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2 Les aspirations des jeunes performeurs

2.1 Les revenus et leur évolution

2.1.2 Le calcul de la rémunération

Au cours de nos entrevues, nous avons reçu des informations sur la rémunération des performeurs, il en est ressorti que la rémunération avait, dans plusieurs cas, atteint des niveaux que les performeurs nous ont décrits comme suffisants, allant même jusqu’à très bons. Ces données nous arrivent plusieurs années après celles de Daugherty (2000) et Komath (2003), et il semble bien que la situation de regain des activités rituelles décrite par Koga (2003) ait continué de se développer, permettant

d’améliorer de façon significative les revenus des performeurs. Cette tendance devrait concourir à changer la donne concernant l’intérêt des jeunes hommes de ces communautés à s’engager dans cette voie. Ceci étant dit, le performeur Unnikrishnan Peruvannan, sur le site du Parampara Project, continuait de dépeindre, en 2011, une situation où les exigences du métier ainsi qu’une rémunération insuffisante entraînaient un exode des jeunes vers d’autres métiers. Par contre, les performeurs que nous avons rencontrés nous ont dépeint une situation plus nuancée, dans laquelle, entre les risques et les améliorations, et non sans recherche d’accommodements, ils nous ont expliqué pourquoi ils avaient choisi de prendre cette voie. Avant d’analyser leurs témoignages, nous allons faire le point sur la situation des revenus des performeurs d’aujourd’hui.

Il est important de ne pas oublier les conditions de travail extrêmement exigeantes qui sont le lot de la performance dans le Teyyam. Si certains performeurs décrivent leurs revenus comme modestes, mais acceptables, ils admettent néanmoins que leur profession comporte de nombreux risques pour la santé, ce qui peut les pousser vers des retraites prématurées et d’importantes difficultés financières. De plus, il s’agit d’un travail saisonnier qui doit généralement être complété par un autre emploi en basse saison, ce qui contribue à une certaine précarité.

Nous devons aussi signaler que les chiffres que nous allons analyser proviennent des entrevues que nous avons effectuées et qu’il aurait fallu un échantillon plus large pour établir un portrait plus précis de la situation financière de l’ensemble des performeurs de la région du Malabar. Toutefois, il est important de mentionner que les données récoltées convergent toutes vers une amélioration de la rémunération. Cet examen de la situation financière des performeurs devrait nous permettre de mieux comprendre le choix de certains jeunes de s’engager dans cette voie, malgré les désavantages et les risques traditionnellement associés à cette profession.

Il est important de donner quelques précisions à propos de la composition et du mode de partage de la rémunération et retenir que les revenus qui seront exposés plus bas

sont des revenus bruts et ne tiennent pas compte des frais afférents à la pratique du Teyyam soit, notamment, les frais de déplacement, ou le coût des costumes et des maquillages.

Premièrement, un des facteurs les plus importants pour déterminer les revenus est le nombre de performances effectuées par un performeur au cours de la haute saison qui s’échelonne sur une période d’environ six mois. Nous avons noté de grandes différences à ce niveau parmi les performeurs interrogés; certains parlent de 20 performances, d’autres de 50 ou 80, et d’autres encore, qui ont le privilège de performer Muthappan sans interruption pour une année entière, peuvent aller jusqu’à 150, voire 250 performances dans le cas d’un certain performeur chevronné de grande réputation que nous avons rencontré. Il va de soi que le nombre de performances peut faire une différence énorme dans les revenus et pourrait expliquer certaines disparités à ce niveau. En conséquence, la négociation des occasions de performer, malgré les règles et les droits qui les régissent, demeure un enjeu considérable que nous verrons plus en détail au troisième chapitre.

Ensuite, il faut distinguer le nombre de fois où le performeur sera le ritualiste principal, incarnant la déité du Teyyam, et le nombre de fois où il agira comme assistant ou musicien. En général, les performeurs chevronnés se voient confier le rôle de ritualiste principal pour un bon nombre de performances, mais chez les plus jeunes cela peut varier, et certains agissent le plus souvent comme assistant ou musicien, ou alors ils performeront surtout des vellatam, soit des parties ritualisées avec possession qui précèdent certains Teyyams. Les différents rôles tenus lors des rituels peuvent avoir une incidence importante sur la rémunération en fonction du mode de partage de la troupe. La rémunération provient de deux sources : il y a d’abord un montant global donné par le temple à la troupe qui sera partagé entre ses membres, puis il y a les donations faites directement au performeur, au moment de la consultation dans la dernière partie du rituel. Le mode de partage diffère selon les castes au sujet des donations. Chez les Malayans les donations sont conservées par le performeur principal, tandis que pour les Vannans elles sont partagées en parts égales

entre les membres de la troupe. Il en résulte que pour un Malayan le nombre de performances où il s’exécutera comme performeur principal aura un impact beaucoup plus important sur ses revenus, car lors de ces occasions il conservera la totalité des donations.

Au sujet des donations, on nous a confirmé qu’elles avaient beaucoup augmenté dans la dernière décennie. Il faut se rappeler qu’il s’agit de contributions volontaires faites par les dévots aux performeurs lors de la consultation, à la différence des montants donnés par les temples qui eux peuvent faire l’objet de rapports de force et de négociations. Cela donne à penser qu’il y a vraiment chez les dévots une forme de considération envers les performeurs. On peut aussi remarquer que cette augmentation des donations est à l’image de l’augmentation générale des montants investis par les dévots dans le Teyyam. Par exemple, pour organiser un festival annuel, un comité de temple doit réussir à collecter sur une base volontaire, parmi les gens de la communauté, une somme pouvant aller de Rs. 50 000 à Rs. 100 000. On peut alors facilement concevoir que ces mêmes dévots soient prêts aussi à donner de bons montants aux performeurs.

II y a un autre aspect à considérer et qui peut considérablement influencer les revenus d’un performeur sur une base annuelle, c’est le travail d’appoint qui est fait en complément pendant la basse saison. Dans le cas des performeurs engagés à temps plein dans les activités du Teyyam pendant la haute saison, le travail en complément est habituellement de nature assez modeste; mais dans d’autres cas, comme nous le verrons plus loin, il y a des performeurs qui ont au départ un autre travail à temps plein qui peut rapporter de bons revenus, et qu’ils complètent avec la performance à temps partiel. Comme nous pouvons l’entrevoir, l’importance qui serait donnée en termes de disponibilités pour des performances pourra aussi avoir un impact important sur les revenus d’un performeur.

Dans le cas de plusieurs performeurs Vannan, il faut aussi tenir compte des caractéristiques particulières du dieu Muthappan qui connaît une grande popularité.

Les rituels de Muthappan sont plus courts, moins exigeants et peuvent être performés à tout moment de l’année. À l’heure actuelle, beaucoup de gens organisent des rituels de Muthappan lors d’inaugurations de nouvelles maisons ou lors de mariages, il y a une grande demande pour ces rituels qui fournissent beaucoup de travail, mais uniquement à la caste des Vannans à laquelle il est réservé. Grâce à Muthappan, des performeurs peuvent performer à longueur d’année, et certains, comme nous l’avons déjà mentionné, nous ont indiqué des chiffres allant de 150 jusqu’à 250 performances par année. Cependant, dans ces cas, on était en présence de circonstances exceptionnelles, par exemple le fait qu’un performeur détienne des droits héréditaires donnant accès à un grand nombre de performances sur un territoire donné, ou alors des droits de performer dans un temple prestigieux recevant un grand achalandage, le tout conjugué à une grande réputation auprès des dévots et des comités. Il faut toutefois ne pas perdre de vue qu’un grand nombre de performances demande beaucoup d’efforts physiques, et peut engendrer épuisement, manque de sommeil, et parfois à des problèmes de santé graves pouvant mener à la retraite prématurée d’un performeur. Toutes ces considérations permettent d’identifier les facteurs qui feront varier les revenus d’un performeur à l’autre, et doivent être pris en compte dans l’analyse des chiffres que nous avons recueillis lors des entrevues que nous avons menées