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Le principe : Les Nations Unies, interlocuteur et coordinateur principal

Paragraphe 1 : Une administration provisoire internationalisée

C. Le rôle des Nations Unies

1. Le principe : Les Nations Unies, interlocuteur et coordinateur principal

Nous l’avons d’ores et déjà constaté, les Nations Unies sont indispensables, notamment pour contrôler le rôle confié aux États tiers. En effet, le Conseil de sécurité agissait déjà en acteur principal, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Bonn. Il intervenait alors, dans le but de légitimer l’action des États, qui étaient ensuite libres dans la mise en œuvre des résolutions. Sans l’autorisation du Conseil, les États ne peuvent intervenir.

Toutefois, l’Annexe II de l’Accord de Bonn est spécifiquement consacrée au « rôle de l’Organisation des Nations Unies pendant la période intérimaire ». En premier lieu, elle

réglemente le rôle du Représentant spécial du Secrétaire général186. Il détient la responsabilité

des activités menées par l’O.N.U. en Afghanistan et pourra, à ce titre, assister aux réunions des différents organes de gouvernement et offrir ses bons offices. La résolution 1401 précise

182 Agreement on Political Process, 15 novembre 2003, article 2.

183 Résolution 1546, Conseil de sécurité, 8 juin 2004, S/RES/1546 (2004) § 10, 11, 12.

184 DAILLIER (P.), « Les opérations multinationales consécutives à des conflits armés en vue du rétablissement de la paix », op. cit., p. 285.

185 DAUDET (Y.), « La restauration de l’Etat, nouvelle mission des Nations Unies ? », op. cit., p. 21. 186 Accord de Bonn, Annexe II, articles 1, 2, 4 et 5.

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qu’il planifie et conduit les activités des Nations Unies187. D’autre part, il dirige la

M.A.N.U.A188. En second lieu, l’Annexe II attribue, aux Nations Unies un rôle important :

« L’Organisation des Nations Unies conseillera l’Autorité intérimaire dans ses efforts pour créer un environnement politiquement neutre permettant à la Loya Jirga d’urgence de siéger dans des conditions libres et justes […] [Elle] accordera une attention particulière à la conduite des organes et des départements de l’Administration qui pourraient influencer directement l’organisation et les résultats de la Loya Jirga d’urgence »189.

À nouveau le Conseil de sécurité est venu mettre en œuvre les dispositions de l’Accord. Il crée la M.A.N.U.A. par la résolution 1401, pour une durée initiale de douze

mois190. Le mandat sera prorogé à plusieurs reprises191. Il se fonde, par conséquent, sur

l’Accord de Bonn, sur la résolution 1401 du Conseil de sécurité, ainsi que sur le rapport du

Secrétaire général du 18 mars 2002192. La M.A.N.U.A. se compose de dix-neuf agences dans

le pays (l’administration centrale de Kabul et des antennes régionales), soit, 233

fonctionnaires internationaux et 600 nationaux193.

La M.A.N.U.A. a pour mandat de promouvoir la réconciliation nationale et d’accomplir les missions confiées à l’O.N.U. par l’Accord de Bonn, notamment en matière de droit de l’homme, de droit humanitaire, sur les questions de genre, de reconstruction et d’état de droit. Elle intervient en coordination avec le gouvernement afghan, mais aussi avec les Organisations non gouvernementales et les institutions spécialisées. Son but ultime est de renforcer durablement les institutions nationales et de développer les principes de « bonne gouvernance », en tant qu’instruments susceptibles d’apporter la paix. Elle se veut proche des besoins du pays ainsi que des afghans eux-mêmes. « La M.A.N.U.A. est l’exemple concret d’une mission intégrée conçue pour apporter un appui dans les domaines du processus politique, de la gouvernance et de la consolidation de la paix, tout en répondant aux besoins urgents recensés sur le plan humanitaire et en matière de relèvement »194. Son mandat est

donc très audacieux. Toutefois, que signifie le terme de « bonne gouvernance » ? Cette notion, plutôt relative, n’ouvre-t-elle pas une brèche dans laquelle pourrait s’engouffrer l’influence du modèle de démocratie libérale à l’occidentale ? Il semble que oui, nous l’examinerons en deuxième partie de cette étude.

D’un point de vue pratique, la M.A.N.U.A. sera chargée de venir en aide à l’administration afghane en matière d’organisation des élections, les premières devant se dérouler dans le courant de l’année 2004. Par ailleurs, il lui faut, notamment, concourir à la

187 Résolution 1401, Conseil de sécurité, 28 mars 2002, S/RES/1401 (2002), § 2.

188 Lakhdar Brahimi a d’abord été nommé Représentant spécial du Secrétaire général (R.S.S.G.) pour l’Afghanistan, le 3 octobre 2001 ; ce fut ensuite Jean Arnault, à partir du 11 février 2004 ; puis, Tom Koenigs depuis février 2006. Le représentant spécial à deux adjoints : Ameera Haq et Christopher Alexander.

189 Accord de Bonn, Annexe II, article 3.

190 Résolution 1401, Conseil de sécurité, 28 mars 2002, S/RES/1401 (2002), § 1.

191 La dernière résolution qui a prorogé son mandat est la résolution 1662, Conseil de sécurité, 23 mars 2006, S/RES/1662 (2006), § 3.

192 Secrétaire général des Nations Unies, 18 mars 2002, « The situation in Afghanistan and its implications for international peace and security », S/2002/278.

193 Pour plus d’informations sur la M.A.N.U.A. consulter son site internet, www.unama-afg.org/. 194 Rapport du Secrétaire général sur l’activité de l’Organisation 2002, A/57/1, p. 8, § 37.

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mise en place d’un système judiciaire équitable et transparent, renforcer la légalité195,

réformer l’administration pénitentiaire, asseoir l’état de droit sur l’ensemble du territoire196,

dissoudre les groupes armés illégaux et détruire les stocks d’armes197.

L’aide apportée par la M.A.N.U.A. en matière de renforcement des institutions trouve une bonne illustration dans le cadre de l’organisation des élections, sa première mission. Elle organise donc des opérations d’inscription sur les listes électorales. Au total, 10.5 millions de

votants furent recensés, dont 41% de femmes198.

Concrètement, les élections présidentielles eurent lieu le 9 octobre 2004. 18 candidats dont une femme se présentèrent. Les observateurs nationaux étaient sur place pour contrôler le bon déroulement du vote. Malgré l’insécurité ambiante et un appel au boycott, les électeurs

se rendirent nombreux aux urnes : on dénombre 70% de votants dont 40% de femmes199. Ceci

dénote la volonté de participer des afghans. Le déroulement des élections fut contesté, c’est pourquoi la M.A.N.U.A. établit un panel indépendant composé d’experts internationaux en matière d’élection. Il conclut que les irrégularités n’avaient eu aucun impact sur le résultat des

élections, qui désigne, à 55,4% des électeurs, Hamid Karzaï Président200 ; ce qui est un succès

pour la mission des Nations Unies.

L’unité électorale de la M.A.N.U.A. se charge, d’autre part, de l’organisation des élections législatives et locales. Avant la tenue des élections, le Président prit un décret

approuvant la révision de la loi électorale201. De plus, une Commission des médias, ayant

pour compétence le contrôle de l’utilisation des médias par les candidats, ainsi qu’une Commission indépendante ayant pour objet de traiter les contestations de votes, furent établies. Après avoir été déplacées, les élections législatives (pour la Wolesi Jirga) et locales se déroulèrent le 18 septembre 2005. 6,4 millions d’afghans se déplacèrent. Bien que les élections aient été contestées et que certaines fraudes électorales aient été reconnues, le

Secrétaire général des Nations Unies indiquait en mars 2006 : « The new Lower House reflects

Afghanistan’s political and ethnic diversity, »202. La Meshrano Jirga, quant à elle, (c'est-à-dire, la chambre haute du Parlement) est composée de cinquante cinq membres. Au cours du mois de novembre 2005, les 34 Conseils provinciaux ont élu chacun un membre pour y siéger et dix- sept furent nommés par le Président de la République. Le 19 décembre 2005, le Parlement inaugurait sa première session ; un second succès pour la M.A.N.U.A. en matière électorale.

Enfin, l’intervention des Nations Unies se fait aussi par l’intermédiaire des institutions spécialisées. Celles-ci travaillent en collaboration avec la M.A.N.U.A. Par exemple, le Haut Commissariat aux Réfugiés organise le retour des réfugiés ; le Haut Commissariat aux Droits

195 Résolution 1536, Conseil de sécurité, 26 mars 2004, S/RES/1536 (2004), § 5 et 10. 196 Résolution 1589, Conseil de sécurité, 24 mars 2005, S/RES/1589 (2005), § 9. 197 Résolution 1662, Conseil de sécurité, 23 mars 2006, S/RES/1662 (2006), § 7.

198 La résolution 1471 du Conseil de sécurité, approuve la création, le 8 juillet 2004, d’une unité électorale au sein de la M.A.N.U.A. Résolution 1471, Conseil de sécurité, 28 mars 2003, S/RES/1471 (2003), § 1 et 2. 199 Information accessible sur le site de la M.A.N.U.A. www.unama-afg.org/about/_pa/political_affairs.htm, consulté le 19 avril 2006.

200 Hamid Karzaï était suivie de Yonous Qanooni avec 16,3% des votes, par Haji Mohammad Mohaqeq avec 11,6% des votes et par Abdul Rashid Dostum avec 10% des votes.

201 Electoral law, de la République islamique d’Afghanistan adoptée le 27 mai 2004.

202 Secrétaire général des Nations Unies, 7 mars 2006, « The situation in Afghanistan and its implications for international peace and security », S/2006/154, § 6.

46 de l’Homme a pour mission d’aider la Commission indépendante afghane des droits de

l’homme203. Le Programme des Nations Unies pour le développement (P.N.U.D.), le

Programme alimentaire mondial (P.A.M.), ainsi que le Fond des Nations Unies pour l’enfance (U.N.I.C.E.F.) étaient présents de longue date dans le pays. La contribution du P.N.U.D. s’articule autour de la reconstruction des structures gouvernementales, l’aide aux différentes Commissions créées par l’Accord de Bonn et la reconstruction matérielle permettant le fonctionnement des ministères et donc du gouvernement. Comme l’explique Soheyla Chahkar-Farhang, conseillère spéciale auprès de l’Administrateur du Programme, « la faiblesse des droits et structures est […] l’une des principales causes de la pauvreté et un des plus grands obstacles à la reconstruction »204. Après avoir rappelé la nécessité d’une

reconstruction durable, elle indique, concernant le cas de l’Afghanistan,

« Pour la première fois, il y a eu un effort réel d’intégration de l’appel à l’assistance humanitaire pour les besoins immédiats à des efforts à long terme de redressement et de reconstruction. C’est aussi un exemple unique d’une contribution des Nations Unies à une reconstruction totale de l’État. Une contribution délibérément basée sur […] la participation de la population aux prises de décision et la mise en place dès le début des bases d’une bonne gouvernance »205.

2. Quand le rôle des Nations Unies se trouve cantonné : le cas de