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L’EXEMPLE DU FONDS D’URGENCE SOCIALE (FUS)

Dans le document Pépite | « Le précaire et le militant » (Page 180-184)

RÉFLEXION SUR LES MÉTHODES

C- L’ÉTAT, LE SOCIAL ET LA SANTÉ

3- L’EXEMPLE DU FONDS D’URGENCE SOCIALE (FUS)

Dans mes travaux, on trouve des éléments de réflexion à ce sujet, à partir de l’exemple du Fonds d’urgence sociale (ou « milliard Jospin »)14. Le FUS a été mis en place en 1998, en réponse au mouvement des chômeurs qui a suivi la réforme des ASSEDIC et la décision de supprimer la « prime de Noel ». L’État a alors pris l’initiative de créer un « Fonds d’urgence », et demandé à ses partenaires institutionnels d’aider à la mise en place du dispositif (ASSEDIC, Conseil Général, CAF, CCAS notamment). Or, les résultats de l’enquête menée dans le Département du Nord montrent que ce dispositif a souvent été ressenti comme un "retour" de l'État central - pourtant il est aussi une des formes les plus achevées de l'action sociale localisée, où les secours sont distribués au plus près des besoins. Imposé "d'en haut" à des partenaires locaux pourtant chargés de l'aide sociale par les lois de décentralisation, le FUS réalise les conditions d'une concertation améliorée entre les acteurs mobilisés pour la gestion du dispositif, mais en même temps il n'évite pas toujours de cristalliser des rancœurs et des oppositions. Présenté comme un dispositif transitoire, il s'inscrit cependant dans un ensemble de pratiques qui contribuent à une redéfinition des rôles, pour les partenaires de la décentralisation.

Le FUS reflète la volonté des pouvoirs publics d'adapter des règles de l'indemnisation du chômage aux nouvelles modalités du fonctionnement du marché du travail. Il traduit aussi le refus par le gouvernement d'une démarche dans le sens d'une généralisation et d'une harmonisation de tous les minima sociaux. Il s'inscrit donc dans une réflexion menée par l'État central, qui l'amène à prendre une initiative forte, sans concertation préalable. L'effet produit par cette initiative est complexe. D'une part, le FUS place certainement l'État en position de "leader" dans toute forme de modernisation du système d'aide sociale et il lui donne l'occasion de montrer sa capacité d'intervention dans ce domaine. D'autre part, le souci de l'État de mobiliser les autres partenaires concernés par les situations de détresse le place dans une relation de dépendance vis-à-vis d'eux, puisqu'il le contraint à compter sur leur bonne volonté. Tous les partenaires ont d'ailleurs participé au dispositif, par exemple par la mise à disposition du formulaire, éventuellement l'aide apportée aux demandeurs pour le remplir, et le détachement de membres de leur personnel pour prendre part à l'instruction des dossiers dans les commissions centrales et locales d'attribution. Le partenariat mis en place dans le cadre des lois de décentralisation se trouve donc à la fois réaffirmé et recentré autour de l'État. Le dispositif du Fonds d'Urgence sociale, malgré (ou grâce à) son caractère momentané, met en place une articulation entre les recommandations et l'intervention directe de l'État central d'une part ; les pratiques de ses partenaires et leur autonomie "locale" dans le système d'aide sociale d'autre part. Cette articulation ouvre des pistes possibles et acceptables pour le partenariat, en même temps qu'elle en ferme d'autres.

D'une manière générale, les partenaires de l'État ont ainsi refusé de s'engager financièrement dans le FUS (à l'exception notable des ASSEDIC, mais celles-ci devaient "compenser" leur brusque désengagement des secours exceptionnels, à l'origine du mouvement des chômeurs).

14 La réflexion qui suit s’appuie notamment sur le travail réalisé dans le cadre du Rapport pour le Ministère de

l'Emploi et de la Solidarité - Direction de l'Action Sociale, (CLERSE - Lille I), AUTÈS Michel, BRESSON Maryse, DELAVAL Bernadette et al., 1999b, Les Fonds d'Urgence Sociale dans le département du Nord, ainsi que sur l’analyse proposée dans BRESSON Maryse, 2001, "Les conséquences du Fonds d'urgence sociale dans le Nord: une redéfinition du rôle des partenaires de la décentralisation", Revue Française des Affaires sociales, n° 1, 155-165.

En revanche, tous les partenaires ont répondu favorablement pour faciliter l'accès et la distribution des secours. Il y a toutefois des différences selon les institutions. Le Conseil général est finalement resté peu impliqué, refusant l'instruction des dossiers par les services sociaux et se contentant d'adresser une circulaire aux responsables de l'action sociale territoriale, leur demandant de mettre à la disposition du public dans les circonscriptions l'imprimé de demande de secours et "d'aider les personnes qui en éprouveraient le besoin, à le remplir". Pour ce qui concerne la question des "réorientations", c'est-à-dire des demandeurs adressés par la commission à d'autres filières de secours, le Conseil général n'a pas mis en place de procédures spécifiques pour suivre les dossiers qui le concernaient (c'est-à-dire ceux de l'allocation mensuelle pour les familles et les Fonds locaux d'aide aux jeunes). À l'opposé, les CCAS ont accepté d'être mis à contribution à la fois dans la distribution des formulaires, dans la mise à disposition du personnel pour aider à remplir les formulaires, dans la participation de leurs propres agents dans les commissions d'attribution des secours, ainsi que dans les réorientations de dossiers vers leurs propres services. Les autres partenaires situent leur degré d'implication entre ces deux institutions, par exemple les CAF ont accepté de mettre à disposition un personnel spécialisé dans la distribution des secours.

On a donc vu se dessiner sur le terrain, dans la mise en œuvre du dispositif, l'ébauche d'un nouveau partenariat, autour de l'État. Mais ce partenariat est aussi apparu d’emblée comme fragilisé par les antagonismes qu'il a fait apparaître, voire qu'il a suscité, entre les acteurs chargés de la gestion du FUS L'origine du FUS, la décision sans concertation d'un des partenaires potentiels (les ASSEDIC) d'arrêter de distribuer des secours exceptionnels à leur public n'était pas propice au développement d'un partenariat qui a plutôt été imposé par les services de l'État. Le paradoxe d'un "partenariat obligatoire" apparaît de ce fait comme la principale faiblesse du dispositif. Mais ce n'est pas la seule ambiguïté. Pour saisir la signification des réticences des partenaires locaux, il faut rappeler que le dispositif était en lui-même une forme de mise en cause par l'État de l'action de ses partenaires puisqu'il visait un public présenté comme "nouveau", donc "oublié" par les dispositifs existants. Le débat instauré dans le cadre du dispositif entre la Préfecture, le Conseil général, les C.A.F., les ASSEDIC et la délégation départementale de l'Union Nationale des Centres Communaux d'Action Sociale à l'intérieur de la Mission d'Urgence Sociale (MUS) n'a pas suffi à aplanir ces difficultés.

La concertation a montré ses limites, par exemple dans le Nord, lorsque la Préfecture a proposé aux différents partenaires de la MUS une convention avec l'État qui invitait chacun à apporter une participation financière, non seulement les ASSEDIC ont été les seules à s'engager à apporter des crédits supplémentaires, mais les autres institutions ont saisi l'occasion de justifier leur refus d'abonder le fonds, en arguant que le dispositif relevait uniquement de l'État. De manière caractéristique, la Mission d'Urgence Sociale est alors devenue une tribune, où les partenaires saisissaient l'opportunité de faire valoir leur capacité à résister aux pressions des services de l'État et de montrer leur spécificité, leur différence de conception de l'aide sociale. Le Conseil Général a dénoncé les risques d'instrumentalisation des politiques départementales en dénonçant ce qu'on appelle localement, pour la stigmatiser, la politique de cogestion. Les CCAS ont publiquement regretté le fait de ne pas été avoir prévenus directement par les ASSEDIC du renvoi des demandeurs vers leurs services et ils ont rappelé que les barèmes sur lesquels ils sont chargés de répondre à des besoins vitaux ne sont pas les mêmes que ceux des ASSEDIC. Leurs propres règles varient, en fonction de la politique menée par la commune à l'égard de ses pauvres. Les C.A.F. du département ont déploré la distribution des secours sans mettre en place un suivi, sans étude préalable, sans enquête sociale, qui allait à l'encontre de leur philosophie.

Mises devant le fait accompli, les institutions ont de fait "joué le jeu" du dispositif, mais leur participation se résume plutôt à des prestations de service au niveau local. En même temps, on

ne saurait négliger ce rôle, puisque l'urgence est précisément définie à ce niveau. Si les partenaires ont aussi accepté une forme de « retour de l'État », c'est en considérant qu'il était conjoncturel et ils ont saisi l'occasion pour rappeler leur engagement dans l'aide sociale et la logique de leur intervention, bref leur propre politique. Par conséquent le FUS illustre les incertitudes du partenariat entre les acteurs de la décentralisation.

Les dispositions prises pour "l'après - FUS" n'ont pas levé ces ambiguïtés. En juin 1998, la Mission d'Urgence Sociale du département du Nord avait décidé des améliorations sur l'accès aux prestations et sur les délais et les ruptures dans l'obtention des aides. Dans la loi de prévention et de lutte contre les exclusions, le gouvernement a proposé des nouvelles procédures pour faciliter l'accès aux droits. Il a décidé la mise en place des CASU, dont l'objectif est la simplification des démarches administratives et la mise en place d'un guichet "polyvalent" (voire d'un formulaire unique). Mais cette solution ne permet pas vraiment de tenir compte des "politiques" différentes des partenaires, pourtant largement soulignées et rappelées lors de la gestion commune du FUS Elle laisse entrevoir une harmonisation des critères de sélection des populations et un recul de l'exigence de connaissance personnelle approfondie des problèmes. Tout cela pose la question des risques de "fichage" pour les populations en détresse, mais va aussi à l'encontre de l'affirmation par les partenaires de la décentralisation, de leur autonomie locale.

Ainsi, dans l’exemple du Fonds d’Urgence sociale, la figure centrale de l'État « animateur » n’est pas vraiment contestée par les autres partenaires, mais elle pose néanmoins problème. Dans le département du Nord, la confrontation des logiques institutionnelles a provoqué des tensions et la Mission d'Urgence Sociale, instaurée par le dispositif comme un moyen d'améliorer la concertation, a été utilisée par les acteurs comme une tribune où ils pouvaient réaffirmer chacun, leur autonomie et leur spécificité. Cependant, à l'occasion de la prise en charge des populations qui avaient rempli les formulaires pour obtenir un secours du Fonds d'urgence sociale, on a aussi pu entrevoir l'ébauche d'un système de partenariat fonctionnel, mettant directement en articulation l'État et un échelon local, représenté ici par les CCAS. 4- LE SOCIAL ET LA SANTÉ

L’exemple du FUS illustre un dispositif « social » innovant, mis en place par l’État, qui réalise « l’interpellation réciproque », en appliquant les logiques de contractualisation, de partenariat et de transversalité (malgré des difficultés). Ce dispositif inscrit l’urgence sociale dans des pratiques de conventionnement. Or, l’urgence est un thème (il y en a d’autres) qui peut s’appliquer aussi bien dans le domaine du « social » que de la santé.

Dès lors, la question que l’on peut poser est de savoir dans quelle mesure le domaine sanitaire est concerné par la redéfinition du rôle de l’État, observée notamment à travers la politique de la Ville. Le système français est sanitaire et social, d’ailleurs la santé est une branche de la Sécurité sociale (avec la famille, la vieillesse). Mais est-ce que les nouvelles formes de l’action publique s’appliquent à la santé ? Et comment se présente aujourd’hui le rapport entre l’État, le social et la santé ?

Comme le rappelle D. Fassin dans Les figures urbaines de la santé publique (1998), le secteur sanitaire a été beaucoup moins analysé que d’autres, dans sa relation aux faits politiques de la décentralisation et de la territorialisation de l’action publique. Or, sur ce point, l’auteur souligne un paradoxe. D’une part en effet, la santé publique, étant restée du domaine réservé du pouvoir d’État, n’a pas (ou peu) été affectée par la législation sur la décentralisation (si changement il y a eu, c’est plutôt en termes de déconcentration des services de l’État). D’autre part, « nonobstant les limites légales, nombre de villes se sont saisies de questions sanitaires pour les intégrer dans leurs programmes d’action ». L’auteur évoque ainsi une « décentralisation de fait, quand la décentralisation de droit est presqu’inexistante » (D.

Fassin, 1998, 22). Pourtant, cette initiative des communes a été rendue possible, voire encouragée, par la Politique de la ville, impulsée par l’État. D. Fassin souligne ainsi que l’État a contribué à transformer la santé publique locale, en l’ouvrant au social, non seulement dans le contenu de ses actions, mais dans leurs modalités de mise en œuvre (dans des pratiques de conventionnement notamment)15. Alors que, par la distinction qu’il établit dans le cadre des lois de décentralisation, l’État renforce la distinction entre « social » et « santé », dans le cadre de la Politique de la ville en revanche, les évolutions qu’il encourage contribuent à ce que le social et la santé se rejoignent jusqu’à parfois se confondre. De ce point de vue, le champ de la santé mentale apparaît comme un objet d’analyse particulièrement fécond pour ré-interroger, à partir de ce paradoxe, le rôle de « l’État » et les conséquences sociales et politiques de ses interventions.

Parmi les conséquences du renouvellement en cours des objets et des pratiques de la santé publique, la traduction de certains problèmes sociaux dans le langage sanitaire (en particulier, mais pas uniquement, psychiatrique) correspond à une des formes de la « médicalisation de la précarité » - qui est une autre question de recherche, sur laquelle j’envisage de retravailler dans la suite de mon parcours.

15 D. Fassin, 1998, « Politique des corps et gouvernement des villes. La production sociale de la santé

publique », dans D. Fassin (dir), Les figures urbaines de la santé publique. Enquête sur des expériences locales, 7-46.

CHAPITRE 8

RÉFLEXIONS ET PERSPECTIVES, SUR LA MÉDICALISATION

La médicalisation n’est pas un thème que j’aurais, à proprement parler, déjà « travaillé » dans mon parcours de recherche (à la différence du rôle de l’État, par exemple). Il ne s’agit donc pas ici de proposer une synthèse de la littérature sociologique sur « la médicalisation » et encore moins, de préciser ce que j’aurais apporté à ce débat, puisque je considère ma réflexion sur cet objet comme un chantier à peine entamé. Mais je propose, dans un dernier chapitre d’ouverture, de prendre cette entrée afin de ré-interroger et compléter certains de mes travaux de recherche (sur la prise en charge de la santé des populations « précaires», la « psychiatrisation » de l’exclusion sociale et les rapports entre « précarité sociale » et « santé mentale » notamment), et surtout d’introduire quelques jalons pour des recherches futures dans le champ de la santé mentale.

Par rapport à l’objet pivot de ce travail (le précaire et le militant), la médicalisation est un phénomène général qui ne touche pas seulement « les précaires ». De plus les médecins (y compris les psychiatres) ne se considèrent généralement pas comme des « intervenants sociaux » ; et si la ligne de partage entre professionnels et militants peut leur être appliquée, cependant un large consensus existe pour les désigner comme « professionnels de la santé». Enfin j’ai annoncé des projets de recherche sur la santé mentale, or la médicalisation ne se réduit pas à la « psychiatrisation »1. Mais si le thème de « la médicalisation » pose plus de problèmes qu’il n’en résout, il permet d’identifier des questions de recherche. Pour cette raison, je propose de le prendre ici comme une manière heuristiquement féconde de reproblématiser la frontière du « social » et de la « santé », et d’interroger la (ou les) manière(s) de construire socialement « la santé mentale » (comme problème « médical », ou « social » ou comme déviance).

Dans ce chapitre, je commencerai par explorer les formes et enjeux de la médicalisation. M’appuyant sur certaines contributions de l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Aiach et Daniel Delanoë, L’ère de la médicalisation (1998), je définis ce terme d’une part, comme une modalité de prise en charge d’un « problème » (par la branche « santé » de la Sécurité sociale en France) ; d’autre part, comme une manière de le construire socialement comme « problème médical » (A)2. J’amorcerai ensuite des interrogations sur « l’envers de la médicalisation », qui peut prendre la forme de la stigmatisation, du « contrôle social », mais aussi, de la baisse annoncée des taux d’encadrement médical à horizon 2020, ou encore, des difficultés que rencontrent les « populations à problèmes » pour voir pris en charge leurs « problèmes médicaux » (B).

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