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4 Réputation et nécessité de convaincre

4.1 Qu’est-ce qu’un bon performeur?

4.1.5 Exploits physiques

Les exploits physiques sont très importants dans le Teyyam, car on dit qu’ils servent à rendre compte de la présence divine. On conçoit que les épreuves physiques effectuées par les performeurs, comme la résistance à la chaleur du feu, ou le fait de danser pendant de longues heures avec des costumes très lourds et encombrants, sont tellement exigeantes que leur réussite n’est rendue possible que par la présence de l’énergie du dieu dans le corps de performeur.

Habituellement, dans ce genre de situation rituelle, en Asie du Sud, lorsque l’on retrouve ce type d’épreuves physiques, marches sur le feu ou mortifications, on entend habituellement qu’il y a pas de souffrances, ce qui s’explique par l’action divine (Tarabout 1986). On peut concevoir que pour les mêmes raisons il ne devrait pas y avoir de séquelles physiques non plus, puisque l’on considère que c’est la présence divine qui permet de résister à l’épreuve. Mais pour le Teyyam, les choses sont un peu différentes, car, comme nous en avons déjà discuté au cours des précédents chapitres, les performeurs peuvent développer des séquelles physiques graves. Elles sont bien connues, peuvent forcer certains performeurs à la retraite

prématurée, et pourront aussi éloigner certains jeunes de la performance, de crainte de rencontrer ce type de problèmes. Certains performeurs, comme nous l’avons déjà mentionné, conçoivent ces exploits physiques, et les séquelles potentielles ou subies, comme un sacrifice pour la communauté.

Les exploits physiques donnent l’occasion d’établir de façon concrète la présence divine aux yeux des dévots, il s’agit d’une action visible et discernable, car le performeur est là, devant l’assistance, au moment où il s’exécute, par exemple lorsqu’il s’allonge sur des braises ardentes. Il y a alors impossibilité de nier ce qui vient de se produire, bien que d’un dévot ou d’un spectateur à l’autre on pourra tout de même avoir une appréciation différente du niveau de difficulté, ou donner d’autres explications pour rendre compte de ce qui rend possible l’exploit, comme nous le verrons plus loin.

Nous avons relevé trois types d’exploit physiques : (1) la résistance à la chaleur du feu ; (2) danser avec des costumes très lourds et très encombrants; et (3) performer pendant de longues heures, ou des nuits entières, sans boire ni uriner. Généralement, un Teyyam requerra un des deux premiers exploits physiques que nous venons d’énoncer, et pourra être combiné avec le 3e type d’exploit basé sur l’endurance. Toutefois, ce ne sont pas tous les Teyyams qui exigent ce type d’exploits, par exemple le Teyyam de Muthappan n’en requiert aucun des trois.

4.1.5.1 La résistance à la chaleur du feu

Dans certains rituels, comme celui de Tee-Pottan, où il s’agit d’une version du rituel de Pottan Teyyam où l’on intègre l’épreuve de la résistance à la chaleur du feu, le performeur, bien que protégé par son costume, devra aller s’étendre sur un monticule de braises ardentes. Il pourra rester étendu de cette manière pour une période de temps allant d’une dizaine de secondes à quelques minutes, jusqu’à ce que des assistants l’aident à se relever. Il pourra répéter cet exercice une centaine de fois durant une même performance, et, dans le cas d’un performeur incarnant Pottan, ces allers-retours vers le monticule de braise seront accompagnés de rires, de

bouffonneries, de refus de collaborer avec les assistants et de commentaires ironiques à l’effet que la chaleur ne l’incommode pas du tout. Dans le cadre d’une telle performance, l’assemblée pourra juger du nombre de fois qu’il ira s’étendre sur les braises et de la durée de chaque occasion. D’autres Teyyams mettront en scène différentes variantes de cet exercice, où l’on pourra voir, par exemple, un performeur sauter par-dessus un feu à de multiples reprises, ou dans d’autres cas, danser avec des torches enflammées accrochées au costume.

Bien sûr, le costume sert de protection et même si le performeur subit des brûlures, elles ne sont généralement pas majeures. Malgré tout, il nous a été confié que la résistance à la chaleur est très exigeante, et peut entraîner des maux de gorge et des douleurs aux oreilles générés par la température élevée et la fumée. On nous a rapporté qu’il fallait, préalablement à ces rituels, avoir une forte préparation mentale, et que le performeur devra réciter une série de mantras censés le protéger au cours du rituel. Plusieurs performeurs nous ont confié que certains jeunes de la nouvelle génération ne sont pas prêts à s’engager dans ce genre d’épreuves. À cet effet, on nous a rapporté le cas d’un jeune performeur qui n’a tout simplement pas réussi à répondre aux exigences de ce genre de rituel. Selon cet observateur, le jeune homme semblait avoir peur du feu, avait tendance à s’en éloigner, puis, après s’y être allongé à quelques reprises, il se laissa tomber sur le sol, incapable de poursuivre sa performance. Ajoutons cependant que beaucoup de jeunes performeurs réussissent ce type d’épreuve, tout comme leurs pères le faisaient.

4.1.5.2 Soutenir de très lourdes structures

D’autres Teyyams nécessiteront l’utilisation de costumes très encombrants et très lourds à porter. Dans certains cas les performeurs devront danser pendant des heures en portant des costumes faits de structures de bois qui montent dans les airs et peuvent atteindre une dizaine de mètres de hauteur. On associe souvent ces types de costumes aux Vannans, bien que les Malayans en fassent aussi usage pour certains des dieux qui leur sont associés. Les performeurs doivent danser de longues heures avec ces costumes lourds et imposants, ce qui pourra laisser des séquelles au fil des

ans, puisque certains performeurs développent des maux de dos, ou des problèmes de circulation, car les sangles qui sont attachées à leurs membres pour soutenir la structure sont parfois tellement serrées que leur circulation sanguine en est affectée.

4.1.5.3 Danser pendant de très longues heures

Dans bien des cas, les Teyyams donnent lieu à des épreuves d’endurance physique; en effet, habituellement ils durent une nuit entière ou une dizaine d’heures, au cours desquelles les performeurs vont danser, interagir avec les dévots, et les rencontrer lors de la consultation. À cela s’ajoutera, règle générale, l’une ou l’autre des deux épreuves précédemment décrites, soit la résistance à la chaleur du feu ou le fait de danser avec des costumes très lourds et très encombrants. De plus, les performeurs, pendant toute la durée du rituel, ne pourront ni boire, ni uriner. Cela aura comme effet de développer des problèmes de douleurs urinaires chez les performeurs. Arrivé autour de la quarantaine, pour plusieurs d’entre eux, uriner est en effet très difficile et très douloureux.

Comme nous l’avons vu, les épreuves physiques sont très exigeantes pour le corps, et contrairement à d’autres cultes, elles peuvent laisser des séquelles physiques importantes. Elles font cependant partie des rituels et ne peuvent être évitées. Il s’agit de démonstrations concrètes, vérifiables à l’œil nu. Il faut ajouter que pour les performeurs, il ne s’agit pas seulement de prérequis à accomplir, car il est toujours possible, d’une certaine manière, d’en faire plus que les autres, de passer plus de temps dans le feu, d’avoir un costume plus imposant et qui monte plus haut dans les airs, de danser plus longtemps, etc., et certains performeurs seront effectivement réputés pour en faire plus que d’autres à ce niveau. Ces épreuves physiques sont considérées, dans les conceptions liées au culte, comme des preuves de la présence divine, puisqu’on concevra qu’un être humain ne peut accomplir tout cela sans une telle assistance.

4.1.6 Capacité de se faire créditer la résolution des problèmes des