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L’ÉVOLUTION DU NOMBRE DE MÉDECINS

Dans le document Pépite | « Le précaire et le militant » (Page 196-200)

RÉFLEXION SUR LES MÉTHODES

B- L’ENVERS DE LA MÉDICALISATION

4) L’ÉVOLUTION DU NOMBRE DE MÉDECINS

La médicalisation telle qu’on la définit n’est pas que l’affaire des médecins mais justement, on peut penser que c’est là aussi que réside un des enjeux des évolutions en cours : peut-on envisager, et comment, qu’une « médicalisation » progresse sans eux (ou quelle est leur place dans les processus observés ) ?

D’après une étude sur la démographie médicale à l’horizon 2020, publiée en juin 2002 par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique du ministère de la Santé, de la famille et des personnes handicapées), le nombre de médecins pourrait baisser de 24 % d’ici 2020. Dans le même temps, la population devrait augmenter de 6 %. La densité médicale retrouverait alors un niveau proche de celui de 1984. La tendance qui a vu le

nombre de médecins en activité par habitant augmenter constamment depuis 20 ans (+35 % depuis 1980) serait donc en passe de s’inverser11.

Pour la psychiatrie, l’évolution devrait également être en baisse. A la Question parlementaire

N° 1743, posée par M. Morisset ( Union pour un Mouvement Populaire - Deux-Sèvres ) le

texte de la réponse publiée au Journal Officiel le 02/12/2002 rappelle ainsi que les psychiatres exercent l'une des spécialités médicales qui ont bénéficié de la forte augmentation des spécialistes : les effectifs sont passés de 8 418 au 1er janvier 1984 à 13 254 au 1er janvier 2000, soit une augmentation d'un peu plus de 57 % en 16 ans. Mais les effets du numerus clausus, relativement bas jusqu'en 1998 (3 583 postes), et les ajustements techniques entre spécialistes et omnipraticiens vont faire baisser les effectifs des psychiatres à 12 575 en 2005. Tous les pays européens devraient selon la réponse, connaître une baisse démographique souvent plus importante.

Dans ce contexte, des efforts politiques sont annoncés pour certaines zones géographiques particulièrement déficitaires, compte tenu, notamment, de la libre installation des médecins en France et du fait que 2/3 des diplômés en psychiatrie choisissent d'exercer en libéral.

Précisément, le problème des effectifs est particulièrement aigu pour la psychiatrie publique. Dans l'Express du 09/03/2000, sous le titre « Retenez les psychiatres », Rachel Bocher, chef du service de psychiatrie du CHU de Nantes, présidente de l'Intersyndicat des praticiens hospitaliers parle de « démographie médicale en chute libre ». Sur les 12 000 psychiatres du public, seuls 3 300 d'entre eux ont choisi d'exercer leur art au bénéfice du service public. 700 postes au moins sont actuellement vacants et il pourrait y en avoir 2 000 en 2020, alors que selon l’article les missions confiées aux psychiatres publics sont, d’année en année, de plus en plus nombreuses.

Ces remarques illustrent un des paradoxes majeurs de la médicalisation, qui est présentée comme un mouvement de fond, mais qui ne touche pas toutes les populations, et semble devoir se poursuivre aujourd’hui (en partie) sans les médecins (ou avec moins de médecins). Parmi les questions de recherche ouvertes, j’envisage de reprendre dans la suite de mon parcours de recherche la relation paradoxale entre médicalisation, socialisation et politisation des questions, ainsi que les modes de coordination et les rôles respectifs des médecins, des autres professionnels et des usagers pour tout ce qui touche aux questions de « santé », à partir du champ particulier de la « santé mentale ».

11 Pour effectuer ces projections, la DREES se place dans l’hypothèse d’un numerus clausus maintenu à son dernier niveau, soit 4700 étudiants admis chaque année en 2ème année de médecine. Les comportements en matière de choix de filière, d’installation et de départ à la retraite sont également supposés constants.

CONCLUSION

Au terme de ce travail, il s’agit maintenant d’établir un bref bilan de mon parcours de recherche jusqu’à ce jour, de ma démarche intellectuelle dans le « monde des précarités et des intervention sociales et sanitaires ». Il s’agit également d’ouvrir des perspectives futures. Mes objets d’étude ont été divers voire, hétérogènes : en particulier, les personnes sans domicile fixe, le secteur de l’insertion économique, l’urgence sociale, les centres sociaux associatifs, la participation des habitants, le militantisme social, la santé mentale (qui est en train de devenir un de mes thèmes centraux). Pour reconstruire une cohérence dans le cadre de ce travail, j’ai proposé de mobiliser la notion de « problèmes sociaux » comme entrée, en distinguant les populations « à problèmes » d’une part, les intervenants sociaux et sanitaires, « en charge » de ces problèmes d’autre part. Ce découpage analytique est une « construction de second degré » au sens d’Alfred Schütz, c’est-à-dire qu’il se fonde sur une construction sociale de la réalité. Dans la « galaxie constructiviste », à laquelle j’ai situé mon parcours, ce découpage cependant (et aussi, la différenciation du sanitaire et du social) ne peuvent avoir d’autre statut que ceux « d’analyseurs », à la fois outils conceptuels et descriptifs et révélateurs d’enjeux sociaux.

Pour présenter des éléments de synthèse de mes travaux dans ce « monde », j’ai proposé de « reproblématiser » mon parcours, donc de (re)construire un objet de recherche. Cet objet, présenté comme le pivot de mes recherches, est la relation entre « le précaire et le militant ». Sa (re)construction a aussi été l’occasion de revenir sur les auteurs de la littérature sociologique qui m’ont influencée et de me situer par rapport à eux.

Dans la première partie, j’ai donc proposé une réflexion conceptuelle. Sur la précarité, on ne trouve guère de « définition » dans la littérature (les travaux de Jean-Claude Barbier suggèrent plutôt les enjeux pluriels de ce terme). J’ai alors mobilisé des approches différentes, en les ordonnant suivant une « typologie » à trois « courants de pensée » : la « sociologie de la pauvreté » (pour les auteurs qui envisagent le « problème social » à travers un manque), la « sociologie de la déviance » (pour ceux qui s’attachent à la transgression aux normes) et la « sociologie de l’assistance » (pour ceux qui définissent les populations par les secours qu’elles reçoivent). Dans le premier chapitre, je me suis efforcée de montrer pourquoi ces cadres théoriques, que j’ai pu mobiliser à certains moments de mon parcours, présentaient des limites pour l’analyse des populations « à problèmes » (par exemple, à cause des présupposés sur une identité « négative » ou à cause des amalgames porteurs d’effets stigmatisants). Dans la sociologie française, j’ai alors identifié un autre courant qui prend aujourd’hui de l’ampleur, autour notamment de la « nouvelle question sociale » -terme qui désigne des phénomènes de déstructuration généralisée au niveau sociétal, avec des incertitudes. Dans ce « courant » je me suis permis de regrouper de nombreux auteurs parmi lesquels Robert Castel (1995), Jacques Donzelot (1984, 2003), Alain Ehrenberg (1998), Jacques Ion (1998), Pierre Rosanvallon (1995)… Dans le deuxième chapitre, j’ai essayé de mettre en évidence leurs présupposés (en partie) communs, et proposé le terme de « sociologie de la précarité ». J’en ai déduit la caractérisation des « précaires » comme une population dont les « problèmes » sont directement liés à l’incertitude qui se développe au niveau sociétal, et je me suis penchée sur les processus de précarisation, en m’efforçant toutefois de dépasser les allusions générales à la « dégradation du lien social » - terme critiqué pour son ambiguïté conceptuelle par Michel Joubert (M. Joubert, 1995). M’appuyant sur la littérature sociologique et sur une présentation synthétique de mes travaux, j’ai proposé de distinguer différents « nœuds » : travail et emploi, soutiens relationnels, protection sociale, lien politique, logement –laissant ouverte la question de l’articulation entre ces niveaux. Certaines figures sont plus particulièrement associées à un nœud en particulier : c’est le cas du SDF avec le logement ; d’autres, à l’articulation de deux

nœuds : le travail et la protection sociale, pour les personnes en insertion. Pour le malade mental, la démarche peut aussi s’appliquer, à condition de poser le « problème » au niveau sociétal (ce qui institue une rupture avec le sens commun, qui le définit au niveau individuel, psychologique). L’idée même de « problème(s) » cependant est discutable, puisqu’elle présente une connotation négative. Mais c’est précisément, d’après mes travaux, une réalité incontournable du « monde » étudié. Or, les problèmes ne sont pas seulement des résultats de processus globaux. Il faut encore qu’ils soient construits dans les représentations sociales comme tels. Dans cette construction, les intervenants sociaux jouent un rôle (mais ils ne sont pas les seuls).

J’ai abordé ensuite l’autre versant, celui de la « prise en charge des problèmes sociaux ». Dans le chapitre 3, j’ai distingué les dimensions politique, institutionnelle et professionnelle de l’intervention sociale. Alors que Michel Joubert parle d’incohérence des politiques à propos des actions de proximité et de prévention en santé mentale, dans les banlieues (2003), mes travaux suggèrent une certaine logique de l’action politique menée en direction des institutions du social (Sécurité sociale, Aide sociale, Action sociale). Quoi qu’il en soit, les orientations étatiques sont un facteur de déstabilisation de l’ensemble du « social ». Elles contribuent à la déstructuration des fonctionnements institutionnels et du champ professionnel. Pour caractériser les évolutions, j’ai développé dans ce travail, l’opposition de deux thèses : la thèse de la modernisation et de l’adaptation au contexte, contre celle de la « crise », dans laquelle les éléments de déstructuration semblent l’emporter. François Aballéa a développé l’idée d’une « crise » du travail social et d’un malaise des travailleurs sociaux - nuancée cependant par l’idée de restructurations en cours (F. Aballéa, 1996). C’est aussi le point de vue que je défends. Dans le champ de la santé mentale, les travaux en cours auxquels je contribue n’hésitent pas à reprendre l’idée de « crise » de la psychiatrie (L. Demailly dir, 2004, en cours).

Après une réflexion générale sur « l’intervention sociale », je me suis intéressée plus particulièrement au point de vue des intervenants sociaux –et parmi eux, les militants. Le chapitre 4 a abouti finalement à re-construire comme l’objet de mon parcours de recherche, la relation entre le précaire et le militant. La figure du militant, qui n’a pas vocation à englober tous les intervenants sociaux, présente l’avantage d’interroger la séparation des « sous- univers »: de même que la personne en situation de précarité est définie comme un « militant » par certaines associations (comme ATD Quart Monde), de même, l’intervenant est aujourd’hui, confronté à la précarité (comme l’illustre l’exemple des emplois jeunes, analysé par Maria Vasconcellos, ou celui des administrateurs et des bénévoles d’activités en centres sociaux, dans mes travaux). L’approche du militantisme proposée dans mon parcours diffère des définitions courantes, analysées par Bruno Duriez, puisque le militant « en général » est un vocable reconnu d’abord pour l’activité syndicale et politique (B. Duriez, 1994). Elle diffère aussi d’autres travaux sociologiques qui prennent comme interrogation centrale l’action collective et l’engagement dans l’espace public (J. Ion, 1997 et 2001). Repartant du social au sens restreint, je propose en effet un concept (re)construit à partir de l’opposition « structurante » entre professionnel et militant, qui renvoie à deux modèles d’intervention : d’une part, un modèle fondé sur l’idéal de la vocation, des qualités humaines, du « savoir être » ; d’autre part, un modèle fondé sur l’idéal de la compétence, des savoirs et de la technique, en quelque sorte, du « savoir faire ». Or, ces deux modèles sont également valorisés. J’ai donc proposé de réintroduire la question des motivations de l’engagement et des « valeurs » comme une dimension essentielle de la crise identitaire que traverse le « social ». Je suis également revenue sur certains résultats que j’ai déjà publiés concernant les paradoxes de la lutte contre la précarité (quand elle conduit à « gérer la précarité par la précarité ») ou encore sur l’idée que la participation des habitants pourrait être bien éloignée, voire opposée à la démocratie participative (M. Bresson, 1997a, 2000a et 2004b).

Si la relation entre le précaire et le militant est l’objet pivot de mon parcours, elle ne résume pas toute ma démarche. Dans la deuxième partie de ce travail, j’ai décentré le regard de cet objet pour ré-interroger les grilles d’analyse mobilisées, et ouvrir des pistes sur des thèmes connexes, qui sont aussi des objets de débats en sociologie. Dans le chapitre 5, je suis revenue sur mes méthodes de travail (en particulier, la pratique ethnographique) et sur ma démarche, qualifiée à la fois de « constructiviste » et « citoyenne ». Sans nier la part « d’empirisme irréductible », selon la formule d’Olivier Schwartz, je me suis efforcée de défendre l’intérêt et la légitimité de construire des hypothèses de recherche en partie « induites » de mes observations sur le terrain. Les faits ethnographiques étant transversaux, ils intègrent des dimensions économiques, sociales, psychiques… C’est une des raisons qui justifient dans mon parcours, le recours à des « emprunts» à d’autres disciplines – notamment l’histoire, ou la psychiatrie épidémiologique et clinique. Dans le chapitre 6, j’ai posé d’une autre manière le débat sur « l’objectivité » de la démarche sociologique, en revenant sur la question controversée des rapports entre connaissance et action. Dans mon parcours, j’ai notamment revendiqué d’être sociologue et citoyenne : la formule suggère d’être les deux, mais à deux moments différents. L’implication de l’individu citoyen dans « sa » recherche est inévitable (surtout dans la pratique ethnographique) mais la discipline a élaboré des moyens de réduire ses effets. Après avoir suivi la logique de connaissance, en s’efforçant de respecter les exigences propres de la discipline, il ne s’agit pourtant pas d’utiliser à tout prix soi-même l’analyse, encore moins de « maîtriser » le résultat (qui d’une certaine manière, échappe toujours au chercheur). Mais l’engagement d’une recherche dans les affaires de la cité impossible à éviter puisqu’un savoir contribue à la construction sociale de la réalité. La démarche citoyenne va au-delà toutefois puisqu’elle consiste, après la présentation des résultats de la recherche, à donner des avis, des conseils, des préconisations, en assumant des partis pris, en renonçant toutefois alors à les exprimer « en tant que » sociologue. Cette voie, certes périlleuse, est présentée comme un moyen de respecter l’exigence « d’objectivité » de la sociologie comme but à poursuivre, tout en s’autorisant à répondre en partie à une « demande sociale » particulièrement forte et multiforme, dans le monde étudié.

Dans mon parcours, j’ai été amenée à aborder (ou simplement évoquer) d’autres questions qui sont débattues dans la littérature sociologique, sans s’articuler autour du pivot de mes recherches (le précaire et le militant). Sans épuiser les questions qui mériteraient un éclairage spécifique ou des développements complémentaires, j’en ai sélectionné deux, que j’envisage d’approfondir dans mes recherches à venir sur le thème de la santé mentale :

Dans le chapitre 7 sur l’État, j’ai proposé une synthèse de mes réflexions sur la relation entre l’État et « le social ». Définissant en première approche l’État comme une organisation politique, au niveau de la Nation et le « social » comme un domaine particulier dans la société (incluant le sanitaire), j’ai discuté la thèse de Jacques Donzelot et Philippe Estèbe d’après laquelle l’État providence serait en train d’être remplacé (peut-être) par un État animateur. Je suis alors revenue sur différentes conceptions de l’État en économie, qui dessinent différentes images de sa relation avec les individus et la société : depuis celle d’une entité État « souveraine » active, transcendante, à un simple médiateur des volontés des individus, au service de l’intérêt général, voire d’intérêts partisans. En sociologie, on trouve aussi, à travers certaines interprétations de « l’État providence », l’image d’une entité énorme, sorte de puissance immanente, qui a tellement imprégné la société qu’elle tend à se confondre avec elle. L’expression, utilisée par Robert Castel ou Michel Autès d’un « État social », recentre le regard de la société au « social », en suggérant une fusion – confusion entre « l’État » et ce « monde ». Par rapport à ces conceptions plurielles, j’ai essayé de montrer qu’un halo d’incertitude entoure généralement la formule, aujourd’hui largement reprise, de l’État animateur. Par exemple, l’idée que l’État représente un intérêt supérieur se retrouve dans le livre L’État animateur (1994), puisque la politique de la ville est présentée comme la réponse

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