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UNE MODALITÉ DE PRISE EN CHARGE DES « PROBLÈMES »

Dans le document Pépite | « Le précaire et le militant » (Page 187-189)

RÉFLEXION SUR LES MÉTHODES

A- FORMES ET ENJEUX DE LA MÉDICALISATION

2) UNE MODALITÉ DE PRISE EN CHARGE DES « PROBLÈMES »

Le cœur de la médicalisation classique, selon la formule d’Olivier Faure, est l’alliance entre médecine et pouvoirs publics (sachant que cet auteur tend à insister sur la fragilité de cette alliance) (1998, 60-61). C’est sur elle pourtant que repose notre système de santé, suivant une double logique institutionnelle et idéologique : un appareil sanitaire fondé sur l’État social ; et la vision selon laquelle la santé est l’affaire des médecins 5. La « médicalisation » en ce sens serait donc la montée en puissance d’une modalité de prise en charge des « problèmes » garantie par l’État, mise en œuvre par un corps professionnel (celui des médecins). Dans l’histoire longue cependant, cette alliance a pu prendre des formes différentes : ainsi la santé publique s’est initialement développée dans les villes ; ensuite est venue la période de l’État hygiéniste puis la période de l’État social. La question, encore ouverte, est alors de savoir si on n’assisterait pas aujourd’hui à une re-localisation des politiques de santé publique, à travers notamment, la (ré ?)appropriation de certains « problèmes de santé » par l’aide sociale (assurée par le département) ou par des interventions d’action sociale (auxquelles les communes peuvent procéder).

Si cette question nécessiterait des recherches complémentaires, je ferai cependant l’hypothèse, d’après mes travaux sur le « social », que « l’Etat social » est toujours là. La prise en charge des problèmes de santé par la Sécurité sociale n’est pas en recul (comme le suggère l’évolution des dépenses de la branche « santé »). Surtout, elle est une référence voire, bien souvent, un objectif à atteindre (l’intégration à la couverture socialisée étant assimilée à une reconnaissance sociale du « problème »). Par ailleurs, la garantie du remboursement par la sécurité sociale est inséparable de l’accès d’une partie croissante de la population à la médecine officielle pour tout ce qui touche à la santé (comme le rappelle Olivier Faure, 1998, p 57). D’une part, la prise en charge de la visite facilite le recours au médecin ; d’autre part, seul un « certificat médical » permet le remboursement des médicaments, ou le paiement des journées non travaillées.

Non seulement la forme de prise en charge par les caisses de sécurité sociale ne recule pas mais il semblerait même qu’elle s’étend, à des problèmes qui n’étaient pas d’abord définis comme des problèmes de santé (mais plutôt, comme des problèmes « sociaux »). C’est notamment, ce que suggèrent les analyses de Numa Murard sur la manière dont le chômage a été absorbé par notre système de protection sociale : ainsi, les dépenses de la branche « chômage » ont très peu augmenté sur la période 1981-1995 (entre 6 à 7%), alors que le

5 L’idée est géalement formulée en des termes proches par S. Clément, M. Druhle, J. Mantovani et M. Membrado, 1998, « La santé et la question sociale à l’épreuve de la ville. Mobilisation urbaine et précarité à Toulouse » dans FASSIN Didier (dir.), Les figures urbaines de la santé publique, Enquête sur des expériences

nombre de chômeurs doublait. Mais selon cet auteur, « les chômeurs n’ont pas seulement été réduits à la portion la plus congrue mais éclatés en autant de statuts et de positions différentes qu’il y a de catégories dans le système de protection sociale » : de ce point de vue, la maladie, (avec la vieillesse, la famille), est une des manières par lesquelles l’État providence a réussi à « encoder » le chômage massif des années 1980 (N. Murard, 1997, 153).

Cette analyse rejoint l’interprétation de la médicalisation comme extension du champ de compétence de la médecine. Pour la santé mentale, cette idée pourrait être approfondie à partir notamment de ce que Marcel Jaeger appelle « la médicalisation psychiatrique de la peine à vivre » (M. Jaeger, 1998). La réponse médicale apparaît en effet dans ce champ comme une des réponses possibles à des besoins larges, autrefois pris en charge par des soutiens de proximité. Mais l’interprétation de la « médicalisation » doit tenir compte du fait que l’usager dicte souvent sa propre exigence au médecin – à propos des médicaments psychotropes notamment (comme le montre Édouard Zarifian, 1996). Dès lors, l’élargissement des problèmes pris en charge par les caisses de sécurité sociale et l’intervention des usagers dans la définition du traitement posent la question de la spécificité « médicale » de problèmes qui par ailleurs, sont aussi traités par l’aide sociale et l’action sociale. Aujourd’hui, le traitement social du chômage comme celui des troubles mentaux se fait souvent par l’Allocation Adulte Handicapé, ou par le RMI. Donc, d’une part, la santé n’est pas seulement prise en charge par la branche santé de la Sécurité sociale ; d’autre part, il n’y a peut-être pas que la santé qui soit prise en charge par cette branche. La porosité des frontières assurance / assistance/action sociale et celle de leurs logiques de prise en charge est une des manières de ré-interroger le thème de la santé (en particulier, de la santé mentale), à propos de son oscillation entre le « médical » et le « social ».

Y a –t-il oscillation entre les deux, ou n’est-ce pas ces champs qui sont en reconstruction ? Du côté du social, la loi relative à la lutte contre les exclusions demande d’élaborer des programmes régionaux de santé (PRS) avec obligatoirement, un volet précarité (les PRAPS, programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins ». Par exemple, dans le PRAPS Nord Pas-de-Calais, la « souffrance psychique » est un des axes retenus (M. Autès, M. Bresson, 2001). Mais on trouve aussi ailleurs, par exemple en région parisienne, d’autres problématiques (comme les dépressions, le mal être, les violences, les conduites à risques ou la consommation de produits psychoactifs) qui contribuent à faire sortir le champ de la santé mentale du « tropisme médical, notamment psychiatrique »6. D’autres expériences ont été menées un peu partout en France, par exemple à Toulouse (S. Clément, M. Druhle, 1998). Or, toutes ces travaux soulignent, souvent pour le déplorer, une des caractéristiques des actions menées dans le cadre des PRS et surtout des PRAPS, à savoir, la présence souvent symbolique (voire l’absence) de psychiatres (remplacés par des médecins généralistes ou souvent aussi, par des psychologues, voire, des travailleurs sociaux).

Fabrice Dhume (1997) invite à croiser les analyses qui partent du champ du « social », (par exemple, sur les dispositifs mis en place dans le cadre du RMI, mais on peut y adjoindre, les PRAPS, la politique de la ville) avec d’autres recherches parties « du point de vue médical » (c’est-à-dire principalement psychiatrique, dans le champ de la santé mentale ; mais on peut aussi ajouter la médecine générale, qui est en « première ligne » et prescrit aussi des psychotropes). Les recherches collectives auxquelles je participe actuellement visent à étudier les enjeux professionnels, avec la question des places respectives des médecins, des psychiatres, des autres professions de santé, et des travailleurs sociaux notamment, ainsi que leurs coopérations, leurs cloisonnements (L. Demailly dir, 2004, recherche en cours). Ces enjeux professionnels se croisent avec des enjeux institutionnels : réformes de la psychiatrie,

6 La formule est empruntée à l’introduction du livre dirigé par M . Joubert, 2003, Santé mentale, ville et

violences, p 8. L’ouvrage analyse plusieurs actions de santé conduites dans le cadre des PRAPS dans le champ

réforme de l’action publique, place des usagers, loi sur le handicap psychique… Dans le champ de la santé mentale, peu de travaux croisent l’ensemble de ces dimensions –qui sont cependant liées. Ainsi les débats actuels autour de l’amendement Accoyer, qui vise à « remettre de l’ordre » dans le champ des psychothérapies, pourrait être aussi une manière de

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