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Rapports de force à l’œuvre dans les coulisses du Teyyam,

3 L’espace de négociation dans les coulisses du Teyyam

3.4 Aujourd’hui dans les coulisses du Teyyam

3.4.6 Rapports de force à l’œuvre dans les coulisses du Teyyam,

On peut voir à quel point, pour le sanctuaire Pottan Devasthanam, malgré les règles établies pour baliser la négociation, le comité a du pouvoir et n’hésite pas à s’en servir. Bien que le janmari, qui représente l’ensemble des performeurs de sa caste sur son territoire, ait des droits, par exemple celui de proposer un performeur, le comité a aussi le droit d’exiger un changement. Par contre, le comité ne peut pas désigner un performeur en particulier, comme c’était le cas pour Bijal, où le comité, selon ce qu’il nous a rapporté, exigeait que ce soit lui qui performe dans presque la totalité des occasions, car il était, selon leur appréciation, le meilleur performeur. Le comité ne peut pas non plus remettre en question les premières propositions du responsable, ce qui contraste avec le témoignage de Radheshyam, où les comités, bien qu’ouverts à la discussion, peuvent décider qu’un performeur n’a pas l’expérience suffisante et, sans lui laisser la chance de se faire valoir, demander qu’il soit remplacé par un autre.

On peut aussi remarquer que, dans ce cas, ce qui était surtout respecté, ce sont les droits reconnus du janmari conférés par son titre, mais il ne semblait pas y avoir d’égards particuliers à son endroit en reconnaissance de sa contribution au Teyyam, puisque l’on n’a pas hésité à lui enlever une occasion de performer, même si on savait

que ce serait très mal perçu. Le comité veut des performances réussies, il prend donc les moyens mis à sa disposition, et ce n’est que l’intervention de Nilesh, sensible au mécontentement du janmari, qui a permis de rétablir la bonne entente, et de sauver le janmari d’une situation plutôt humiliante. Il faut dire que le janmari avait su profiter de l’occasion pour améliorer le niveau de sa performance. Cette attitude du comité envers le janmari renvoie à ce que des performeurs comme Shrivaj nous ont raconté, c’est-à-dire qu’au moment où un performeur commence à avoir des problèmes de santé, ou ne répond pas aux attentes, on n’hésite pas à le changer pour un autre, sans égard pour le performeur et les impacts sur sa situation personnelle.

Une chose est certaine, malgré les différentes variantes au niveau du pouvoir de négociation accordé au janmari ou au responsable d’un territoire, nous pouvons confirmer qu’il y a bel et bien un espace de négociation dans les coulisses du Teyyam. Et nous pouvons ajouter qu’il donne lieu à des processus de sélections différents de ce qu’on avait rapporté à l’effet que les performeurs se mettaient en ligne et étaient à la merci d’un choix arbitraire par les patrons ou membres du comité, dont c’était le privilège, selon des critères qui leur étaient propres.

Bien sûr, il est aussi rapporté que cela se fait toujours aujourd’hui (Dasan 2012) et nous avons vu que c’était le cas pour la sélection du perumkaliyattam décrit par Vadakkiniyil (2009), présidé par un astrologue. D’ailleurs, Radheshyam aussi mentionne le recours aux astrologues lorsqu’on ne peut arriver à un consensus. Toutefois, ce que l’on est en mesure de confirmer, c’est que le pouvoir des performeurs, au niveau de la sélection, a pu être accru dans certains contextes. Nous pourrions ajouter que cette tendance pourrait s’inscrire dans la lignée d’événements rapportés par Vicina (2011), où, dans le premier événement rapporté, au sujet la contestation de la transmission sur le mode matrilinéaire, on constatait que les règles pouvaient être contestées à partir du moment où les principes qui les sous-tendent sont aussi critiqués dans la société en général; et où dans le deuxième événement, au sujet de la possibilité de performer dans des temples de basses castes non approuvés par certains comités, on avait reconnu les droits du janmari en cours de justice.

La société du Kerala, comme nous l’avons vu, est dans un processus de transformation sociale, il est donc normal de constater que ces changements aient des répercussions dans le Teyyam, du moins dans ses coulisses, puisque, pour des raisons autres, on peut retrouver une certaine volonté de ne pas modifier le rituel dans sa structure formelle.

Il y a indéniablement des rapports de force à l’œuvre dans les coulisses du Teyyam, et l’on peut voir qu’il y a une pression sur les performeurs pour être à la hauteur des attentes des comités, qui eux aussi doivent répondre aux exigences des dévots et des donateurs. Et cela rejoint ce que des performeurs comme Abhimanyu ou Bijal nous ont confié, à savoir qu’un des grands défis des jeunes performeurs était d’être à la hauteur des attentes des comités. Il est justifié de s’interroger sur les capacités des jeunes performeurs de se faire valoir dans cette situation, alors que certains n’ont pas toujours mis la totalité de leurs efforts au niveau de l’apprentissage, ayant eu aussi à se consacrer à leurs études.

Cependant, une des choses qui est ressortie au niveau de la rémunération pour le sanctuaire Pottan Devasthanam, c’est que les membres de l’autorité du sanctuaire auraient reconnu l’importance d’améliorer la rémunération afin de s’assurer que des jeunes soient intéressés à s’engager dans la performance. Voilà un facteur qui pourra certainement jouer en leur faveur lors de négociation à ce sujet.

Cette entrevue faite auprès d’un membre de comité de temple nous a permis de valider ce qui nous avait été avancé par plusieurs performeurs au sujet des négociations dans les coulisses du Teyyam. Nous pouvons conclure que, malgré la réorganisation du patronage du Teyyam, malgré des comités multicaste jugés plus conciliants, et malgré les règles qui encadrent les négociations, il y a dans les coulisses du Teyyam des jeux de pouvoir entre patrons et performeurs, dont une des conséquences est d’engendrer un esprit de compétition entre les performeurs, basé sur la compétence, la réputation et la renommée.