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LA RELATION À L’HISTOIRE

Dans le document Pépite | « Le précaire et le militant » (Page 130-136)

RÉFLEXION SUR LES MÉTHODES

B. LE RAPPORT À D’AUTRES DISCIPLINES

1. LA RELATION À L’HISTOIRE

Pour compléter (ou parfois suppléer) à la méthode ethnographique, j’ai souvent employé dans mon parcours le recours à « l’histoire ». Toutefois, l’expression « recours à l’histoire» prête à confusion, puisqu’elle sert à désigner aussi bien l’intégration à l’analyse sociologique du « contexte historique » et des « héritages du passé », que la relation complexe entretenue par la sociologie avec l’histoire, comme discipline voisine.

De ce point de vue, il est d’ailleurs pertinent de rappeler que dans mon parcours, je n’ai pas fait « vraiment » de l’histoire – ce qui permet d’atténuer, sans toutefois l’évacuer, le problème de légitimité que rencontre un sociologue qui se permet de « travailler » sur le passé. N’est-il pas condamné en effet à se situer toujours en deçà du niveau d’exigence de l’historien ? Dans leur Dictionnaire de sociologie, R. Boudon et F. Bourricaud ont consacré un article au thème : « Histoire et sociologie ». Ils soulignent que l’histoire et la sociologie entretiennent des relations complexes, faites de différences et de ressemblances. Ces auteurs rappellent que dans de nombreux cas, il est difficile de décider avec rigueur si une étude relève de l’une ou l’autre des disciplines. Il est ainsi exagéré de dire que la sociologie serait une science nomothétique, visant à la mise en évidence de lois générales, tandis que l’histoire serait une discipline descriptive. Il est également excessif de prétendre que l’histoire est une science du singulier et la sociologie une science du général. Pourtant, ces auteurs récusent l’attitude de F. Braudel par exemple, qui dénie toute spécificité à la sociologie. La différence entre les disciplines se situe ailleurs, dans leurs objectifs et dans leurs méthodes13.

L’histoire, on le sait, n’a pas le monopole du passé –ni la sociologie, celui du présent. Les exigences méthodologiques ne sont pas les mêmes, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’elles sont moindres en sociologie mais peut être simplement différentes –c’est en tout cas, ce que suggère la remarque de M. Chauvière et B. Duriez, qui notent que leur travail de recherche – témoignage avec des militants du GRMF obtient plus facilement une reconnaissance auprès des historiens, que des sociologues14.

Pourtant, du point de vue de la démarche sociologique, le débat « histoire et sociologie » rejoint me semble-t-il toujours le problème d’appliquer une « méthode légitime », pour intégrer à l’analyse la dimension temporelle, le « passé ».

En effet, le choix d’intégrer une réflexion « historique » dans une analyse sociologique expose le chercheur à des critiques qui prennent place dans le débat sur les frontières de la sociologie –lesquelles sont contestées à la fois par les autres disciplines et à l'intérieur de la sociologie. Le « problème » se poserait de manière différente, si la sociologie était définie comme l'étude du social (au sens large). Mais bien d’autres disciplines peuvent aussi répondre

13 R. Boudon, F. Bourricaud, 1982, Dictionnaire de sociologie, article « Histoire et sociologie », 280.

14GRMF signifie Groupement pour la Recherche sur les Mouvements Familiaux. « C’est une recherche qui a été globalement bien reçue chez les historiens, plus difficilement chez les sociologues » (ce que ces auteurs expliquent car « les résultats obtenus sont « cependant encore trop historiographiques, trop bruts de décoffrage »). Voir M. Chauvière, B. Duriez, dans Ph Fritsch (dir), 2000, Implication et engagement, 160.

à cette définition. Les évènements historiques, les phénomènes psychiques et les mécanismes économiques sont des réalités sociales, inscrites dans un contexte social. C'est précisément parce qu'ils considéraient que les autres sciences sélectionnent certains phénomènes sociaux, et que la sociologie les étudie tous, qu’A. Comte et même E. Durkheim considéraient que la sociologie était au-dessus des autres sciences, qu'elle englobait le savoir des autres sciences. Mais la sociologie est devenue plus modeste –revendiquant plutôt aujourd’hui, une certaine manière d'aborder les phénomènes. Par exemple, on admet généralement que le sociologue ne s'intéresse pas pour eux-mêmes aux phénomènes psychiques, mais il montre que les conceptions que l'on se fait des phénomènes psychiques varient selon le contexte idéologique et culturel. M. Foucault ou E. Goffman ont légitimé l’approche sociologique de la santé mentale, en rappelant que la ligne de partage entre la raison et la folie a changé au cours des siècles.

De ces exemples naît un paradoxe : un des critères qui légitime l’approche sociologique d’un objet, est de montrer sa variabilité dans l’histoire. Le paradoxe toutefois n’est qu’apparent car ce que le sociologue étudie ainsi dans le temps, ce n’est pas un objet particulier dans une situation singulière, mais un fait général (qui ne disparaît pas mais se métamorphose, passant d’une forme à une autre, avec une « structure » fondamentale qui ne varie pas). Or, pour atteindre cette dimension « structurelle », on ne peut pas se contenter de livrer des données brutes, foisonnantes, à la fois multiples, localisées et conjoncturelles.

On rejoint alors les deux traits fondamentaux qui, selon R. Boudon et F. Bourricaud, distinguent la sociologie de l’histoire. Premièrement, la sociologie commence souvent par une question portant sur les raisons d’un phénomène macrosociologique (comme Tocqueville sur l’Ancien Régime et la Révolution). Deuxièmement, la sociologie aspire à la généralité. Or cette ambition peut prendre trois formes : a) la recherche de lois générales de type y = f(x) ; b) la recherche de lois évolutives (qui consiste à dire qu’un système est appelé par une suite d’états déterminables à l’avance) c) la recherche de modèles structurels (avec une explication sous la forme de modèles ). Cette dernière voie, la plus féconde selon les auteurs, consiste non pas à rechercher des régularités au niveau des phénomènes, mais des schémas qui s’appliquent à des réalités pouvant être très différentes. D’où l’idée que, même quand le sociologue analyse un phénomène singulier, son objectif est de l’interpréter comme la réalisation singulière de structures plus générales.

Cette réflexion rejoint alors certaines remarques que j’avais faites à propos de la pratique ethnographique. L’ethnographie, tout comme l’histoire, se situe plus volontiers du côté du « singulier ». De ce point de vue, on pourrait s’interroger sur la pertinence pour un ethnographe, de recourir à l’histoire pour « monter » en généralité et intégrer la dimension structurelle. Pourtant, en combinant matériau ethnographique et réflexion sur une période historique « suffisamment longue », l’ethnographe est obligé de reconstruire autrement l’unité observée pour l’inscrire dans le temps long – option d’autant plus acceptable qu’elle s’inscrit dans le prolongement d’une pratique courante et recommandée de l’ethnographie : observer un phénomène dans la durée. La réflexion historique oblige alors l’ethnographe à se dégager de l’objet (trop) singulier qu’il a observé, et elle permet en effet de « monter » en généralité en suggérant la part, dans le fait observé, de ce qui relève de l’organisation générale de la société, ou des aléas d’une situation particulière. C’est d’ailleurs une méthode utilisée souvent par l’ethnologie, comme l’illustrent par exemple le livre de C. Bernand (1978) ou encore le recueil de textes Urbanisation et enjeux quotidiens (G. Althabe et al., 1993). De ce point de vue, le sociologue a cependant tendance à faire un pas supplémentaire vers la généralité, en construisant des schémas, des modèles pour interpréter le phénomène qu’il étudie, comme la réalisation singulière de structures plus générales.

D’une manière générale, la dimension « historique » en sociologie est souvent développée en recourant à des modèles15. Dans la « sociologie de la précarité », ces schémas s’appliquent , avec les modulations appropriées, à des époques différentes (la société salariale, la question sociale, l’État providence…). Les auteurs de référence ont recours à l’utilisation de ces modèles pour souligner des évolutions, des ruptures avec le passé et caractériser le présent (J. Donzelot sur « l’invention du social » en 1984 ; R. Castel sur « les métamorphoses de la question sociale » en 1995 par exemple). Toutes les théories sur la « nouvelle question sociale » s’inscrivent dans une comparaison implicite avec un modèle de « la » question sociale du XIX e siècle, et les analyses sur la « crise » (de l’État providence, du marché du travail, de la protection sociale…) sont autant d’applications d’un schéma général de la rupture avec un « âge d’or » situé généralement, pour mon objet d’études, aux « Trente Glorieuses »16.

Comme ces auteurs, je n’ai donc pas fait « vraiment » de l’histoire, mais j’ai plutôt essayé, dans une perspective constructiviste, d’aborder les sédimentations de l’histoire et d’enrichir l’analyse d’une comparaison avec le passé – de ce point de vue, j’ai beaucoup utilisé le modèle de la « rupture » des années 1980 comme un moyen d’interpréter mes données de terrain et d’affiner les analyses plus générales sur les évolutions du contexte. Dans mes travaux, je fais ainsi une utilisation « sociologique » de la référence au passé, en recourant à des modèles pour analyser le rôle de « l’État » (État gendarme, État providence, État animateur17), ou encore, les rapports privé/public dans le domaine de l’aide aux pauvres (M. Bresson, A. Chaté, 1994), le traitement social contemporain des personnes sans domicile (M. Bresson, 1997a), les rapports entre instruction, pauvreté et milieu rural (M. Bresson, 1997c), ou les difficultés pour les centres sociaux à concilier les injonctions des pouvoirs publics avec leur tradition historique (M. Bresson, 2002).

La méthode « historique » aide à généraliser l’analyse, au-delà des observations de terrain. Permet-elle cependant de réduire le manque de rigueur (ou « l’empirisme naïf ») dans l’analyse des faits ethnographiques ? La réponse n’est pas évidente, puis qu’on peut m’accuser d’aller d’approximations en approximations (des intuitions du terrain à des modèles trop généraux). Je soutiens pourtant que l’approche historique peut aider à la fiabilité de l’analyse du matériau ethnographique dans les deux opérations que j’ai distinguées : interpréter et induire. Si, selon la définition d’O. Schwartz, des « interprétations sont toujours « non complètement vérifiables », elles peuvent –et doivent – être « évaluées » empiriquement, à partir de leur capacité à rendre compte des matériaux. De ce point de vue, il est toujours intéressant d’approfondir la connaissance des matériaux en intégrant des connaissances « historiques » supplémentaires. Par ailleurs, l’induction élaborée à partir du terrain gagne à être confrontée à un autre point de vue. Enfin, l’hypothèse d’un changement, d’une rupture à un moment donné, fait souvent aussi partie du sens donné par les acteurs eux- mêmes à ce qu’ils vivent. D’où l’intérêt de prendre une distance avec leurs interprétations, de

15 La démarche n’est pas sans rappeler la méthode « idéal typique » de Max Weber. De fait, cet auteur utilise le « type idéal » précisément pour prendre une distance avec la tradition historiste allemande et désigner des constructions élaborées par les sociologues, épurées et « simplifiées », qui ne visent pas à être exactement superposable à la réalité mais plutôt à la rendre intelligible, en sélectionnant des traits significatifs et en énonçant des propositions simples, abstraites. Le type idéal, selon la formule de Boudon et Bourricaud, est « un mixte de relations abstraites et de données historiques et contingentes » (1986, 682). En ce sens, je suis proche de ce qu’on entend ici. Toutefois, l’emploi du terme « idéal type » est aussi souvent associé à d’autres aspects de la théorie weberienne (analyse de l’action sociale, démarche compréhensive…), ce qui n’est pas le cas des « modèles » cités en exemple, ni de ceux qu’on a utilisés dans mes travaux.

16 L’expression, empruntée à J. Fourastié, désigne la période 1945- 1975. Dans la littérature que j’ai rattachée à la « sociologie de la précarité », la « rupture » est datée des « années 1980 » (au moment où les politiques commencent à entériner la montée des exclusions et de la précarité comme un phénomène important, qu’il s’agit de combattre avec des moyens spécifiques).

les interroger, les « vérifier » par d’autres méthodes, puisque les raisonnements des acteurs de terrain font partie du matériau recueilli et doivent aussi être « maîtrisées ».

La référence au passé est donc utile pour différentes raisons: elle peut permettre de prendre une distance avec l’objet trop particulier des observations ethnographiques ; mais aussi de préciser le contexte, de réfléchir sur les héritages, les « sédimentations de l’histoire ». En fonction de ses objectifs, le chercheur a alors différentes manières d’intégrer le passé à son analyse. La réflexion peut s’arrêter à la présentation du « contexte », s’attacher à (re)construire la genèse d’un phénomène ou, de manière classique en sociologie, être utilisée dans une logique comparative (par comparaison dans le temps). Suivant les cas, la manière de raisonner mobilise plus ou moins des modèles et s’approche plus ou moins des exigences de la discipline historique.

Dans mes travaux, j’ai donc aussi intégré « l’histoire » de différentes manières, que l’on trouve aussi par ailleurs dans la littérature sociologique. Je propose de présenter ici, de manière simplifiée, trois types de raisonnements que j’ai mobilisés.

1- La dimension historique intervient souvent dans des raisonnements comparatifs « statiques » : il s’agit de comparer une situation A au temps t et A’ au temps t’ (dans un même lieu : la France en général).

Ce type de raisonnement s’appuie généralement sur une logique binaire simple, avant / après. Son intérêt principal est de permettre de dépasser des fausses évidences : ce qui n’a pas toujours été comme maintenant, ne va donc pas de soi –c’est le point de départ pour de nouvelles interrogations. C’est aussi un raisonnement de base de la « sociologie de la précarité », par exemple à travers l’idée « qu’avant », la logique salariale triomphait, la protection sociale produisait de la sécurité, la croyance au progrès était largement partagée. Alors « qu’aujourd’hui », le salariat est en « crise », on assiste à une montée de l’insécurité civile et sociale, la croyance au « progrès » a laissé place aux incertitudes sur les sens du changement… Le schéma de base est le même pour la version « optimiste », qui insiste au contraire sur le renouveau : par exemple, sur les « nouvelles » modalités de l’intervention sociale. Le danger de tels raisonnements, souvent dénoncé, est d’exagérer les changements : n’est-il pas excessif de considérer que tout est « nouveau », ou « en crise » ? Il ne faut pas sous-estimer la portée heuristique du modèle toutefois. Par ailleurs, un raisonnement qui prend au sérieux l’exigence comparative va aussi mettre en évidence des éléments de continuité entre les deux périodes, des écarts au modèle à chacun des temps t et t’. Et il va s’interroger sur les « simplifications » des modèles.

Dans l’article intitulé « Les rapports privé / public dans le domaine de l’aide aux pauvres »,je pars ainsi d’une typologie logique en trois temps, avec trois modèles, chacun étant considéré comme plus représentatif d’une période historique. L’aide aux pauvres était globalement l’affaire du privé au XIX e siècle, elle reposait sur l’idéal type de la charité. À partir des années 1880, les droits du pauvre deviennent l’affaire de l’État-providence, avec la notion importante d’obligation, et une certaine concurrence qui s’instaure entre le public et le privé. Dans les années 1980, un troisième type émerge, fondé sur le dépassement du clivage privé / public. Les deux secteurs sont présentés comme complémentaires, sans hiérarchie, avec comme modalités concrètes, les dispositifs de contractualisation. Ce schéma toutefois est ensuite nuancé, en rappelant que les deux logiques ont coexisté jusque dans les deux premiers tiers du XX e siècle, avec le maintien d’un réseau associatif important notamment. Dans les années 1980, les limites de la contractualisation sont soulignées par ces associations, qui dénoncent les dangers de la sous-traitance. Les trois logiques ne correspondent pas la descriptions de réalités historiques mais elles sont des outils pour décrypter la réalité et saisir à différents moments, l’importance que joue chaque modèle. Repérer ces logiques et leur combinaison sert à analyser plus efficacement les rivalités d’acteurs et d’idées à l’époque

actuelle. Ainsi, le cas particulier des SDF illustre les ambiguïtés de la complémentarité –qui est recherchée, moins du point de vue des populations (pour qu’aucune ne soit exclue des droits) que du point de vue des actions menées (pour éviter les « cumuls »). Dans ce raisonnement, les modèles « historiques », quoique simplificateurs, sont utilisés pour éclairer des mécanismes réels dans le domaine de l’aide aux pauvres. (M. Bresson, A. Chaté, 1994). 2- Une autre manière d’intégrer « l’histoire » au raisonnement sociologique, consiste à reconstituer la genèse du phénomène étudié – dans un raisonnement qui n’est donc plus « statique », mais « dynamique ». Il s’agit non seulement d’observer que l’on est passé d’une situation A au temps t, à la situation A’ en t’ mais de montrer comment on est passé de l’une à l’autre des situations, en repérant les facteurs de l’évolution.

Dans la sociologie de la précarité, ce type de raisonnement est souvent mené sur le temps long, avec des grandes fresques qui peuvent « courir » sur plusieurs siècles. Avec des différences dans l’objet et dans la manière d’interpréter les évolutions, c’est l’ambition quime semble néanmoins commune à M. Foucault sur la folie, R. Castel sur la société salariale, A. Ehrenberg sur la dépression… C’est aussi dans une certaine mesure, ce qu’on a tenté de faire à propos de l’attitude de l’État à l’égard des SDF (M. Bresson, 1997a) et aussi, la trame de ma contribution au livre collectif Territoires à livre ouvert, La lutte contre l’illettrisme en milieu

rural intitulée « Instruction, pauvreté et milieu rural. Approche socio-historique ». Dans ce

texte en effet, je m’efforce de (re)construire la genèse et les enjeux de la lutte contre l’illettrisme en milieu rural, en France. Avec les questions et les outils du sociologue, je procède alors à une « modélisation » de différentes périodes, en mobilisant comme matériau, des études historiques (notamment le classique de Duby G. et Wallon A., Histoire de la

France rurale). Je montre alors comment, de la fin du Moyen Âge à la Révolution française,

l’instruction émerge dans les campagnes principalement pour des motifs idéologiques et religieux. Le combat pour l’âme enfantine fait rage. Les milieux peu à peu gagnés à la Contre Réforme souhaitent christianiser plus profondément les masses rurales, et contrer la lecture de la bible faite par le protestantisme.

La seconde période que l’on distingue va de la Révolution française à la Première Guerre Mondiale. Elle marque la généralisation de l’instruction, sur fonds d’enjeux politiques liés à l’idéal républicain et à l’aspiration égalitaire. En 1789, malgré les progrès réalisé, la paysannerie restait en majeure partie analphabète. Et pendant un siècle d’évolutions politiques chaotiques, les réalisations restent encore limitées. Dans les années 1880 pourtant, la Troisième République s’installe et c’est pour ancrer l’attachement à ce Régime dans les campagnes que les lois Ferry instaurent l’école laïque, gratuite et obligatoire. Pas plus qu’à la période précédente, la question de l’alphabétisation ne s’inscrit pas alors dans le cadre d’une lutte contre la pauvreté. Et si la pauvreté recule sur la période, c’est moins par les progrès de l’instruction que par l’essor industriel. Néanmoins, l’école participe au décloisonnement des campagnes, à leur intégration à la civilisation urbaine (renforçant l’unité politique de la Nation, mais aussi la dépendance économique du paysan).

De la première guerre mondiale à la fin des années 1970, l’école rurale connaît son apogée, sur fonds d’enjeux économiques et idéologiques. L’alphabétisation des masses rurales est acquise, dès 1914. En revanche, les débats portent sur le degré d’instruction générale souhaitable et la pertinence d’un enseignement agricole post scolaire. L’idéologie agrarienne et l’idéologie moderniste s’affrontent, en particulier à propos de l’exode rural (présenté comme une catastrophe, ou comme une opportunité). Après l’effondrement du régime de Vichy, ce sont les modernistes qui triomphent. L’école cesse d’être le lieu où se perd la vocation paysanne et devient un auxiliaire essentiel de la politique agricole –à la fois pour donner aux enfants de paysans la possibilité de trouver un autre métier et pour former les techniciens nécessaires à la révolution agricole.

Dans les années 1980 enfin, on observe le déclin des écoles rurales (avec la fermeture de

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