestion du pays à l’Autorité.

Plusieurs plans sont élaborés par l’Autorité pour la phase de transition. Finalement,

elle créera un Conseil Intérimaire de Gouvernement (C.I.G.)177, sans autorité et se composant

de personnalités choisies par elle, puis contribuera à la rédaction d’une Constitution provisoire avant de transmettre la souveraineté de l’État à un gouvernement de transition élu. Ce transfert interviendra en juin 2004, soit un peu plus d’un an après la création de l’Autorité.

Toutefois, pour que celui-ci se produise, plusieurs critères devaient être remplis, notamment, l’adoption d’une Constitution intérimaire, le respect de l’état de droit et des droits de l’homme, un système judiciaire juste et effectif, des institutions politiques ouvertes et transparentes et la création d’une société civile active. Ces critères, définis par l’Autorité, imposent le régime démocratique.

172 « Coalition Provisional Authority, Historical Accomplishments », www.cpa-iraq.org/, consulté le 20 avril 2006.

173 Cette appellation apparaît pour la première fois dans la lettre des représentants des États-Unis et de la Grande-Bretagne adressée au Président du Conseil de sécurité le 8 mai 2003.

174 « Coalition Laws and Transition Arrangements during Occupation of Iraq », A.J.I.L., vol. 98, n°3, juillet 2004, pp. 601-606.

175 Coalition Provisional Authority, Regulation Number 1, section 1, 16 mai 2003, CPA/REG/16.05.2003/01. 176 Article 130 de la Constitution irakienne du 15 octobre 2005.

42 Malgré l’existence du C.I.G. et les résolutions ambiguës du Conseil de sécurité lui attribuant la souveraineté de l’État, l’Autorité demeure le seul organe souverain.

Ne pouvons nous pas alors penser que l’État irakien a, dès lors, disparu, étant

dépossédé d’un attribut primordial à l’existence de l’État : la souveraineté ? La

démocratisation n’est donc qu’apparente, de surface. Mais comme le rappelle le Professeur Kohen, « La force est le seul fondement de l’APC, qui s’est auto-érigée en pouvoir supérieur de l’État […] c’est un pouvoir sans fondement juridique »178.

Par conséquent, l’intensification de la lutte contre la présence américaine, ainsi que les

résolutions du Conseil de sécurité encourageant au transfert de souveraineté179 vont accélérer

le processus de transfert. L’accord du 15 novembre 2003 fixe la date de fin de l’occupation au 30 juin 2004. Néanmoins, l’Autorité et avec elle, américains et britanniques, vont peser de tout leur poids dans l’élaboration, d’abord d’une Constitution provisoire, puis dans la désignation d’un gouvernement souverain apte à diriger l’Irak après le 30 juin. L’autodétermination du peuple irakien est donc limitée. La représentativité de ce futur gouvernement s’avère donc très contestable: les conseils municipaux nommés par l’autorité d’occupation désignent une assemblée législative intérimaire, qui permettra la formation d’un gouvernement. Ainsi, l’influence américaine demeure, malgré le transfert de souveraineté.

En second lieu, la Coalition est également présente sur le territoire irakien en tant que force d’occupation. Elle se doit, alors, de respecter le Droit International Humanitaire. Cependant, elle exerce une attribution majeure en matière de souveraineté, qui est le maintien de l’ordre public et de la sécurité. Elle exerce donc les compétences de l’armée et de la police irakienne, après les avoir démantelées. La Coalition participera à leur réhabilitation et laissera ainsi sa marque au plus profond des compétences régaliennes de l’État. Une force de sécurité

avait été autorisée par le Conseil en octobre 2003180. Mais cette résolution est ambiguë, on ne

sait pas si l’O.N.U. demande à ses membres de former une force multinationale ou si elle légalise a posteriori la présence de la Coalition en Irak. En tous les cas, si nous associons les résolutions de l’O.N.U. qui ordonnent un transfert de souveraineté rapide, avec la résolution 1511, on peut penser que la situation des forces de la coalition après le 30 juin 2004 est légale. Par contre, il n’y a aucune chance que, par la résolution 1511, l’O.N.U. ait voulu valider a posteriori l’occupation, vu les débats difficiles qui se sont déroulés au sein du Conseil181.

De plus, malgré le transfert de souveraineté et part l’accord du 15 novembre 2003, le statut des forces d’occupation est recyclé, elles ne sont plus des forces d’occupation, mais des

178 KOHEN (M.), « L’administration actuelle de l’Irak : vers une nouvelle forme de protectorat ? », in BANNELIER (K.), CHRISTAKIS (T.), CORTEN (O.), KLEIN (P.), op. cit., p. 302.

179 Résolution 1511, Conseil de sécurité, 16 octobre 2003, S/RES/1511 (2003).

180 Résolution 1511, Conseil de sécurité, 16 octobre 2003, S/RES/1511 (2003), § 13 : « autorise une force multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Iraq, notamment afin d’assurer les conditions nécessaires à la mise en oeuvre du calendrier et du programme, ainsi que pour contribuer à la sécurité de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq, du Conseil de gouvernement de l’Iraq et des autres institutions de l’administration provisoire iraquienne, et des principaux éléments de l’infrastructure humanitaire et économique ».

181 Sur cette ambiguïté lire STARITA (M.), « L’occupation de l’Irak, le Conseil de Sécurité, le droit de la guerre et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », R.G.D.I.P. 2004, Tome 108/4, pp. 893-902 ; ainsi que KOHEN (M.), « L’administration actuelle de l’Irak : vers une nouvelle forme de protectorat ? », op. cit., p. 302.

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forces multinationales acceptées par le C.I.G.182. Cependant, il n’en demeure pas moins

qu’elles sont sur le territoire après le 30 juin 2004, ce qui porte atteinte à la souveraineté irakienne. La résolution 1546, délégant le mandat de maintient de la paix et de la sécurité en Irak, à la Coalition, sa présence est donc, après le 8 juin 2004 (date de l’adoption de la résolution), légalisée. Mais ceci ne constitue pas une légalisation a posteriori de l’occupation.

Elle n’autorise un tel mandat que pour l’avenir183.

Le 28 juin 2004, l’Autorité Provisoire de Coalition transfère la souveraineté à un gouvernement provisoire irakien et elle est du même coup dissoute.

Ainsi, la collaboration des États tiers est très encadrée pour ce qui est de l’Afghanistan, elle l’est bien moins, pour ne pas dire pas du tout, en Irak. Ces interventions militaires, autorisées ou non par les Nations Unies, portent, en outre, atteinte à la compétence

exclusive de l’État pour garantir la sécurité sur son sol184. Passons désormais à la contribution

de l’O.N.U.