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LA PROTECTION SOCIALE, L’ACTION SOCIALE

L’INTERVENTION SOCIALE

A- RÉFLEXION SUR LES CONCEPTS : INTERVENTION SOCIALE, TRAVAIL SOCIAL, PROTECTION SOCIALE, POLITIQUE SOCIALE, RÉGULATION

3. LA PROTECTION SOCIALE, L’ACTION SOCIALE

La notion d’intervention sociale permet d’aborder « le social » sous un autre angle que « professionnel » -même élargi. De fait, on trouve dans la littérature, d’autres manières de raisonner – en particulier, à propos des « institutions de la protection sociale ».

L’institution est un terme polysémique, comme la rappelé récemment F. Dubet (2002, 21). La notion tend, d’une manière générale, à indiquer une réalité sociale dont la durée excède celle des membres qui la font exister. Dans la sociologie durkheimienne, les institutions prennent le sens de réalités déjà là, contraignantes –cependant, elles peuvent évoluer. Ici, on admet que les institutions de protection sociale font référence à des modèles abstraits de solidarité, mais qu’elles ont aussi des modes concrets de fonctionnement, (éventuellement) en « crise »9. De plus, dans une perspective constructiviste, on admet qu’elles ont été « construites » et que, par leur présence, elles contribuent à construire la réalité sociale.

Il est possible et même, assez fréquent de définir le « social » au sens restreint par les institutions de la protection sociale. C’est d’une certaine manière l’approche de J. Donzelot quand il évoque « l’invention du social ». L’auteur en effet considère que le social émerge quand l’État républicain met en place progressivement en France l’Assistance publique d’abord, puis le système assurantiel. Dans le vocabulaire des juristes, l’Assistance publique est devenue Aide sociale (dite aussi aide sociale légale, ou obligatoire) en 1953. Les assurances sociales ont donné lieu à la Sécurité sociale en 1945-46 (avec ses trois branches : la famille, la maladie, la vieillesse, auxquelles s’ajoute à la fin des années 1960, en dehors de la Sécurité sociale mais avec une prise en charge sur le même modèle assurantiel, le chômage). L’Action sociale, (mot générique et ambigu) correspond à l’aide sociale facultative, et le mot avec une majuscule désigne une des institutions de la Protection sociale, distincte à la fois des Assurances sociales et de l’Aide sociale obligatoire10. La protection sociale, ainsi définie, obéit à une triple logique : l’assurance pour ceux qui travaillent ;

9 Je suis en ce sens, assez proche de la définition proposée par F. Dubet, à partir de la notion de « programme institutionnel », produisant la socialisation par intériorisation de valeurs et de principes (F. Dubet, 2002, 23). Pour ma part, j’insisterai moins sur les processus de socialisation que sur les « logiques » internes des institutions, et les modèles de solidarité que chacune affiche comme vocation d’instituer.

l’assistance pour ceux qui sont dans l’incapacité de travailler ; l’action sociale comme projet d’intervention sur la société (même si les frontières sont souvent floues dans la réalité). Avec une approche similaire, M. Autès analyse que l’action sociale est au confluent de la logique d’assurance et d’assistance –: elle ne s’incarne dans aucun dispositif généraliste, ne relève d’aucune gestion centralisée ou paritaire : d’un côté elle s’occupe « des restes », des laissés pour compte de la croissance, en cherchant à échapper à des strictes logiques de l’assistance ; de l’autre elle promeut des initiatives nouvelles, des actions de promotion des individus et des groupes, des projets éducatifs et émancipateurs11.

Le point de vue « institutionnel » permet d’aborder d’autres aspects de l’intervention sociale, peu ou mal pris en compte avec le point de vue du champ professionnel : notamment la question des « logiques » et du système de prise en charge des « risques » (ou des « problèmes » sociaux) 12. La réflexion sur les trois institutions permet de rappeler que l’immense majorité des « dépenses sociales » ne concerne pas le « travail social » -les cotisations sont gérées par un système paritaire –les partenaires sociaux.

Mais le « social » ne s’arrête pas non plus aux dépenses sociales. Ainsi M. Autès, après avoir défini le social comme « l’articulation entre l’économie de marché et le gouvernement démocratique », écrit qu’il repose sur deux étages : le droit du travail et la protection sociale (M. Autès, 1999). C’est dire que la protection sociale ne constitue qu’un des «étages » du social.

Au total, la notion de protection sociale me semble renvoyer à un ensemble d’institutions, qui contribue à structurer le « social » mais qui ne le définit pas tout entier. L’approche par l’intervention sociale permet d’étudier les actions qui sont menées aussi bien dans le cadre du champ professionnel élargi, que dans celui de ce champ institutionnel –mais il faut tenir compte aussi d’autres éléments et en particulier, intégrer la dimension « politique ».

4. LA POLITIQUE SOCIALE 13

Les économistes J. C. Ray, J-M Dupuis et B. Gazier14, pour préciser le contenu des politiques sociales, partent de la définition extensive de J. Fournier et N. Questiaux (1984): « les questions sociales ne se réduisent pas au problème du travail et de la Sécurité sociale. Elles englobent la plupart des aspects des conditions d’existence des individus ». Ils caractérisent alors le contenu des politiques sociales en distinguant trois domaines : 1) les relations professionnelles et l'emploi : c'est-à-dire les salaires, les conditions de travail des salariés...2) la protection sociale, c'est-à-dire la protection de l'individu contre certains risques : les risques liés au droit au travail, au droit à la santé, ou au droit à la sécurité matérielle 3) les politiques sectorielles, qui visent les conditions d'existence des individus, indépendamment d'une activité professionnelle et de la protection à l'égard des risques collectifs : l'éducation, les

11 M. Autès en déduit que le travail social, auquel conduit l’action sociale, obéit à une structure double, produit à la fois l’assignation à un ordre social et l’émancipation démocratique des individus et des groupes –d’où l’idée de « paradoxe » constitutif du travail social (M. Autès, 1999, Les paradoxes du travail social).

12 J’ai préféré ici la notion de « problème social » à celle de « risque social », qui me semble moins « neutre » car plus souvent référée à la logique assurantielle (assurances sociales voire privées), par exemple chez P. Rosanvallon (1995). Ce terme est toutefois aussi employé dans la littérature dans un sens large, voir par exemple D. Le Breton, 1995, Sociologie du risque.

13 Par convention, je propose d’employer ici le singulier pour distinguer la dimension politique des dimensions professionnel et institutionnelle notamment. J’emploierai toutefois plus loin le pluriel pour suggérer que « les » politiques ne s’intègrent pas nécessairement dans un schéma cohérent. De fait, il est facile de pointer des logiques diverses, y compris dans les actions de « l’État » -par exemple, en différenciant les ministères, ou les mesures qui relèvent d’une logique de réduction des dépenses et celles qui visent à améliorer l’accès aux droits…

14 La politique sociale est loin d’être un sujet réservé pour la sociologie. C’est au contraire un thème où elle rencontre toujours les autres disciplines, notamment l’économie, la politique, l’histoire.

loisirs, le logement. Ils précisent que les deux premiers domaines relèvent de la conception traditionnelle des politiques sociales, celles des ministères sociaux, la troisième relevant d’une définition « large » qui mobilise d’autres ministères. Et ils ajoutent que « bien entendu, certaines politiques traversent ces trois domaines : c'est le cas par exemple des politiques de lutte contre la pauvreté, qui exigent une action concertée entre partenaires appartenant à chacun des trois domaines ». (J. C. Ray, J-M Dupuis et B. Gazier 1988, 10-13).

De cette définition, je propose de retenir plusieurs éléments. D’abord, je peux noter que le domaine concerné comprend le travail qui correspond historiquement, au premier domaine dans lequel l’État est intervenu, pour réguler les effets jugés négatifs du libre jeu du marché (avec par exemple, les limitations au travail des enfants en 1841). En effet, le terme de

politique sociale renvoie toujours à l’intervention des pouvoirs publics - et en premier lieu, de

l’État. C’est ce qui, à mon sens, le différencie du travail social (champ professionnel) et de la protection sociale (qu’on a associée précédemment à une approche « institutionnelle »). Certes, la définition de J-C Ray, J-M. Dupuis et B. Gazier intègre précisément la protection sociale. C’est un sujet sensible puisque la Sécurité sociale et l’Action sociale associative ne sont pas gérées par l’État (central), mais respectivement, par les « partenaires sociaux » et par des « adhérents » réunis en conseil d’administration. Mais les pouvoirs publics ont contribué à fonder, organiser et financer la Sécurité sociale et bien peu d’associations du « social » ne bénéficient pas de subventions publiques ; les pouvoirs publics interviennent largement aujourd’hui, par l’action politique, dans la régulation interne des institutions. Quant à l’Aide sociale, c’est un service public, que la décentralisation a transféré aux Départements. Elle est de ce point de vue, un outil des politiques publiques.

Je propose donc de définir la politique sociale comme l'ensemble des pratiques, faits, institutions du gouvernement d'un Etat dans le domaine du « social ». Ce- disant, j’adopte une définition large de l'Etat, qui englobe les ministères centraux, les collectivités locales (voire la Sécurité sociale, assimilée à une « administration publique »). En filigrane, on trouve la référence, d’une manière large, à tout ce qu’on appelle parfois la « puissance publique », et peut-être aussi à « l’État providence » (M. Bresson, 2002, 8-9). Toutefois il convient à mon sens, d’apporter une restriction par rapport au domaine large esquissé : les politiques du logement, du travail, de l’éducation… ne sont pas d’abord des politiques « sociales » -elles peuvent le devenir quand elles prennent comme objet la question des exclus, de la précarité, des problèmes sociaux. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui fait d’emblée de la politique de la Ville, une politique « sociale » à part entière - même quand elle est organisée, à un moment de son histoire, sous la forme d’une délégation interministérielle (J. Donzelot, Ph Estèbe, 1994).

Par rapport aux notions de travail social et de protection sociale, le terme « politique(s) sociale(s)» embrasse un domaine potentiellement plus large mais surtout, propose un point de vue différent qui ramène à l’action de l’État et des autres acteurs politiques (on aura compris qu’on parle ici de « la » politique, pas « du » politique). L’analyse des politiques sociales et de leurs effets est essentielle, elle permet d’aborder notamment les réformes politiques et les mutations (ou la « crise ») de l’État providence. Par conséquent, l’intervention sociale au sens où je propose de la définir, englobe la (les) politique(s) sociale(s). C’est-à-dire que l’intervention sociale peut être abordée sous un angle professionnel, institutionnel ou politique15.

15 En revanche, si les politiques de l’« l’État » relèvent selon ma définition, de l’intervention sociale, on ne dira pas que l’État est un « intervenant social », parce que ce dernier terme s’applique mal aux entités abstraites, plurielles (comme l’État, la Sécurité sociale ou le Travail social). Je garderai donc le terme « intervenant social » pour des acteurs concrets, qui s’incarnent dans des personnes, avec des motivations et des raisons d’agir. Voir supra.

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