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Les premiers commentaires du Code civil

Suite à la confection du Code, l’effort se relaye des rédacteurs de projets aux premiers professeurs de droit. Désormais, il ne s’agit plus de travailler de la manière de lege ferenda, mais de lege lata. D’autant que ce nouveau code, l’on le sait bien, s’imposait glorieusement et même se sacralisait dans une certaine mesure. C’est dans ce sens que l’on parle du « culte du Code civil » qui se développait sous les différents régimes du XIXe siècle258. Ce respect du

Code civil passe donc, selon un spécialiste, « par un strict encadrement de l’enseignement du droit », et se traduit également en une sorte de conservatisme auprès les professeurs de droit259.

D’une façon un peu grossière, l’on désigne, en suivant l’expression de Julien BONNECASE, par « l’Ecole de l’exégèse » les juristes de cette époque et quelques générations qui leur succèdent, laquelle dénomination ne manque d’ailleurs pas de contestation260. Il ne s’agit pas,

dans notre travail, de revenir sur le propos de BONNECASE. Nous nous contentons de signaler que les auteurs s’expriment quand même chacun à leur manière, non pas directement sur la soi-disant exégèse des dispositions positives, mais dans leurs introductions de matières. Ces chapitres-là deviennent ainsi la vitrine d’idées personnelles des ces fameux « exégètes », et nous paraissent, pour cette raison, aussi utiles que les commentaires.

Dans ce chapitre, nous allons parcourir quelques commentaires du Code ou manuels de droit civil qui sont les premiers du genre après l’entrée en vigueur du grand édifice juridique. Ils ne sont pas nombreux, mais leurs contributions nous permettent toujours

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Voir par exemple Jean-Louis HALPERIN. Histoire du droit privé français depuis 1804. Paris : Presses universitaires de France, 1996, p. 78-79.

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Ibid. p. 45, 49.

260

Sur l’Ecole de l’exégèse en général et une bibliographie, voir ibid. p. 79-80. Une étude récente concernant spécifiquement TROPLONG et SAVIGNY, voir Mikhaïl XIFARAS. L’Ecole de l’Exégèse était-elle historique ? Le cas de Raymond-Théodore Troplong (1795-1869), lecteur de Friedrich Carl von Savigny. Wechselseitige Beeinflussungen und Rezeptionen von Recht und Philosophie in Deutschland und Frankreich / s. dir. Jean-François KERVÉGAN, Heinz MOHNHAUPT. Frankfurt am Main : Klostermann, 2001.

d’entreprendre une esquisse sur, d’une part, « les personnes » que vise le Livre I et, d’autre part, la mort civile.

Bien entendu, tous les auteurs n’ont pas été intéressés par ces deux sujets, et n’y ont consacré que peu de développements, sans parler d’analyse élaborée. Ceux qui écrivaient immédiatement après la promulgation du Code civil se bornaient, faute de temps, à faire connaître le contenu du Code civil, « en la reliant », selon J.-L. HALPERIN, « aux travaux préparatoires et au droit antérieur »261. Par exemple, le pamphlet de Jean-André PERREAU,

ex-tribun et inspecteur général des Ecoles de droit, mettait en avant une mosaïque de textes hétérogènes. L’ouvrage était tissé de fragments du Digeste ou des Institutes, de leur traduction française, de commentaires de romanistes célèbres, à l’instar de HEINECCIUS, et les dispositions du Code. Rien de spécial ne mérite d’être précisé, car nous retrouvons chez lui les textes que nous avons traités au paragraphe sur DONEAU.

Tous moulés à la traditionnelle, ces titulaires de la fonction professorale dont le nombre était très limité ne développaient pourtant pas de la même façon les problématiques de personnes, toujours au pluriel, ni celles de mort civile. Nous pouvons y constater quelques formulations assez significatives. Nous allons discuter, en particulier, de LOCRE, d’un côté, et de TOULLIER, de l’autre, deux auteurs qui se sont davantage exprimés sur le terme « personne ». Néanmoins, il ne faut pas attendre de ces deux auteurs qu’ils nous livrent la moindre construction doctrinale de « la personne », et, en l’occurrence, ils ne l’ont guère fait.

Avant de rentrer dans les détails, il faut préciser un point de forme. Les ouvrages juridiques de cette époque portaient tous un chapitre d’introduction dans lequel les auteurs s’attaquaient, chacun à leur façon, aux divisions du droit les plus classiques, telles que la

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division tripartite en droit civil, en droit naturel et en droit des gens, ou bien la division en droit public et en droit privé, etc. Cette introduction, souvent volumineuse, devenait même un petit traité du droit en général. Le cadre général de concept présenté dans telle partie de livre nous divulgue parfois plus d’information que tout le reste, y compris les lignes dites consacrées aux questions particulières. C’est la raison pour laquelle nous nous en servirons dans la discussion suivante.

Revenons alors à ces commentateurs de la première génération. Au cours des discussions au Conseil d’Etat, rappelons-nous, les rédacteurs et les conseilles d’Etat n’ont consacré que peu de temps au terme même de personne. Le titre « Des personnes » n’a produit aucun retentissement auprès des interlocuteurs. Il ne dérange pas non plus deux autres professeurs de droit, l’un, Claude-Etienne DELVINCOURT (1762-1831), enseignant à Paris et l’autre, Jean-Baptiste-Victor PROUDHON (1758-1838), à Dijon. Ni l’un ni l’autre n’a évoqué rien de particulier sur « les personnes ».

DELVINCOURT, le premier à entrer dans la carrière d’enseignant du Code Napoléon, a été nommé professeur en 1805 à l’Ecole de droit de Paris. Il ne nous fournit pas davantage d’éléments sur la question de personne. Son manuel intitulé Institutes de droit civil français, publié en 1808, exprime déjà l’ensemble de sa doctrine sur le premier livre du Code, et cette doctrine demeurera intacte dans les deux éditions postérieures dudit manuel et le Cours de

Code Napoléon de 1813, qui n’ajoute que des mises à jour au livre précédent. Il ne reprend

même pas de texte romain comme ce que font d’autres auteurs à l’époque, et il aborde, sans la moindre explication étymologique sur le fameux titre, la division des personnes en Français et

en étrangers262. Quant à PROUDHON, il annonce son parti pris en délimitant la portée de son

livre, non pas aux personnes telles quelles, mais à l’« état des personnes »263.