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Rapprochement constant

Etalons une série d’occurrences de droit civil en laissant de côté le grand complexe de droit médiéval, qui ne consiste point en textes juridiques. Si l’on se renseigne auprès des textes de juristes médiévaux, il est facile de constater le renvoi réciproque entre le titre de

statu hominum du Digeste et celui de iure personarum des Institutes. Les affirmations étaient

souvent courtes, et peu d’approfondissement à ce propos était disponible. Vers la fin du XIIe

siècle, Placentin estime que « personas » signifie la multiplicité des personnes, « loquimur de

varietate personarum », lorsqu’il lit cette phrase des Institutes : « omne ius quo utimur … ad personas pertinet… », « tout droit dont on dispose relève des personnes ».97 Il annonce donc son commentaire sur Inst. I, III, « primo de personarum varietatibus ». Le Digeste n’est pas évoqué, même si l’on peut supposer que les premiers glossateurs fussent conscients de la possibilité de renvoi.

Le renvoi est plus clair ailleurs. Nous relevons, dans une édition très tardive d’AZON, cette citation qui entame son commentaire sur de statu hominum : omne ius quo utimur vel ad

personas pertinet ; vel ad res, vel ad actiones98. Dans les Institutes de JUSTINIEN, cette phrase inscrite au dernier paragraphe du tit. II du premier livre sert à conclure le titre portant sur les droits d’origine différente et à introduire la division de droit des personnes. C’est, en effet, un fragment emprunté aux Institutes de GAIUS avant que JUSTINIEN ne l’ait reprise99.

97

PLACENTINUS. Summa Institutionum. Augustae Taurinorum : Off. Erasmiana, 1973. Réimpression de l’édition Moguntiae 1535, p. 5.

98

AZON. Summa Azonis Iurisconsulturom. Principis aurea Summa nuperrime castigata: collatione facta: cum aliis vetustissimis codicibus manu scriptis... Lugdunum : 1533, fol. 391ra.

99

Le grand glossateur restait cohérent lorsqu’il commentait le troisième titre des Institutes de JUSTINIEN, à savoir de iure personarum. Nous y retrouvons la même citation100. Outre ce

lien formel, le docteur bolognais n’a pas hésité à juxtaposer persona et homo, comme si les deux termes avaient été interchangeables, quand il a annoncé l’objet qu’il allait traiter dans la rubrique de statu homium : « De personis, id est de statu personarum vel hominum prius

videamus »101. AZON a, évidemment, retenu « de personarum statu » du fragment de

HERMOGENIEN102. Ce qui a été mis en lumière, c’était que les personae – au pluriel

d’ailleurs – dont parlait JUSTINIEN signifierait les statuts ou, si l’on veut, les états des personnes ou des hommes. En d’autres termes, peu importe, pour le jurisconsulte, de dire « personae », « iura personarum », « status hominum » ou « status personarum ». Pour lui, tous ces termes voulaient dire à peu près la même chose, à savoir la variété des statuts des personnes ou des hommes, pour laquelle il qualifie ceux-ci de « varius » et même de « discretus ».

Reportons-nous maintenant à la glose ordinaire. Là, le renvoi se maintenait malgré le défaut de mention expresse. Du côté du Digeste, ACCURSE s’est posé la question de savoir si la répartition des droits que proclamait GAIUS était soutenable. Avec une réponse positive, il a précisé pourquoi la formule de GAIUS était intelligible : au sujet des personnes, le glossateur a demandé : « Quare satis esset si dixisset ad personas, vel ad res ». La raison pour laquelle GAIUS avait ainsi écrit, cela devrait, aux yeux de l’élève d’AZON, être d’englober, à la fois, l’esclave et les différentes personae dont relève chaque droit à notre disposition : «

Sed hoc dixit, ut plenius quod intendebat exprimeret. pertinet ergo ad personas, scilicet

100

AZON. Summa Azonis. fol. 356ra.

101

Ibid. fol. 391ra.

102

qualiter personae, id est servi adquirantur, et alienentur, et ammittantur, et conserventur »103. Autrement dit, tandis que le titre s’adressait aux « hommes », ce qui était logiquement préférable pour DONEAU, le premier fragment de ce titre n’a pas, pour autant, énoncé une formule lacunaire à cause du ressort ad personam que celle-ci invoquait. Tout au contraire, la glose jugeait la formule satisfaisante. Quant au fragment suivant qui était attribué à HERMOGENIEN « … primo de personarum statu […] dicemus », il était ainsi interprété : « primo de personis qualiter obligentur in statu, et liberentur »104. Parler des personnes,

c’était, pour l’illustre glossateur, parler des statuts des personnes.

A l’égard des Institutes, c’était plus évident : l’incipit de la même phrase « omne ius

quo utimur… » qui, cette fois-ci, était attribuée au Digeste, s’est réalisé pour expliquer le titre de iure personarum. Si les statuts et les droits n’apparaissaient pas tellement rapprochés

auprès d’ACCURSE, il suffisait de remonter au passage précédent pour sa lecture de la fameuse citation de GAIUS : là, la division servait à expliquer pourquoi il y avait un certain droit et comment l’on distinguait un droit d’un autre, et, ainsi, une différence entre les droits eux-mêmes pourrait s’établir : « Quid sit ius, et qualiter dividatur diximus : nunc differentiam

inter ipsa iura ponit »105.

Dans les écrits d’ODOFREDUS, nous ne relevons pas de renvoi aux Institutes à l’entrée de la rubrique de statu hominum : « … primo ponitur rubrica de statu hominum. id

103

Gl. ord., D. 1, 5, 1, s. v. « Omne […] pertinet ». Dans cette édition : JUSTINIANUS. Digestum vetus … commentariis Accursii. Antuerpia : Phillipus Nutius, 1575.

104

Gl. ord., D. 1, 5, 2, s. v. « statu ».

105

Gl. ord., Inst. 1, 2, s. v. « omne ». Nous nous servons des trois éditions suivantes, toutes accessibles par Internet : Deux proviennent de la collection numérique Gallica de la BNF, dont l’une est imprimée à Venise en 1489, l’autre à Lyon en 1496. La troisième et la dernière, éditée en 1575 à Paris, a été numérisée par l’Université de Granada, Espagne.

est de iure personarum, sive de qualitate personarum »106. Les statuts des hommes étaient donc mis sur le même pied que les droits des personnes et les qualités des personnes.

Ceci étant le cas au-delà des Alpes du XIIIe siècle, Pierre de Belleperche, en deçà, ne

s’en différait point. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle et peut-être la première décennie

du XIVe, le maître d’Orléans a rappelé, lui aussi, la concordance de la divisio personarum des

Institutes avec le titre de statu hominum du Digeste107. Si ses prédécesseurs à Bologne ne

s’étaient pas attaqués à la question ciblant les rapports même entre les statuts et les droits, entre les hommes et les personnes, le jurisconsulte français n’a pas y pensé non plus.

Par rapport aux générations des glossateurs, les deux titres en question étaient moins développés chez les post-glossateurs ou commentateurs. Parmi les plus éminents, BARTOLE, par exemple, prenait soin de commenter des difficultés logiques soulevées par la glose ordinaire ou par d’autres juristes précédents, plutôt que de définir « status », « personae », « homines », etc. Ce qu’il partageait avec ses précurseurs bolognais, c’était que la division de

status hominum voulait également dire divisio personarum, le Digeste et les Institutes n’allant

pas l’un sans l’autre. Ainsi, BARTOLE rappelait, en annotant un texte de MARCIEN, le plan général dans lequel s’inscrivaient les divisions posées par le fragment. Le jurisconsulte romain y parlait de la simplicité du statut d’esclave et de la dualité du statut d’homme libre, à savoir d’être libre par naissance ou par affranchissement : « Et servorum quidem una est

condicio : liberorum autem hominum quidam ingenui sunt, quidam libertini ». Lequel énoncé

a été intégré dans la division du docteur médiéval lorsque celui-ci divisait son exposé en la matière en quatre partie, notamment, d’emblée, la division des personnes, puis, comment l’on devenait esclave, ensuite, ceux qui étaient libres par naissance, et, enfin, les affranchis :

106

Roffredo da BENEVENTO. Lectura super digesto veteri. 2 tomes, t. 1. Bologna : Forni, 1967. Réimpression de l’édition Lugdunum, 1550, fol. 18va.

107

Petrus de BELLAPETRICA. In libros Institutionum Divi Iustiniani Sacratiss. principis, Commentarii longe acutissimi... Lugdunum : Simonis Vincentii, 1536, 114.

« Dividitur in quatuor partes. In prima ponitur alia divisio personarum. In secunda dicitur

qualiter fiant servi. In tertia ponitur, qui sunt ingenui. In quarta ponitur, qui sunt libertini »108.

Si, relativement à ce sujet, nous avons peu à dire sur BALDE, nous pouvons nous arrêter devant François HOTMAN (1524-1590), collègue de DONEAU à Bourges, pour le dernier exemple. Ce conseiller d’Etat de HENRI IV, lui aussi, a élevé au premier plan le titre

de statu hominum dans son commentaire sur les Institutes109. Il nous a même averti que, même si le droit était fait « en raison des personnes », tous les droits ne relevaient pas des personnes. Il en était ainsi, car, d’après lui, la limite du droit n’a pas été posée dans les matières du droit des personnes, pas plus que celle d’une maison en ses fondements ou ses murs : « Non enim finis iuris in personarum iure positus est ; non magis quam finis domus, in

fundamento, vel parietibus »110. Ce confrère de DONEAU parlait des personnes de la même manière que ses prédécesseurs médiévaux, tout en son originalité par l’attention qu’il portait sur le risque d’exagérer l’importance du droit des personnes par sa priorité de rédaction relative aux res et actiones dans le plan général.