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L’INTERVENTION SOCIALE : PROPOSITION DE DÉFINITION

L’INTERVENTION SOCIALE

A- RÉFLEXION SUR LES CONCEPTS : INTERVENTION SOCIALE, TRAVAIL SOCIAL, PROTECTION SOCIALE, POLITIQUE SOCIALE, RÉGULATION

1. L’INTERVENTION SOCIALE : PROPOSITION DE DÉFINITION

On a souligné d’emblée qu’il s’agit pour moi de désigner « l’autre versant », celui des « réponses » apportées aux « problèmes sociaux ». Ajoutons ici trois points.

1- Si on considère, en dépit des nuances apportées ci-dessus, le mot « intervention » comme (relativement) large et neutre, l’adjectif « sociale » qui lui est appliqué renvoie à une définition particulière du « social », avec un sens restreint. On récuse ainsi un sens (trop) large, dans lequel l’adjectif « social » qualifierait « tout ce qui existe en société ». Cette ambiguïté du terme « social » est fondamentale, elle mériterait sans aucun doute, un travail de recherche qui n’a pas, à ma connaissance, été mené de manière systématique et rigoureuse. Mais ici, on souhaite lever d’emblée la confusion : tout n’est pas « social », dans le sens où, suivant une convention de langage généralement admise par ailleurs, on choisit ici d’employer les expressions « problème social », « intervention sociale ». Avec J. Donzelot, on admet au contraire que « le social » est une « invention », qui a permis à l’État républicain au XIX e siècle d’intervenir dans la lutte des classes sans remettre en cause l’économie de marché, tout en préservant le gouvernement démocratique (J. Donzelot, 1984). Le social est une forme, une manière de construire une articulation entre la sphère économique et la sphère politique, avec un ensemble de noms donnés aux choses, et un ensemble d’opérations, de dispositifs, de techniques ; cette forme s’incarne dans des institutions. De ce point de vue, une caractéristique importante du « social » dans notre société est de s’être autonomisé (M. Autès, 1999, 9-10). Comme je l’ai écrit ailleurs, « Le social est devenu un domaine à part, avec ses règles, ses lois, ses professionnels : comme si la société était divisible en grands espaces (l ‘économique, le politique, le social) et comme si le social n’était qu’un de ces espaces » (M. Bresson, 2002, 7). Je propose ainsi de considérer l’intervention sociale comme un terme qui s’applique à ce domaine particulier.

2- Par ailleurs, je propose de situer l’intervention sociale dans le contexte des évolutions que la « sociologie de la précarité » a mises en évidence. Ce parti pris n’est pas seulement celui de mes propres travaux. On le retrouve, de manière implicite, dans une large partie de la littérature sur le travail social, les politiques sociales, la protection sociale. Par exemple, J-N Chopart commence l’introduction de son livre collectif par l’expression : « Confrontés à la nouvelle question sociale » (2000, 1). J. Ion introduit aussi son livre sur Le travail social au singulier en rappelant que « un peu comme au XIX e siècle, la question touche aujourd’hui aux fondements mêmes de ce qu’on appelle société » (1998, 3). Ou encore, dans l’article qui introduit le numéro spécial de la revue Esprit « À quoi sert le travail social ? », J. Donzelot et J. Roman décrivent les « nouvelles donnes du social » à partir des notions d’incertitude et de marginalisation de masse (1998, 7 et 11). Toute une littérature sur les politiques sociales et le travail social semble ainsi considérer comme un acquis le raisonnement de base de ce qu’on a appelé la « sociologie de la précarité ». Dans le prolongement de ces travaux, je propose donc de construire la catégorie d’intervention sociale pour désigner un ensemble de réponses aux

« problèmes sociaux » et en particulier, au problème global de l’incertitude et de la précarité généralisée. Rejoignant certains usages sociaux du mot « intervention sociale », on a alors l’idée d’un terme large, apparu de manière récente, qui peut traduire une forme d’adaptation au contexte.

3- Ajoutons un troisième trait. Dans le dictionnaire, le mot intervention (référé au verbe : intervenir) définit une action volontaire. L’idée me semble essentielle, puisqu’elle justifiera le lien avec la question du militantisme. Mais à cette étape de ma réflexion, je veux souligner aussi l’intérêt d’un substantif qui peut s’appliquer à différentes dimensions de l’action volontaire : la fois professionnelle (le travail social), politique (les politiques sociales) voire institutionnelle (si on admet que les institutions de la protection sociale sont non seulement « instituées » mais aussi « instituantes »).

Ces trois traits par lesquels je définis l’intervention sociale –une action volontaire pour

résoudre les « problèmes sociaux », à partir du champ particulier du « social », dans un contexte d’incertitude généralisée- permettent d’introduire des éléments de réflexion sur la

proximité et les différences entre l’intervention sociale, et d’autres mots proches. 2. LE TRAVAIL SOCIAL

Donner priorité à l’entrée par le travail social, comme l’analyse F. Aballéa, c’est envisager d’abord la dimension professionnelle, en particulier, le champ professionnel dont je propose d’étudier les transformations, « c’est-à-dire la recomposition interne et la rectification des frontières »6.

De ce point de vue, l’intervention sociale est dans la littérature, un terme souvent mobilisé comme alternative (éventuelle et problématique) aux mots « travail social » et « travailleurs sociaux ». Le terme « travail social » renvoie alors à une réalité historique particulière, progressivement codifiée, unifiée dans les années 1970. M. Autès rappelle ainsi comment le travail social a émergé d’abord de bonnes volontés privées, avec une triple généalogie : pour le service social, les maisons sociales (ancêtres des centres sociaux) ; pour l’éducation spécialisée, l’héritage des colonies agricoles et des maisons de correction ; pour l’animation, le sillage de l’obligation scolaire, dans le creuset de l’éducation populaire. Ce secteur hétéroclite est encadré et progressivement organisé, sous l’égide de l’État. Il y a d’abord la mise en place du diplôme d’État d’assistant de service social créé en 1932, constamment réformé par la suite (sous la tutelle de la Direction d’Action sociale). Une ordonnance de 1945 organise le cadre législatif dans lequel opère la profession d’éducateur et le diplôme d’État d’éducateur spécialisé pour l’enfance et l’adolescence inadaptée est créé en 1967. Le Ministère de la jeunesse et des sports enfin joue un rôle central dans l’organisation du secteur de l’animation, avec notamment le diplôme d’état aux fonctions d’animation (Defa) (M. Autès, 1999, Les paradoxes du travail social, 36 et s). L’encadrement du secteur, suivant la même inspiration étatique, contribue à la convergence de ces traditions hétéroclites. Un numéro spécial de la revue Esprit, en 1972, a contribué à diffuser le terme alors émergent de « travail social » sur la base d’un même processus de professionnalisation et d’une même fonction de régulation (voire de contrôle) social. Au tournant du XXI e siècle, le mot « intervention sociale » semble devoir entériner l’idée de mutations de ce champ professionnel. C’est la trame générale du livre collectif dirigé par J-N Chopart (2000) –par exemple, dans cet ouvrage, M. Autès emploie la métaphore de la « métamorphose » pour qualifier le passage du travail social à l’intervention sociale (2000, 254). Cette catégorie, par

6 F. Aballéa, 1996, « Crise du travail social, malaise des travailleurs sociaux », Recherches et prévisions, 12. Dans cet article, cet auteur distingue plus précisément l’entrée par le travail social (identifiée à un « champ professionnel ») et celle par les travailleurs sociaux (présentée comme un « corps professionnel »). J’y reviendrai à propos des figures, dont je ne parle pas encore ici, de l’intervenant social et du militant.

rapport à celle de « travail social », implique alors clairement un élargissement. Comme l’indique dès l’introduction J-N Chopart, il ne s’agit plus de limiter l’analyse aux seules « professions certifiées du travail social » (assistants de service social, éducateur, animateur social notamment) ; mais on intègre les « nouveaux professionnels », dont les appellations se sont multipliées avec les nouveaux dispositifs d’insertion et la politique de la ville.

En retenant la catégorie de l’intervention sociale, je souscris donc au présupposé de la déconstruction d’un champ délimité par la présence de « professions certifiées», structurées par les filières administrativo-professionnelles. J-N Chopart propose de délimiter ce champ plus vaste par deux indicateurs principaux : la notion de publics en difficulté sociale (qui rejoint l’idée qu’on a développée de « population à problème ») ; la présence de financements socialisés, tant il est vrai que même le social associatif (« privé ») ne peut guère survivre sans subventions (2000, p 26). Dans la conclusion, il écrit pourtant : « Doit-on désormais préférer le terme d’intervention sociale à celui de travail social pour désigner ce champ professionnel ? La réponse est évidemment nuancée selon que l’on privilégie les mutations ou que, bien au contraire, on mette l’accent sur les permanences des fonctions sociales et des modalités de l’action ». Il souligne : « C’est d’abord une affaire de mots, une question de désignation… La réponse à la question n’est pas seulement affaire d’objectivité ou d’argumentation scientifique. C’est aussi une action normative » (J-N Chopart,2000, 267 – 268). La remarque rappelle les enjeux de la désignation, mais elle justifie aussi d’élargir encore, en m’appuyant sur les usages sociaux. De fait, le terme d’intervention sociale tel qu’il s’impose aujourd’hui présente une autre différence essentielle avec le travail social, il n’est pas limité à un champ « professionnel » -au sens usuel du mot. En particulier, comme le rappelle J. Ion, « ce terme autorise la réunion dans un même ensemble de bénévoles et de professionnels ». C’est un point essentiel puisque, d’une certaine manière, il constitue une manière de renouer avec les origines du social, marquées par le bénévolat et l’assistance (J. Ion, 1998, 10).

Dans la définition que je propose de l’intervention sociale, j’intègre donc non seulement les « nouveaux métiers », mais aussi les activités des bénévoles, qui participent à apporter des réponses aux « problèmes sociaux »7.

Aux frontières du champ professionnel du « social », j’élargit également à d’autres actions qui affichent l’ambition de contribuer aussi à résoudre les mêmes « problèmes »- bien qu’on rattache traditionnellement au secteur sanitaire, médical, paramédical ou médico-social. En effet, la notion d’intervention sociale me semble aussi mettre en cause la partition traditionnelle, (qui garde par ailleurs quelque pertinence), entre le travail social et le travail « soignant » –notamment en psychiatrie, qu’on a davantage étudié (L. Demailly, 2004). Loin de vouloir les amalgamer ou nier les cloisonnements professionnels et institutionnels, qui perdurent8, il me semble cependant utile d’observer que le concept d’intervention sociale rejoint de fait l’intervention sanitaire à travers les initiatives récentes qui se développent à la frontière des champs institutionnels et professionnels. Or, le décloisonnement est une volonté politique affichée, à travers les dispositifs de la politique de la ville. En particulier, la santé publique connaît un renouvellement de ses objets et de ses pratiques, avec des dispositifs visant à favoriser l’accès aux soins des populations paupérisées, les politiques de réduction de

7 Je parle ici de « professionnels » dans le sens de professions constituées, structurées par des qualifications, un statut, une progression salariale. Notons, sans développer encore, qu’entre les professionnels et les bénévoles, il y a place pour les nouveaux métiers et aussi pour toutes les nouvelles « professionnalités ». Voir par ex. à propos des emplois- jeunes M. Vasconcellos (dir), 2002 –avec une interrogation supplémentaire puisque dans ce cas particulier, on ne sait plus si ces « emplois-jeunes » sont des intervenants ou des bénéficiaires du « social ». 8 Voir notamment, sur les cloisonnements, le livre de F. Dhume, 1998, RMI et psychiatrie, deux continents à la

dérive et, sur les difficultés à dépasser ces cloisonnements, D. Fassin dir., 1998, Les figures urbaines de la santé publique ou le rapport auquel on a contribué avec L. Demailly, 2004.

risques pour les toxicomanes, les programmes de santé dite communautaire dans des quartiers en déshérence –bref, des interventions qui visent explicitement à affronter des « problèmes de société ». D. Fassin s’interroge ainsi : « La « nouvelle santé publique » proclamée ici et là est- elle une réponse, dans l’espace local, à ce que l’on désigne parfois comme la nouvelle question sociale » -s’inscrivant ainsi directement dans ma définition de l’intervention sociale (D. Fassin (dir), 1998, 4e de couverture). Dans la même perspective, l’expression

« intervention sociale » nous semble pouvoir être élargie à la prise en charge de la santé mentale, en interrogeant les évolutions de la psychiatrie, liées en particulier aux réformes

visant à instituer une « psychiatrie citoyenne », ouverte sur la cité (P. Desmons, J-L Roelandt, 2000).

La définition que je propose de l’intervention sociale, à partir de la réponse qu’elle ambitionne d’apporter aux « problèmes sociaux », englobe le travail social, mais aussi le déborde, en intégrant d’autres modes de structuration, d’organisation, avec un secteur d’intervention potentiellement très élargi. Elle autorise ainsi à mobiliser dans la réflexion d’autres manières d’agir et d’autres acteurs du « social » que les professions « certifiées » du travail social. Je propose de préciser maintenant comment on positionne ce mot, par rapport aux termes de « protection sociale », « action sociale », « politique sociale » et « régulation sociale ».

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