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L’INTERVENANT SOCIAL SUBIT LA PRÉCARITÉ

Dans le document Pépite | « Le précaire et le militant » (Page 101-103)

LE MILITANT ET LE PRÉCAIRE

B- LES PARADOXES DE LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ

1- L’INTERVENANT SOCIAL SUBIT LA PRÉCARITÉ

De nombreux auteurs comme J. Donzelot (1984), R. Castel (1995), P. Rosanvallon (1995) mais aussi par exemple N. Murard (1997), B. Friot (1997), B. Appay, A. Thébaud Mony (1997) ou C. Bec et G. Procacci, (2003) s’accordent à considérer que la mise en cause du système de protections sociales accompagne le recul de la forme classique de l'emploi salarié. Ainsi comme l’on a rappelé (chapitre 2), la protection sociale est présentée à la fois comme une entité elle-même « victime » des processus de précarisation, et comme un cadre intégrateur de plus qui se défait, contribuant à précariser les populations.

Les intervenants sociaux sont alors confrontés à la précarité des structures dans lesquelles ils exercent leur activité14.

La précarité des structures

Il ne s’agit pas ici de revenir sur la crise des institutions de protection sociale, que j’ai développée par ailleurs ; mais plutôt, de présenter des analyses menées à partir d’exemples de terrain, et de considérer la précarité telle qu’elle est vécue par les intervenants sociaux.

Dans le monde du social associatif en particulier, la précarité au sens de l’incertitude du lendemain semble avoir toujours existé pour les petites structures fondées sur le volontariat. Dans mes travaux, je montre toutefois la forme extrême qu’elle peut revêtir aujourd’hui, avec l’exemple d’une petite association de quartier du 18 ème arrondissement de Paris, agréée pour « domicilier » les personnes sans domicile fixe. J’ai présenté l’histoire de cette petite association au début des années 1990 et les multiples problèmes qu’elle a rencontrés pour sa survie : problèmes de locaux, déménagements successifs, débordement des bénévoles devant l’ampleur de la tâche à accomplir, menaces de fermeture de la part de l’administration qui pourtant ne prévoyait d’assurer aucun relais pour garantir le service d’élection de domicile et de courrier, prévu dans la loi sur le RMI... Entre fin 1991 et fin 1993, cette petite association dans laquelle j’ai mené une observation participante comme bénévole a déménagé trois fois, après à chaque fois de longs mois d'attente et d'angoisse, avant de connaître à chaque fois à la dernière minute la décision de la municipalité de lui trouver un local (toujours dans des bâtiments voués à une destruction rapide). Cette association a manqué de disparaître aussi au décès de son Président fondateur, avant de trouver un moyen de poursuivre dans le giron d’une autre association plus importante.

La contrainte économique

La précarité des structures est généralement expliquée par la « contrainte économique ». Le terme toutefois est trompeur, car il masque la spécificité de la situation aujourd’hui, la ramenant à des problèmes de financements insuffisants (qui ne dateraient pas d’aujourd’hui). Les centres sociaux se définissent comme des équipements de quartier polyvalents, intergénérationnels, qui s'adressent à tout public sur un territoire d'implantation. Dans le Nord, les centres sociaux sont particulièrement nombreux (117 en mars 2000), ils sont plus souvent qu'ailleurs sous forme associative (à plus de 80 %) et ils sont massivement regroupés dans une Fédération départementale et régionale qui constitue une composante importante de la

14 Il faut ajouter, pour nombre d’intervenants sociaux, leur propre précarité – j’y reviens plus loin, à propos de la gestion du personnel dans les centres sociaux et à propos de la frontière incertaine entre le militant et le précaire. Voir Première partie, chapitre 4, B- 3 et C-2.

Fédération nationale. La grande hétérogénéité de taille, de moyens et la diversité des services proposés sont revendiquées comme un moyen de s'adapter aux réalités du terrain. Or, la contrainte de financement est un élément incontournable de la vie des centres sociaux depuis leur origine (Durand, 1996). Mais dans le contexte actuel, elle prend des formes nouvelles. Bien qu’il s’agisse de structures plus stables, mieux encadrées, recevant régulièrement des subventions publiques et soutenues par une puissante Fédération nationale, les centres sociaux en effet sont concernés par les processus de précarisation. Concrètement, les centres sociaux bénéficient depuis 1953 d’un soutien public structurel, accordé par la CNAF au titre de “ l’animation globale ”. Cet organisme finance de cette manière des postes (de directeur, de secrétaire…), à hauteur d’un certain plafond. C’est un financement stable que bien des structures comparables envient aux centres sociaux, par exemple les maisons de quartier (qui essaient souvent d’obtenir le double label). Dans le Nord, où je les ai étudiés plus spécifiquement, les centres sociaux bénéficient en outre d’une tradition historique d’implantation, liée à l’implication du patronat “ social ” au XIX e siècle. Je compte 130 centres sociaux au début des années 2000 (seul les Bouches-du-Rhône dépassent aussi la centaine, les autres sont loin derrière). De surcroît, la Fédération des centres sociaux du Nord a obtenu un soutien important du Conseil général, qui finance depuis 1995 une partie de l’animation globale, et des postes d’Animateurs d’Insertion et de Lutte contre l’Exclusion (AILE). En mars 2000 un nouveau contrat de 7 ans a été signé.

Malgré ce soutien "structurel", exceptionnel en France, les directeurs et directrices des centres sociaux du Nord, dans les entretiens, dénoncent tous un problème de moyens. Or, plus qu’un manque de financements, c’est leur caractère incertain qui est dénoncé. Les relations avec l’État se sont profondément transformées, réduisant les financements structurels, « stables ». En effet, depuis les années 1980, l'aide au fonctionnement de l'État a été supprimée. Le plafond de la CNAF a été très peu revalorisé. La décision d’agrément relève désormais de la caisse locale (la CAF) et elle se fonde sur un projet élaboré pour quatre ans. La part des usagers a tendance à diminuer (conséquence logique de l’accueil des populations en « précarité sociale »). Pour équilibrer leur budget avec des financements complémentaires, les centres sociaux locaux doivent déposer des projets d'actions auprès de financeurs multiples : Municipalité, FAS... La part de financements stables baisse donc dans le budget des centres sociaux, au profit de financements contractuels, aléatoires.

Selon les chiffres donnés par la Fédération des centres sociaux du Nord pour 1997, les communes sont le premier financeur avec une subvention moyenne qui couvre 28 % des produits de l'exercice. La CNAF existe depuis 1945 ; depuis cette date elle a reconnu les centres sociaux comme vecteurs privilégiés de sa politique familiale. Elle leur donne "l'agrément" centre social qui ouvre automatiquement droit à un financement "animation globale". Les CAF locales contribuent en fonction de leur propre politique, sur des prestations de service. Au total, en 1997, la CNAF et les CAF couvrent un quart des produits (26 %). Trois autres financeurs couvrent environ 10 % des produits chacun : l’État central (à travers les « emplois aidés » principalement), les usagers des centres sociaux (dont la contribution tend à diminuer), le département enfin, dont l’importance grandit au contraire, apporte des financements principalement sur projets, en particulier dans le cadre de la politique pour le RMI (beaucoup de centres sociaux sont opérateurs d’insertion) ; il finance aussi des actions de politique sectorielle notamment ceux du secteur jeunesse : prévention, insertion, intégration. Toutefois dans le Nord, le Conseil général a signé en 1995 avec la Fédération des centres sociaux un accord-cadre prévoyant de financer une part de "l'animation globale" et des "postes B" (aujourd’hui postes d’Animateur d’Insertion et de Lutte contre l’Exclusion AILE). Cette évolution fait du Conseil général du Nord un des deux financeurs "structurels "des centres sociaux, avec les CNAF - CAF. Les autres financeurs sont moins importants : par

exemple le FAS (Fonds d’action sociale) représente environ 2 % des produits de l’exercice 1997.

La multiplicité des participations financières suggère les difficultés que rencontre un centre social pour faire son budget. Cette contrainte spécifique tend à avoir des répercussions sur les orientations et les pratiques des centres –elle peut en particulier, les amener à développer une spécialisation dans la lutte contre les précarités, dans le cadre des missions définies par les pouvoirs publics. Cette spécialisation n’est toutefois pas toujours vraiment voulue, ce qui complique encore la relation des intervenants aux publics précaires.

2. LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ, UNE SPÉCIALISATION MAL ASSUMÉE ?

Dans le document Pépite | « Le précaire et le militant » (Page 101-103)

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