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Négocier dans les coulisses du Teyyam

3 L’espace de négociation dans les coulisses du Teyyam

3.4 Aujourd’hui dans les coulisses du Teyyam

3.4.4 Négocier dans les coulisses du Teyyam

Nous sommes en mesure de constater, en comparant les témoignages de Bijal et Radeshyam, comme la relation d’un performeur en position d’autorité, ou d’un janmari, avec les membres des comités peut varier d’un territoire à l’autre. Si Radeshyam a su créer, par une approche conciliante, une relation de négociation profitable avec les comités sur son territoire, ce qui lui permet de faire valoir ses jeunes protégés, Bijal, lui, compte tenu du nombre de performances disponibles sur son territoire, et de sa grande réputation et du fait qu’il performe dans la majorité des occasions, ne parvient pas comme Radheshyam à autant préparer la relève, malgré son implication dans la formation des jeunes, et il signale la difficulté pour eux d’être à la hauteur des attentes.

Il y aurait lieu de croire que la plus grande différence viendrait peut-être des caractéristiques de leur territoire respectif, et du nombre de performances disponibles, car autrement on peut remarquer plusieurs similitudes. Dans les deux cas, on reconnaît et l’on respecte leur compétence et leur grande réputation, et l’on souhaitera que ce soit eux qui performent dans un grand nombre de performances. Aussi, encore une fois dans les deux cas, les comités ne se gênent pas pour faire valoir leur désaccord s’ils doutent de la compétence d’un jeune, ou s’ils sont insatisfaits de son rendement. Par contre, il semble que Radheshyam ait plus de pouvoir de négociation que Bijal pour aider les jeunes à obtenir des occasions de performer, mais il y est vrai qu’il y en a plus à distribuer sur son territoire. D’une certaine façon, pour les deux performeurs, il y a acceptation du pouvoir de décision des comités; en effet, Radheshyam accepte que, parfois, on soit en désaccord avec lui, mais ça ne l’empêche pas de continuer à négocier et à obtenir des choses pour ses jeunes protégés, tandis que Bijal, de son côté, accepte aussi les exigences des comités et travaille à être à la hauteur de la grande confiance qu’ils placent en lui. Là où il

semble y avoir une attitude vraiment différente, c’est dans le cas de Ravinandan, dont nous a parlé Radeshyam, qui, lui, confronte les comités pour obtenir des performances pour ses fils, et menace de ne pas participer avec son équipe aux rituels si on ne l’accommode pas. Des situations qui se terminent bien souvent avec l’arbitrage d’un astrologue. On voit que malgré une certaine variabilité observée d’un performeur et d’un territoire à l’autre, on peut remarquer qu’il y a effectivement un espace de négociation dans les coulisses du Teyyam, mais que les comités de temples ont beaucoup de pouvoir pour déterminer l’issue des négociations. Dans certains cas, du côté des performeurs, on pourra accepter leur verdict, dans d’autres on essaiera de négocier diplomatiquement, ou alors on confrontera plus directement les décisions.

L’analyse des témoignages de Bijal et Radheshyam nous donne à penser à quel point les coulisses du Teyyam donnent lieu à une arène de compétition où les comités veulent les meilleurs performeurs, et où, bien qu’il y ait un espace de négociation balisé par des règles, les comités réussissent souvent à avoir le dernier mot. Les jeunes performeurs qui voudront devenir performeurs soit à temps plein ou à temps partiel se retrouveront dans ce genre de situation, sur un territoire avec un performeur en position d’autorité désigné pour gérer les négociations avec les comités. Il s’agit d’une situation sur laquelle ils n’ont pas toujours beaucoup de contrôle, car en plus de devoir répondre aux exigences des comités, ils doivent aussi être à la hauteur des attentes de leurs responsables qui seront garants de leur compétence devant ces mêmes comités.

Et il y a toujours aussi le transfert des droits de père en fils ou d’oncle à neveu qui peut compliquer la donne au sein même de la troupe. Souvent un individu aura un droit de performer à un temple chaque année, ce droit ne se changeant pas facilement, et ce, même si un performeur en position d’autorité voulait changer la distribution. Un jeune performeur ne contrôle pas toujours son destin dans cette arène de négociation. Ce sur quoi il pourra travailler, c’est le développement de ses compétences afin d’augmenter la valeur de sa réputation auprès des dévots, des comités et de ses pairs. D’où l’importance que les performeurs responsables de leur

formation ne les fassent pas graduer trop vite s’ils ne sont pas prêts, on pourrait alors être insatisfait de leur performance et les refuser par la suite.

Les jeunes devront impressionner, et se faire valoir jusqu’à obtenir une bonne réputation, comme c’est le cas d’Abhimanyu à qui l’on accordait de bonnes capacités pour résoudre les problèmes des dévots. Cela nous amène à nous poser d’autres questions, par exemple : qu’est-ce qu’un bon performeur? Comment un performeur arrive-t-il à convaincre de ses compétences ou de ses capacités spéciales? Ces questions fort importantes seront abordées au quatrième chapitre. Pour l’instant afin de compléter les témoignages de Bijal et Radheshyam, nous analyserons celui de Nilesh, membre d’un comité de sanctuaire.